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jeudi 24 octobre 2024

Après ce grondement incessant qui semblait ne jamais devoir finir vint enfin un silence profond et impressionnant que, dans le coin, on n’avait pas entendu depuis quatre ans.

 

Mario Rigoni Stern, L’Année de la victoire, parution originale 1985, traduit de l’italien par Laura Brignon, lu dans l’édition de 2024 de Gallmeister.

 

Novembre 1918, l’Italie fait partie des vainqueurs de la guerre (mais ne se débrouille pas très bien lors des négociations) et les villageois qui ont abandonné leurs maisons dans les montagnes, à la frontière avec l’Autriche, espèrent bien rentrer chez eux. Hélas, tout est détruit et tout est à reconstruire.


Matteo et son père regardaient le cœur serré, sans parler : pour eux, ce n’étaient pas seulement des décombres, mais la fin d’un monde, d’un village et de coutumes nées quand nos ancêtres avaient choisi de s’installer sur cette terre dont personne ne voulait parce qu’elle était trop reculée, difficile d’accès et sauvage, à savoir couverte d’épaisses forêts. Tous deux n’avaient peut-être pas appris ces choses, mais ils les sentaient instinctivement, car ils faisaient partie de ces décombres de maisons, de ces forêts sans plus un arbre vivant, de ces pâturages sans herbe.


Le livre raconte la vie dans la famille de Matteo, un garçon de 15 ans, durant l’année 1919. La découverte du terrible paysage de ruines qui a remplacé celui des maisons et des alpages : les armes et les munitions jonchent la terre, le potager a servi de cimetière, les bombardements ont détruit les murs et le sol, les cadavres et les morceaux de ferraille ont remplacé les fleurs. Sur ce paysage dévasté, on s’attelle à reconstruire, sans attendre l’aide du gouvernement, et malgré les interdictions militaires diverses. Le monde est aussi en ébullition. Et pourquoi s’est-on battu ? Pour ça ? Et où est la paix ?

Un roman qui me laisse un sentiment mitigé.

J’apprécie grandement le récit d’un monde disparu, la peinture des destructions et du chaos, le difficile retour chez soi – même si tant de choses ne reviendront jamais. Il y a aussi toute la richesse humaine du village. C’est une sorte de vue panoramique, un genre de tableau flamand d’un monde qui a été ravagé et qui se reconstruit en se transformant et qui ne réapparaîtra pas. C’est un monde où on achète les semences des plantes, le volume d’un dé à coudre – autant dire qu’il ne faut pas rater ses semis.

Je comprends que Rigoni a voulu faire un récit tout à la fois réaliste et une fable, mais ce dernier pan me semble un peu trop accentué. Les personnages manquent d’épaisseur. Les femmes font la polenta et la lessive.

Il y a le retour d’un immense troupeau de mouton qui traverse le village et qui met tout le monde en joie – comme dans Le Grand troupeau de Giono.

 

Plus loin, c’était la fin de la futaie. Pas à cause du climat ou de l’altitude, car autrefois la végétation de sapins et de mélèzes arrivait bien plus haut, mais parce que les troncs avaient été fracassés par les bombardements, sciés par la mitraille, et l’herbe et les arbustes tués par le gaz. Les pierres à nu noircies par les explosions ou jaunies à cause des explosifs, ou blanches car exhumées après des millénaires, paraissaient les os brisés de la Terre.

Horovitz, Batterie de montagne sur le Monte la Gusella, 1917, Vienne Heeresgeschichtlisches museum
 


Ici il est écrit que dans ce village on parle cimbre.

On apprend brièvement au début du livre que Tönle est mort.

Malgré tout, je pense lire le troisième volume de cette sorte de trilogie thématique, mais ensuite, je reviendrai à ses récits de montagne.


 Rigoni Stern sur le blog :

Hommes, bois, abeilles : la vie dans la montagne
Le Sergent dans la neige : la très longue retraite de l'armée italienne en Russie pendant la Seconde guerre mondiale, un chef d'oeuvre
Retour sur le Don : des récits de l'armée italienne dans les confins russo-ukrainiens 
Histoire de Tönle : un berger et son village à la frontière de l'Italie et de l'Empire, au temps de la Première guerre - une évocation très réussie


C'est une lecture commune et une participation à la quinzaine italienne d'Eimelle.

Keisha a lu L'Année de la victoire. Alex a lu L'Année de la victoire et nos deux avis sont très proches. Eimelle a aussi lu L'Année de la victoire mais c'est la plus enthousiaste ! Ingannmic a lu L'Histoire de Tönle et elle a beaucoup aimé (elle a raison).



16 commentaires:

  1. Tu as très bien résumer le ressenti du lecteur. Mario Rigoni Stern donne "une vue panoramique" du village. J'ai eu la même sensation de "manque d'épaisseur" des personnages. Le lecteur n'entre pas dans leur intimité, il les regarde de loin. Pour autant, je ne suis pas déçue du tout de cette lecture. Le roman a une grande force d'évocation.

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    1. Oui je ne rejette pas tout mais j'ai eu du mal à m'intéresser à ces gens.

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  2. merci de m'avoir fait découvrir cet auteur j'ai trouvé cela très intéressant !

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  3. Exact il y a un côté documentaire se mêlant parfois mal à la vie des personnages, mais j'ai aimé et pense continuer. Évidemment j'ai préféré le seul que j'avais lu, plus'nature'

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    1. Le côté documentaire m'intéresse plus que les personnages. Je suis d'accord, les livres natures me semblent mieux.

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  4. Je découvre cet auteur avec cette lecture commune. Visiblement, il vaut la peine d'être lu, même si pour ce titre deux avis sont plus "tièdes". Je note Le serpent dans la neige d'abord parce que tu dis chef d'oeuvre et puis la retraite de l'armée italienne en Russie, je n'en ai jamais entendu parler !

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    1. Le sergent (que j'appelle partout le lieutenant... bref) pas le serpent. Et oui il est vraiment bien.

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  5. Tu as plus de réserves que tes co-lectrices... je vais aller lire tes autres billets sur l'auteur pour voir avec lequel je pourrais continuer.

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  6. j'ai l'impression de bafouiller mais je redis ici ce que j'ai dit ailleurs j'aime cet auteur qui m'est très cher car je l'ai découvert au tout début des éditions de son oeuvre et je garde donc pour lui une admiration certaine et une joie de le lire au fur et à mesure des parutions

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    1. Tu as bien raison. J'ai des bémols sur certains titres mais c'est un auteur original, que j'apprécie (d'ailleurs vu le nombre de titres que j'ai lus...).

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  7. Hihi, ton commentaire sur les femmes qui font la polenta et la lessive m'a bien fait rire. Sinon, je me dis que le titre L'année de la victoire est bien trouvé pour souligner l'ironie entre le concept de victoire et la réalité que vivent les habitants ...

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    1. Je vais m’en faire ce soir de la polenta, avec des champignons.
      Oui le titre est dune ironie amère, c’est très bien trouvé.

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  8. oh la la! j'ai loupé la lecture commune. pourtant je l'aurais lu volontiers. Ce n'est que partie remise

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    1. Il y en aura une autre, on est chaud pour le troisième volume !

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