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mardi 17 septembre 2024

Nous sommes nous-mêmes la guerre, et le pèlerinage, et ce Saint-Sépulcre, vide depuis déjà plus de mille ans.

 

 

Tiit Aleksejev, Le Pèlerinage, publication originale 2008, traduit de l’estonien par Jean Pascal Ollivry, édité en France par les éditions Intervalles.

 

Fin du XIe siècle, première croisade. Le narrateur, un certain Dieter, âgé et vivant dans un monastère du Sud de la France, raconte comment, enfant, puis jeune homme, il a appris à manier l’épée et, dans les troupes du seigneur de Toulouse, s’est retrouvé dans cette immense armée, dans ce peuple, qui s’est mis en route, à pied jusqu’à Jérusalem. Le roman raconte cette longue et interminable pérégrination, ce presque chemin de croix, jalonné de morts, de souffrances subies et infligées, de combats terrifiants, de rencontres avec un autre monde.


Je m’appelle Dieter. J’ai été quelqu’un d’autre, naguère, mais cet autre ne veut plus rien dire. Le pays de mes origines a changé, et tous ceux qui se souvenaient de moi sont morts. Qu’est-ce qu’un pays, après tout, et un peuple ? Une goutte d’eau dans un seau d’eau, rien de plus. J’ai essayé, pourtant. Essayé de retrouver le rivage natal. Dans les manuscrits, les cartes, les récits de voyages. Il n’existe nulle part. Mais je me rappelle son ciel chargé de nuages, la brume au-dessus de ses prairies, la trace laissée par le serpent à tête ronde qui rampait au milieu des foins. Et je sais que je n’ai pas rêvé.

C’est le début.


C’est un roman d’apprentissage.

Quel destin est-il promis au narrateur ? Il a des rêves et des visions. Je me demande s’ils font de lui un être exceptionnel ou s’ils sont communs à cette époque de récits surnaturels, où des statues de dieux morts parsèment le chemin du désert, où la faim ou l’alcool brouillent la vision, où l’on prêche la fin du monde et les miracles, ou si c’est un peu des deux.


Le discours d’Urbain avait éveillé en moi un désir extraordinaire. Les fondations en étaient sombres et profondément ancrées en moi, mais au-dessus s’élevaient des voûtes blanches, des tours dorées et des toits flamboyant dans le soleil couchant.


Pour autant que je sois capable d’en juger, il me semble que le roman traduit très bien quel pouvait être l’état d’esprit d’un jeune homme curieux et courageux, embarqué dans la plus grande épopée de son temps, découvrant la lâcheté et la violence irraisonnée, mais se découvrant lui-même, rencontrant des Juifs, des Grecs, des Normands de Sicile, etc. Ce qui importe, est-ce réellement Jérusalem ? Ou plutôt le long chemin pour y parvenir, avec la longue succession de peines, d’espoirs et d’amitiés jalonnant les pas des hommes et des chevaux ? C’est un collectif dont chacun se sent part.


Nous marchions à la rencontre des païens, sur une route dont des païens avaient posé les pierres, et il nous semblait qu’aucune armée au monde ne serait capable de nous arrêter. Car nous étions choisis par Lui, d’une extrémité du firmament à l’autre, et nous n’avions que faire d’apparitions, d’auréoles ou de fanfares angéliques.


Je confesse pourtant être très légèrement restée en dehors, je ne sais pas exactement pourquoi. Quelque chose dans le ton ou dans le style, qui ne doit pas être très important, car j’ai lu le roman jusqu’au bout, attachée au personnage, et appréciant le résultat.

Je note l’extraordinaire église Sainte-Sophie de Justinien qui éblouit notre petit soldat, tout comme les anciens thermes romains. Et puis le récit des batailles est très réussi.

Coffret reliquaire des Saints Tibère et Benoit, avec un chevalier, vers 1400, Palais Madame, Turin 
 

Je donnai des éperons, et le cheval s’élança en avant. Il filait loin de toute cette horreur, loin jusqu’au bout, jusqu’à la ligne où commençait la voûte de cristal, où l’extrémité du monde se rue dans les profondeurs et où il fallait coûte que coûte un passage, dans le fracas du cristal brisé.

 

Cette connaissance passait au-dessus de moi comme des morts sortis de terre, comme une charge qu’on ne peut plus repousser et qu’on affronte le dos droit, l’épée brandie au-dessus de la tête, et on bascule dans les ténèbres sans avoir lâché son épée. Car on peut perdre, et l’on perd bel et bien, mais les choses qui tranchent et celles qui éclairent, il faut les garder jusqu’au bout.

 

Le but était la chose elle-même : les lanières de cuir marquant les épaules, des deux côtés, comme un signe de croix, la feuille d’acier et la courbe de l’arbalète, le vent du désert, le sang bourdonnant aux oreilles, la soif, encore la soif, et l’excitation, de plus en plus intense : maintenant ? maintenant ? maintenant ? La peur que le sentiment d’être vivant ne puisse jamais être plus fort.

  

En refermant le livre, j’ai la sensation d’un texte se suffisant à lui-même. Dans les dernières lignes, le soleil se lève sur Jérusalem qui apparaît au loin, là-bas, à l’horizon, et l’on sait que Dieter y parviendra et qu’importe qu’on ne comprenne pas toutes les allusions à des événements futurs non advenus.

Le billet de Passage à l’Est souligne que le volume se clôt bien avant l’arrivée à Jérusalem, avec de nombreuses questions ouvertes, et m’apprend qu’en réalité il s’agit du premier volume d’une trilogie (mais les deux autres volumes ne sont pas traduits). 

Le billet de Lili Galipette parle d'« un roman historique au souffle épique » (mais elle trouve la fin abrupte).


Participation à la quinzaine balte organisée par Sacha.

 

Dans le cadre de ces deux semaines sur la littérature des pays baltes, ayant précédemment apprécié Le Fou du tzar de Jaan Kross, j’avais commencé à lire Le Départ du professeur Martens. Las. Abondance de noms propres et d’allusions à des faits historiques, à des épisodes diplomatiques, avec des allers-retours peu clairs dans le temps. Abandon après 70 pages. 

La lecture d'Aleksejev constituera donc mon unique participation à la quinzaine balte.



 

10 commentaires:

  1. Pour cette quinzaine je n'ai lu que le fou du tzar (oui, comme un roman, pas la peine de creuser l'historique)
    Pour l'année de la victoire, il y a une date prévue? (j'ai pensé à emprunter le livre!)

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    1. @Keisha : C'était bien le fou, un bon roman historique.
      Et pour Rigoni c'est le 24 octobre, le titre est au choix, mais ravie de te compter parmi nous.

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  2. Ce roman m'a l'air tout à fait passionnant et pourtant, les croisades ne m'intéressent guère d'habitude. Il est fort dommage que les autres volumes de la trilogie n'aient pas été traduits pour l'instant... Merci pour ta participation ! (Pour ma part, j'ai adoré Le départ du professeur Martens que j'ai lu pour la LC du 27 : tous les goûts sont dans la nature 😉).

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    1. @Sacha : c'est vachement bien les croisades ! (et oui, les goûts, les couleurs, tout ça).

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  3. J'ai lu pas mal sur les pays baltes et j'aime assez en général je note ce livre même si tu mets un peu de restriction

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  4. Je n'avais pas pensé à un roman historique pour la quinzaine consacrée aux pays baltes mais c'est une excellente idée. Dommage pour les bémols

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    1. Oh avec la lecture commune Kross, tu vas en avoir des romans historiques !

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  5. Je garde un bon souvenir de Le pélerinage (l'écriture, les personnages, le mystère autour de "Dieter"), un peu moins bon de Le départ du professeur Martens qui m'a paru un peu longuet.

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