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jeudi 12 septembre 2024

La nourriture rendait ma vie réelle, j’adorais ça et, en même temps, j’en avais toujours aussi peur.

 


Karolina Ramqvist, De pain et de lait, parution originale 2022, traduit du suédois par Marina Heide, édité en France par Buchet Chastel.

 

Il est surtout question de riz au lait, plus que de pain (et c’est pas bon le riz au lait) (je vous assure).

La narratrice commence par un souvenir d’enfance, quand elle a mangé toutes les clémentines du sachet et fait une réaction allergique. Et puis elle raconte les petits déjeuners avec sa mère, du pain, de la margarine et du lait, et le riz au lait que lui faisait sa grand-mère, qui constituait à lui seul un repas. Riz au lait qu’elle refait un soir pour sa propre fille, qui n’y goûte même pas, ce qui la jette dans une fureur sans nom et disproportionnée.


Mamie, en tant que mère et épouse d’après-guerre, avait dû être guidée par l’image de la femme qu’elle devait incarner. Moi aussi, j’avais des tas d’idées sur celle que je voulais être. Je débordais d’attentes et d’envies concernant mon existence, mais je ne semblais pas pouvoir y répondre sans me défaire d’une part de moi-même. En sortant le plat du four plus tôt dans la journée, je m’étais représentée la soirée, et en éteignant le gaz et retirant mon tablier, j’avais visualisé le dîner. Le regard perdu dans le riz au lait, je nous avais vues à table, elle et moi, je m’étais imaginée lui montrer qui j’étais, tout l’amour que j’éprouvais pour elle et pour ceux qui nous avaient précédées, mais qui n’étaient plus de ce monde.


Peu à peu, sans que cela ne soit dit, nous comprenons que nous sommes dans un récit du rapport à la nourriture, comme un exercice de thérapie comportementale, mais sans qu’aucun terme médical ne soit employé. Cet exercice, nous pourrions tous le faire, parce que nous nous souvenons tous de la première fois où nous avons fait tel plat, ou des plats concoctés par telle personne, ou des repas très différents des nôtres que mange untel. Mais pour la narratrice, cette histoire, qui est aussi celle de son enfance, présente un enjeu particulier, qui ne nous sera pas vraiment dit.

J’ai bien aimé ce balancement entre un sujet commun à tous et un sujet dont on comprend progressivement qu’il est particulier pour le personnage. Cela suscite des questions en nous. J’aime bien également le traitement pudique qui en est fait, avec énormément de choses non dites, parce qu’elles détourneraient du sujet principal : les activités professionnelles, les éventuels problèmes de santé induits par la façon de se nourrir, les relations amoureuses, les relations avec les enfants, etc. Le récit se concentre sur la préparation du repas et sur l’acte de manger et sur ce qu’il procure au fil des années.

Joachim Bueckelaer, Les Crêpes, XVIe siècle, York Treasurer's House



Évidemment, il est beaucoup question des femmes : celles qui font à manger, celles qui ne mangent jamais à table, celles qui picorent tout en cuisinant, celles qui font une cuisine traditionnelle et celles qui se tournent vers les épices, l’ail et les produits italiens, celles dont on a l’impression « qu’elles ne font pas attention », celles qui cuisinent pour leur famille, celles dont on dit que c’est normal si les femmes ont un problème avec la nourriture et qu’il ne faut pas s’en inquiéter et la surprise de découvrir un homme aussi attentif à la cuisine. Tout ce que l’on projette dans nos petits plats.

 

Quand j’étais chez mes grands-parents, ou quand ils nous rendaient visite, il y avait toujours quelque chose de bon, et je me souviens avoir trouvé étrange que ce soit aussi systématique. Que quelque chose puisse être aussi fiable dans la vie. Manger suscitait des sensations susceptibles de retenir toute mon attention, la nourriture me comblait non seulement physiquement, mais à tous les points de vue, il était presque choquant qu’une action si banale puisse avoir une telle force. Elle stimulait au fond de moi quelque chose qui m’aidait à me sentir vivante, en sécurité, comme n’importe qui sur cette planète. Du moins tel que je le croyais.

Je ne suis pas sûre d’avoir compris à l’époque que c’était justement ce qui m’éloignait des autres. J’ignore si je l’ai senti quand c’est arrivé, ou si les choses se sont faites progressivement avec le temps. La nourriture formait un refuge au fond de moi, dans lequel je pouvais me glisser sans risque d’être dérangée.

 

Un livre qui rejoint la bibliothèque de la cuisine.

Le billet d’Eva.




14 commentaires:

  1. Aurais-tu été traumatisée par le riz au lait de la cantine (j'en connais un autre :) ?

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    1. En vrai je n'en ai jamais mangé parce que l'aspect me répugne totalement (le côté mou, là, granuleux). C'est dommage parce que ma mère en faisait pour ma soeur et elle.

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    1. Mais j'imagine que le passé, l'expérience et le rapport à la nourriture de la lectrice jouent beaucoup sur la réception du livre.

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  3. Je n'aime pas du tout le riz au lait, ça me répugne aussi. D'ailleurs je n'aime pas tellement les laitages. A trois ans j'ai demandé du thé.Seule ma grand-mère paternelle en buvait.

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    1. C'est courant de ne pas aimer les laitages. Ceci dit, cela n'empêche pas de lire ce livre, qui est très bien.

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  4. il a l'air particulier ce livre... pourquoi pas! Sinon, moi j'aime bien le riz au lait, mais fait maison !

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  5. Non, le livre ne me dit rien mais le riz au lait j'adore !

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  6. Je vois qu'il y a le camp des pour et celui des contrele riz au lait ☺️. Je suis une fanatique du riz au lait (à mon grand désespoir, toute ma petite famille déteste, donc je comprends très bien ce qu'écrit l'autrice dans un des extraits que tu cites). J'aime moi aussi l'idée de ce contraste apparent entre universel et personnel, je fais donc remonter ce livre dans ma liste à lire (je l'avais repéré chez Eva).

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    1. Oui tout le monde a son avis sur le riz au lait, mais le livre parle surtout du rapport à la nourriture et à la construction de soi.

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  7. Souhaites-tu savoir ma position sur la question du riz au lait?

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    1. Écoute, je ne sais pas, j'ai lancé une grande polémique qui me dépasse visiblement.

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