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jeudi 5 septembre 2024

C’étaient des « gentlemen magiciens », ce qui signifie que leur magie n’avait jamais nui à personne – ni fait aucun bien.

 

Susanna Clarke, Jonathan Strange et Mr Norrel, parution originale 2004, traduit de l’anglais par Isabelle D. Philippe.

 

Au début du XIXe siècle, en Angleterre, l’assemblée des magiciens d’York (uniquement théoriciens) découvre l’existence d’un magicien praticien bien vivant, le très discret Monsieur Norrel. Très discret, mais celui-ci décide quand même de s’installer à Londres pour redonner à la magie anglaise tout son lustre et son prestige, du moins de façon contrôlée. Il propose d’ailleurs ses services au gouvernement de Sa Majesté. C’est un vieux monsieur terne et recroquevillé (ou presque), qui accepte néanmoins de prendre comme élève Jonathan Strange, jeune homme romantique et fantasque, esprit d’aventure, amoureux de sa charmante femme.


Le capitaine Harcourt-Bruce n’était pas seulement beau, fringant et brave, il était également romantique. La résurgence de la magie en Angleterre le faisait fortement vibrer. Grand lecteur de la plus excitante des histoires, il avait la tête farcie d’anciennes batailles dans lesquelles les Anglais étaient surpassés en nombre par les Français et condamnés à périr, quand tout à coup les accents d’une musique étrange, surnaturelle, retentissaient et que, au faîte d’une colline, apparaissait le roi Corbeau au grand heaume noir, avec son lambrequin de plumes de corbeau flottant au vent.


Ce gros roman (800 pages) raconte donc la renaissance de la magie en Angleterre, car son histoire est ancienne. Dans les contrées du Nord, elle n’a d’ailleurs jamais vraiment disparu, ainsi qu’en témoigne une multitude de notes de bas de pages racontant les anecdotes et détaillant les publications à ce sujet. Strange est bientôt aux côtés de Wellington en Espagne pour lutter contre Napoléon.

Toutefois, ce réveil de la magie s’accompagne de l’irruption d’un « garçon fée » qui ensorcèle des jeunes femmes bien vivantes, provoquant d’atroces drames. Heureusement, on est dans un grand roman d’amour et d’amitié et d’aventures, où les vrais méchants ne peuvent durer.


Petite, rectangulaire, la boîte était apparemment en argent et porcelaine. Elle était d’une délicate teinte de bleu, enfin pas exactement de bleu, plutôt de lilas, enfin pas exactement lilas non plus, était donné qu’elle contenait une touche de gris dedans. Pour être plus précis, elle était de la couleur du chagrin.


C’est un roman extrêmement brillant. Je l’avais lu à sa sortie (2007 en France) et je craignais d’être déçue à ma relecture. Que nenni. Clarke mêle les charmes du roman historique et ceux du roman gothique, ainsi que ceux du roman de société (si vous lisez Wilkie Collins et Jane Austen, vous ne serez pas dépaysés) à la puissance d’évocation de la magie. Pas de baguette ni de folklore, mais le paysage de la campagne anglaise qui se transforme et fait apparaître d’anciens royaumes oubliés. La pluie trace sur les pavés de Londres une prophétie ancienne et les arbres et les oiseaux des provinces du Nord se mettent au service d’une autre vie. Avec tout ça, le roman est plus réaliste que ses prestigieux modèles, racontant les différences sociales avec brutalité et mettant en scène un esclave, un homme à la peau noire supposément libre en Angleterre, mais qui se sait en infériorité constante et qui fait face à l’ignorance générale. Le roman est ancré dans son temps : les peintres Goya et Lawrence, les manifestations contre les machines à tisser, l’année sans été, Lord Byron, tout est là.

Où l’on se rend compte qu’utiliser la magie pour faire la guerre n’est pas si simple que cela a en l’air.

Il y a un ton plein d’humour mesuré, délicieusement ironique, avec de petites allusions taquines à Tolkien. 

C’est un roman extrêmement prenant et diversifiant, dans lequel on se plonge avec plaisir en attendant les vacances.


Parce que le début du roman se déroule à York et met en scène les statues de sa cathédrale,
voici le jubé de la cathédrale de York, avec les rois d'Angleterre.

 

Puis tous les autres monuments et statues de la cathédrale se mirent à parler pour témoigner, de leurs voix caverneuses, de tout ce qu’ils avaient vu au cours de leurs vies de pierre. Le vacarme, ainsi que Mr Segundus le rapporta plus tard à Mrs Pleasance, était indescriptible. En effet, la cathédrale d’York possédait maintes créatures et animaux fabuleux sculptés qui battaient des ailes.

 

Il a été remarqué (par une dame infiniment plus sagace que la présente auteure) combien le monde en général se sent aimablement disposés envers les jeunes gens qui meurent ou se marient. Imaginez alors l’intérêt qui entourait Miss Wintertowne ! Aucune demoiselle n’avait joui de tels avantages auparavant : en effet, elle était morte le mardi, était revenue à la vie aux premières heures du mercredi matin et se mariait le jeudi, ce que certains estimèrent trop de sensations fortes en une seule semaine.

 

Une romancière.



6 commentaires:

  1. Hormis que je l'ai lu (et offert, donc j'ai du l'apprécier), je n'ai aucun souvenir du contenu du livre, lu il y a vraiment longtemps! Donc, à relire un jour.
    Dans un genre un peu différent dans le domaine du pastiche, est-ce que tu as lu Le Quinconce, de Charles Palliser?

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  2. Jamais entendu parler. Je vois que c’est une série, peut-être plus noire que cette histoire de sorciers. Pourquoi pas, si c’est bien.

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  3. Lecture fabuleuse pour moi aussi, j'avais été charmée pour l'humour sous-jacent qui imprégnait tout le livre, et certaines scènes (la disparition de l'épouse de Strange ou la réunion des magiciens de York) restent longtemps en tête. Le roman suivant de l'autrice, "Piranesi", est aussi court qu'il est différent de son prédécesseur, et c'est un vrai tourbillon.

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  4. Deuxième personne qui me parle de Piranèse... décidément il faut que je me le procure. Merci !

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  5. J'avais aussi beaucoup lu sur ce livre et je viens de l'emprunter. c'est en effet un pavé!

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  6. Oui, mais il se dévore. Bonne lecture !

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