Jean Giono, Le Grand troupeau, 1931.
Un grand roman sur la
Première guerre mondiale.
Le roman commence
alors que les jeunes hommes viennent juste de partir au front et il s'achève
avec leur retour, mutilés mais vivants, vivants parce que mutilés. Le roman ne
raconte pas seulement la guerre et les soldats mais aussi la vie des civils à
l'arrière et montre comment tout le pays a vécu ces années.
Puis ça revenait au silence, non pas au beau silence des bruits d'herbe, mais à ce silence épais et lourd, ce silence de dessous de couvercle, cet air étouffé entre la terre gorgée d'eau morte, noyée, et les lourds nuages à gros muscles qui semblaient mouiller la lessive du monde. On ne voyait pas les nuages dans cette nuit. On les sentait, on les entendait passer et se tordre ; on en avait le poids sur les épaules et le cœur.
Nous suivons donc
Joseph et Olivier partis combattre. L'horreur des obus, des tranchées, les copains
qui meurent dans les bras, les cadavres qui remontent de la terre, les rats et
les corbeaux qui mangent, les chevaux qui meurent aussi, les hommes qui parlent
aux fantômes... Giono raconte ce qu'il a vu. Peu de combats, il y a tout juste
un Allemand dans ce roman, mais des hommes qui avancent sans savoir dans quelle
direction, qui sont bombardés, déchiquetés, qui se vident dans la boue. Pendant ce temps, en
Provence, les céréales et les bêtes ont été réquisitionnés. On guette et on
craint l'employé de la mairie chargé d'annoncer les morts. Les champs sont
abandonnés et les mauvaises herbes recouvrent les chemins. Les femmes se
languissent de leurs hommes et des catastrophes peuvent parfois se produire.
Otto Dix, La guerre, 1923-24, eau forte. |
La guerre, c'est aussi
le mal que les hommes font à la nature, aux bêtes et au monde, la plongée dans
un monde de technique et de barbarie, l'oubli de la terre et des étoiles. À cet
égard, l’évocation du grand troupeau de moutons dans les premières pages est
magistrale pour traduire la violence généralisée de ce monde-là. La guerre est
vue comme une malédiction que les êtres humains envoient à la Terre, mais ici,
ce sont des paysans qui font la guerre et eux, justement, ne s'intéressent qu'à
la terre, dans toute sa richesse.
Le tout porté dans la
langue magnifique de Giono.
Ah ! l'autre fois, elle en avait lâché la fourche, et puis, en se baissant pour la ramasser, elle s'était emplie d'odeur à ras bord et le geste avait fait tourner sa chair au fond des linges, une chair grenue comme la peau des poules et toute prête à s'épanouir et qui languissait. Et ça avait été pour elle comme si elle avait eu la tête perdue dans des feuillages et culture vent. À quoi bon fermer les yeux et se faire raide depuis le talon jusqu'au cou, puisque ça traversait les paupières et que ça connaissait les charnières qui font plier le corps, puisque, somme toute, c'était bon, puisque, tout compte fait, ça n'était pas défendu.
c'est un des romans de Giono qui m'a le plus marqué
RépondreSupprimerd'une certaine façon avec pas tout à fait le même talent mais Glaise de Franck Bouysse raconte l'envers de la médaille, ceux qui restent au pays
Oui, même si presque tout est bon dans Giono, celui-ci est particulièrement extraordinaire.
Supprimerj'ai noté le nom de Bouysse en effet.