La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 19 septembre 2017

Merci, berger, de m'avoir fait voir ta pitié avant de partir.

Jean Giono, Le Grand troupeau, 1931.

Un grand roman sur la Première guerre mondiale.

Le roman commence alors que les jeunes hommes viennent juste de partir au front et il s'achève avec leur retour, mutilés mais vivants, vivants parce que mutilés. Le roman ne raconte pas seulement la guerre et les soldats mais aussi la vie des civils à l'arrière et montre comment tout le pays a vécu ces années.

Puis ça revenait au silence, non pas au beau silence des bruits d'herbe, mais à ce silence épais et lourd, ce silence de dessous de couvercle, cet air étouffé entre la terre gorgée d'eau morte, noyée, et les lourds nuages à gros muscles qui semblaient mouiller la lessive du monde. On ne voyait pas les nuages dans cette nuit. On les sentait, on les entendait passer et se tordre ; on en avait le poids sur les épaules et le cœur.

Nous suivons donc Joseph et Olivier partis combattre. L'horreur des obus, des tranchées, les copains qui meurent dans les bras, les cadavres qui remontent de la terre, les rats et les corbeaux qui mangent, les chevaux qui meurent aussi, les hommes qui parlent aux fantômes... Giono raconte ce qu'il a vu. Peu de combats, il y a tout juste un Allemand dans ce roman, mais des hommes qui avancent sans savoir dans quelle direction, qui sont bombardés, déchiquetés, qui se vident dans la boue. Pendant ce temps, en Provence, les céréales et les bêtes ont été réquisitionnés. On guette et on craint l'employé de la mairie chargé d'annoncer les morts. Les champs sont abandonnés et les mauvaises herbes recouvrent les chemins. Les femmes se languissent de leurs hommes et des catastrophes peuvent parfois se produire.
Otto Dix, La guerre, 1923-24, eau forte.

La guerre, c'est aussi le mal que les hommes font à la nature, aux bêtes et au monde, la plongée dans un monde de technique et de barbarie, l'oubli de la terre et des étoiles. À cet égard, l’évocation du grand troupeau de moutons dans les premières pages est magistrale pour traduire la violence généralisée de ce monde-là. La guerre est vue comme une malédiction que les êtres humains envoient à la Terre, mais ici, ce sont des paysans qui font la guerre et eux, justement, ne s'intéressent qu'à la terre, dans toute sa richesse.

Le tout porté dans la langue magnifique de Giono.

Ah ! l'autre fois, elle en avait lâché la fourche, et puis, en se baissant pour la ramasser, elle s'était emplie d'odeur à ras bord et le geste avait fait tourner sa chair au fond des linges, une chair grenue comme la peau des poules et toute prête à s'épanouir et qui languissait. Et ça avait été pour elle comme si elle avait eu la tête perdue dans des feuillages et culture vent. À quoi bon fermer les yeux et se faire raide depuis le talon jusqu'au cou, puisque ça traversait les paupières et que ça connaissait les charnières qui font plier le corps, puisque, somme toute, c'était bon, puisque, tout compte fait, ça n'était pas défendu.




2 commentaires:

Dominique a dit…

c'est un des romans de Giono qui m'a le plus marqué
d'une certaine façon avec pas tout à fait le même talent mais Glaise de Franck Bouysse raconte l'envers de la médaille, ceux qui restent au pays

nathalie a dit…

Oui, même si presque tout est bon dans Giono, celui-ci est particulièrement extraordinaire.
j'ai noté le nom de Bouysse en effet.