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jeudi 22 mai 2025

Les fourmis des prés ne sont pas vraiment jaunes. Elles ont la couleur de gingembre du thé que faisait ma grand-mère.

 

John Lewis-Stempel, La Prairie. La Vie privée d'un champ anglais, parution originale 2014, traduit de l'anglais par Patrick Reumaux, édité en France par Klinsksieck avec des aquarelles de Sandra Lefrançois.

Une prairie et un champ, au bord d'une rivière, le long d'une vieille haie, à la frontière de l'Angleterre et du Pays de Galles. C'est le journal, presque jour par jour, de la vie qui y habite (ou qui se contente d'y passer). C'est très reposant.

Lewis-Stempel raconte donc les campagnols et les mésanges, les insectes de ceci et de cela, les vers, les têtards, les renards, mais aussi ses moutons et ses vaches, ainsi que la fenaison et la réparation de la clôture. La réussite du livre vient à la fois de cette unité de lieu, mais aussi de son caractère composite puisque, si les observations sont majoritaires (et l'on ne compte pas les fois où l'observateur regarde un animal qui observe lui-même quelque chose de plus ou moins déterminé), elles se mêlent aux considérations historiques, linguistiques et poétiques. Nous sommes dans une nature humaine et habitée.
L'auteur fait preuve de sensibilité, de réalisme et d'autodérision. Il y a plusieurs pages sur les noms des champs (ce qui rappellera des souvenirs à quiconque s'est déjà penché sur un cadastre rural et/ou sur Proust).
Vous saviez que les oiseaux n'avaient pas de larynx ? Et n'oubliez pas de passer de l'huile solaire sur les oreilles des cochons s'ils sont restés trop longtemps au soleil. Et si vous pensiez que tous les vers de terre étaient les mêmes, vous allez avoir une surprise.

Quand des hommes en treillis, sur la Somme ou dans les jungles de Birmanie, pensent à leur île natale, ne voient-ils pas des prés parsemés de fleurs sauvages avec des cottages et des collines qui moutonnent ?

Un des intérêts majeurs du livre est de montrer que la nature n'est pas une entité séparée des êtres humains. Les plantes, les animaux et les paysages s'inscrivent dans la mémoire individuelle et collective, au cœur des individus. Ils font partie intégrante de nos vies intimes.


La lune de glace se lève déjà sur la colline de Merlin quand je me rends à la prairie tard dans la soirée pour observer les bécassines. Il fait vraiment froid quand les rafales de vent font crépiter les feuilles mortes encore accrochées aux branches des chênes riverains. Quand j'ouvre la barrière, mon cœur se serre comme d'habitude devant la magnificence du spectacle : l'immensité du champ bordé de haies, la douceur des pentes de la colline sur la gauche et, tout autour de moi, l'inquiétante muraille des Montagnes Noires. Il y a de la neige au sommet des monts, une neige aussi douce qu'un gâteau de mariage.
C'est le début (en janvier, donc).

Renoir, Le Printemps à Chatou, 1873 Courtauld


De jeunes choucas prêts à quitter le nid dans la grange en ruine du Bosquet s'envolent dans le ciel. Un faucon crécerelle bat des ailes au-dessus de la prairie. La lumière du soleil qui traverse le saule marsault rend le prédateur invisible. Des campagnols agrestes courent dans les tunnels de l'herbe en laissant tomber des gouttes d'urine. On pense que le faucon voit la lumière ultraviolette reflétée dans l'urine. Les arbres projettent des ombres sur l'herbe qui soupire. Des syrphes passent comme des flèches sur les têtes mousseuses du cerfeuil sauvage. Des piérides de la rave s'attroupent sur les capitules des chardons. Sauterelles et abeilles chantent dans la brise et les oiseaux font chorus. Le paysage entier est en mouvement.

Je me rends soudain compte que les hirondelles sont parties. Sans faire de bruit. Un simple tour de prestidigitation. Une disparition dans la brume du matin. Intérieurement, je pousse un soupir. Un des étés de la vie est passé.

(début septembre)

En octobre, plus que dans n'importe quel autre mois, je surveille les changements de la nature. Est-il vrai, comme le dit le folklore, que s'il y a beaucoup de baies rouges dans l’aubépine, cela signifie que les chutes de neige seront nombreuses ? Et que si les grives litornes arrivent tôt, l'hiver sera particulièrement dur ? Même si une profusion de baies n'est que le signe de la santé passée de la plante, je suis rivé à la prédiction du temps. C'est en partie, je supposes, une angoisse primitive – partagée avec la vie sauvage – d'avoir besoin de se préparer au pire.


Lewis-Stempel présente les livres et les disques qui ont nourri sa réflexion (autant d'idées à piocher).
Il a toute une liste de titres à son actif, sur la nature et sur la Première guerre mondiale, et je note avec intérêt qu'un livre sur les rapaces nocturnes est traduit en français (et depuis, je me le suis évidemment procuré).
Personne ne sera surpris d'apprendre que j'ai repéré ce livre chez Dominique.


10 commentaires:

  1. Voilà une lecture bucolique et sans doute apaisante

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    1. Très apaisante, ça fait un bien fou.

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  2. Ce bouquin est scandaleusement absent de ma bibli principale. Va falloir sévir (ou aller en librairie, quand j'aurai lu tous les titres 'nature' déjà sur mes étagères...)

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    1. Faut monter une manifestation devant la bibli, moi je dis !

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  3. mais c'est un livre pour moi!

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  4. un livre que j'ai en effet beaucoup aimé , merci à toi pour le clin d'oeil en espérant que beaucoup d'internautes liront ton post et se jetteront sur le livre

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    1. Oui c'est tout ce que l'on souhaite !

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  5. Ma seule lecture (mais quelle lecture) de ce genre était "Une année à la campagne" de Sue Hubbell, et j'ai un gros faible pour la campagne anglaise! Je vois qu'il en a écrit un autre sur le mouton, pas encore traduit, mais sûrement savoureux également.

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    1. Ah j'avais beaucoup aimé le livre de Hubbell !
      Il est éleveur de moutons, le récit de la tonte est d'ailleurs assez piquant. Évidemment, je ne peux pas nier un gros faible pour la nature anglaise.

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