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samedi 17 mai 2025

Tintoret à la Scuola Grande di San Rocco

 

Le blog est à Venise et aujourd'hui...

La Scuola di San Rocco est l'une des plus riches scuole de Vénise (toujours active), luttant notamment contre les épidémies de peste (le saint n'est pas choisi au hasard). Elle héberge les reliques de Saint Roch.

Le bâtiment comprend : une salle inférieure dite terrena, un grand escalier qui amène à la salle supérieure, lieu des réunions des membres de la confrérie, et une troisième petite salle, dite Sala dell'Albergo, lieu de réunions de certaines commissions.


Il y a une belle façade Renaissance, par Antonio Scarpagnino.
Mais si le lieu est connu, c'est parce qu'il est orné de plusieurs dizaines de toiles de Tintoret.

Oui, je suis entrée dans la salle supérieure comme une reine, il n'y avait presque personne, le lieu était empreint de sa magnificence. Et comme si je connaissais déjà les lieux (de fait, j'ai fait cours dessus il y a longtemps), j'ai traversé la salle en sachant où j'allais...

Je me dirige droit vers la salle de l'Albergo, en espérant qu'il n'y ait personne - il n'y a personne et je suis face à elle. On l'aperçoit à travers la grande porte et nos pas nous rapprochent doucement de l'immense Crucifixion de Tintoret.

On n'en finit pas de la détailler, avec ses couleurs crépusculaires et ses nombreuses figures, mais je sais qu'il me faut me retourner et lever la tête pour voir - enfin - la toile qui est au-dessus de la porte que je viens de franchir...

L'Ecce homo, le fameux. Pilate, dans sa robe rose, est descendu des marches et s'avance vers nous. Il nous montre (oui, à nous qui venons de voir la Crucifixion) Jésus, à demi-allongé sur les escaliers, nu superbe et athlétique. Sur le côté, un homme en armure rutilante. Rouge le sang sur le drap que l'on déploie, rouge les reflets du sang sur la cuirasse, rouge les chausses, rouge et rose... le spectateur est directement pris à partie par la peinture.

(franchement, cet emplacement, quelle idée géniale)

Ensuite, on reprend son souffle, on sort l'appareil photo et le guide et on regarde les détails, alors que les autres visiteurs commencent à arriver.


Les hommes qui unissent leurs efforts pour hisser la croix d'un larron. Tintoret a étudié l'art de Michel-Ange et on voit bien son goût pour les figures maniéristes et les tours de force. C'est avec ce genre de motif qu'il montre sa maîtrise des raccourcis anatomiques.

es toiles illustrent la vie de Jésus, mais aussi des épisodes de l'Ancien Testament. Ici une Marie-Madeleine dans un paysage mélancolique, d'une très belle lumière, et une Cène.

Le lieu est superbe et j'ai passé un certain temps devant toutes ces peintures.
Les plus cultivés d'entre vous se rappelleront que dans Tout le monde dit I love you Woody Allen et Julia Roberts se rencontrent dans la Scuola di San Rocco.

De l'autre côté de la rue, il y a l'église San Rocco, elle aussi ornée de toiles de Tintoret. Il ne faut pas bouder son plaisir.

Tintoret ?
Jacoppo Robusti dit Tintoretto, le Tintoret (le père était teinturier).
Célébré (ou critiqué) pour son audace, sa rapidité de pinceau et son mauvais caractère.
Il naît et vit dans le quartier de la Madonna dell'Orto, église où il est enterré.

La façade en briques est superbe, mais les toiles du choeur sont mal éclairées, ce qui est un peu dommage (il y a pourtant une impressionnante Présentation de Marie au Temple avec un point de vue en contre-plongé saisissant).

La carrière de Tintoret illustre très bien le caractère hautement concurrentiel de la vie artistique à Venise à cette époque (le Louvre a d'ailleurs organisé en 2009 une exposition intitulée Rivalités à Venise qui était très intéressante à ce sujet). Il cumule les anecdotes de commandes raflées au nez de ses confrères grâce à telle ou telle habilité. Il a amplement activé tous ces subterfuges à la Scuola di San Rocco.

Comme tous les artistes, il coordonnait un grand atelier pour mener à bien tous ses projets. Deux des enfants, Domenico et Marietta, semblent avoir été particulièrement doués.
Ses œuvres se voient dans un grand nombre d'églises de Venise, mais aussi dans des musées partout dans le monde.


Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer cette incroyable Crucifixion conservée dans les galeries de l'Accademia. Plusieurs dizaines de figures s'entassent là avec les chevaux, un ciel tirant vers le violet, des couleurs acides et... un gars planté au premier plan avec un immense drapeau rose, qui tourne le dos à la scène. Ça a de l'allure. 



Le sauvetage du corps de Saint Marc (pendant une tempête), toujours à l'Accademia, fait partie d'un cycle consacré au saint patron de Venise. Pavement et architecture rectiligne, corps athlétiques et contorsionnés, ciel d'orage, draperie rose au premier plan. Les silhouettes qui s'enfuient à l'arrière-plan sont traitées par un pinceau léger et rapide, un trait blanc qui n'efface pas le décor, comme des fantômes ou des fumées. C'est aussi une des spécialités de Tintoret : sa capacité à camper un motif par un barbouillis impalpable, qui n'est rien d'autre qu'une absolue maîtrise de son art.

Je ne compte pas les églises de Venise où l'on peut admirer les toiles de Tintoret, je crois qu'il y en a absolument partout.

Les semaines précédentes : Départ en train pour Venise : balade le long des canaux ; Vittore Carpaccio à la Scuola Dalmata degli Schiavoni ; Titien à l'église des Frari ; Véronèse à l'église San Sebastiano

La semaine prochaine : un autre peintre, un autre lieu.


14 commentaires:

  1. Fichtre, quelles merveilles. je termine avec ces figures dans le 'brouillard, que je trouve très modernes (je viens de terminer un peu de Villes obscures)

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    1. Oui, ces traits sont à la limite de la figuration, d'une grande audace.

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  2. Tu as pu profiter de la Crucifixion fraîchement restaurée! 😍 Je l'ai vu plusieurs fois, mais la toile était plus sombre. Et l'an dernier, le tableau était inaccessible, les restaurateurs travaillant encore dessus. Régis Debray a écrit un très joli texte sur cette Crucifixion: "Tintoret: le sentiment panique de la vie", mais je ne sais plus dans quel recueil.

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    1. Cela doit être frustrant (mais les restaurations sont indispensables et moi, ce sont les Carpaccio que je n'ai pas pu voir à l'Accademia). C'est un tableau incroyable.

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  3. Même si le Tintoret n'est pas mon peintre préféré je suis capable de rester des heures pour détailler un tableau et la Crucifixion en fait partie
    comme tu le dis les personnages et les couleurs sont extraordinaires et les yeux fouillent partout, il y a toujours un détail que l'on a raté

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    1. Préféré, je ne sais pas, mais c'est un peintre qui m'impressionne beaucoup. Je ne sais pas ce qu'il faut avoir en tête en pleine Renaissance pour tracer un zigzag blanc sur une peinture et que cela fasse des personnages.

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  4. quel bonheur d'être presque seule devant ces oeuvres... j'ai souvenir pour moi hélas d'un grand groupe en même temps!

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    1. J'ai eu de la chance, je suis arrivée tôt, avant les groupes.

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  5. L’Italie c’est vraiment l”Art dans toute sa splendeur.
    J’ai lu récemment PD James,”Les fils de l’homme”,genre SF et ” Meurtres en soutane”.

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    1. J'aime bien James, c'est réconfortant comme des vieilles pantoufles (et plaisir de retrouver l'Angleterre).

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  6. C'est superbe. Merci pour le partage

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  7. magnifique! que j'aimerais retourner à Venise!

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    1. Là, c'est trop tard, il faut attendre la fin des beaux jours.

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