La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 25 mai 2017

C’est un long couloir sombre au fond duquel papa cesse de sourire.

Nivaria Tejera, Le Ravin, traduit de l’espagnol par Claude Couffon, parution originale en français en 1958 par Maurice Nadeau, aujourd’hui édité à La contre allée, paru à La Havane en 1959.

La guerre d’Espagne dans les yeux d’une enfant.

C’est une petite fille qui raconte. Et tout commence par l’arrestation de son papa. Le roman se déroule dans une petite ville des Canaries au début de la guerre civile. Les militaires font irruption et arrêtent et enferment tout le monde. C’est le début du cycle visites en prison, procès, liberté, arrestation, etc. avec la menace constante d’un ravin si proche où sont jetés les corps des condamnés à mort. L’héroïne n’est pas seule et vit avec sa mère, sa tante, son grand-père (magnifique portrait de ce dernier), son petit frère et un chien. Ils doivent quitter leur maison, faute d’argent, se serrer la ceinture, il n’y a plus rien à manger, ils sont malades, ils ont froid… la guerre dans toute sa crudité.

Le vent cingle et siffle à travers toutes les plantations, et où l’on trouve d’étranges traces de pas. On dirait que, dans sa course, il arrache les chemins et les disperse. C’est un vent compact, qui fait peur. La nuit, il s’avance au bord de nos draps et là se met à gémir et à ronfler.

La petite fille raconte aussi ses promenades dans la campagne, avant quand elle marchait avec son père et maintenant, seule ou avec un camarade. Elle rêve, elle a des cauchemars, de la fièvre, elle se venge de son chagrin sur les êtres qui l’entourent – oui, c’est injuste, mais c’est ainsi que la guerre envahit l’horizon mental. La guerre « s’apprivoise » au fil des jours, avec son rythme, ses codes, ses lois, son quotidien. Les voisins disparaissent progressivement – il y a de plus en plus de prisonniers.
C’est un livre bouleversant écrit dans une langue simple et poétique. La machine à coudre y fait un bruit de locomotive et les barreaux de prison envahissent l’espace. La pluie y tombe comme autant de coups de fouet et la petite fille est rejetée par les autres enfants.
A. Neel, Victoria et le chat, 1980 Honolulu museum of art, M&M.
Le rapprochement est un peu facile, mais j’ai pensé au film Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro, où une petite fille s’enfuit loin de l’horreur grâce aux rêves et à la magie. Ici, hélas, les rêves restent là où ils sont, et ce sont les cauchemars qui deviennent réalité.

Chaque chose était, je le sentais, détachée de papa ; ses yeux qui ressemblaient à deux jarres d’eau glacée et qui me fascinaient, sa bouche paisible, ses bras qui reposaient le long de la grille, la grille qui s’étendait sur son uniforme à rayures, et nous, qu’il ne pouvait atteindre, de l’autre côté de l’ombre.
-       - Que tu es loin, murmurai-je.
Déjà papa s’estompait, se brisait. (Mais il demeure fixé en moi, même s’ils le brisent en mille morceaux et le dévorent.)






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