La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 20 juillet 2021

Chef, on la reverra-t-y, la maison ?

 Mario Rigoni Stern, Le Sergent dans la neige, parution originale 1953, traduit de l’Italie par Noël Calef.

 

Rigoni raconte la retraite de l’armée italienne en Russie à la fin de la Seconde guerre mondiale. Ou plutôt, car il n’y a aucune date, et qu’un seul lieu, le fleuve Don, il raconte les camarades, ceux qui se battent, qui luttent contre le froid et les ennemis, qui marchent dans la neige et qui ne pensent qu’à rentrer à la maison. Hélas, bien peu rentreront.


Meschini écrasait du café dans son casque avec un manche de baïonnette. Bodei faisait bouillir des poux. Moreschi reprisait des chaussettes.


C’est un récit puissant sur la guerre, qui happe le lecteur. Les visages des hommes embarqués là-dedans ne le lâcheront pas.

Ici, il n’y a aucune information d’ordre militaire ou géopolitique, car le projet de Rigoni est simplement de raconter les cigarettes que l’on fume dans la neige, le froid, les munitions qui manquent, les kilomètres parcourus à pied dans la neige, la faim, la fatigue extrême, l’épuisement physique et psychologique – si vous tombez dans la neige, vous y resterez.


Il perd son sang par un tas de blessures légères à la tête et aux bras. Il a les jambes fracassées par un coup d’antichars. Il geint et il pleure :

- Mon gosse ! Mon gosse !

Je lui remonte le moral comme je peux.

- C’est pas grave, de lui dis, courage, Minelli, il y a les brancardiers tout près, ils viendront te chercher.

Je sais bien que c’est faux. Le diable seul sait où sont en ce moment les brancardiers.


Il est question des Alpins, ces gars des montagnes italiennes, envoyés combattre dans l’hiver russe. Ils se terrent dans de longues tranchées, mais quand l’ordre de repli est donné, il leur faut parcourir une interminable marche pour espérer rejoindre une gare. Marcher le jour, marcher la nuit, en longue colonne démembrée, suivre les étoiles, c’est l’hiver, la neige monte haut, les doigts et les pieds gèlent, on cherche les camarades, si on est blessé, on est fichu. De temps en temps l’armée en déroute tombe sur des habitations qui sont envahies par les hommes épuisés (sale temps pour les civils), qui s’arrachent les patates, le lait, le miel. Les Russes harcèlent ces fuyards, les chars allemands accompagnent la longue colonne de fantassins, il faut sans cesse être sur ses gardes et se préparer à se battre. L’Italie est si loin de ce pays désespéré.

Plus que tout, il y la terreur de ne jamais revenir.

C’est un livre pour se souvenir des copains, de leurs habitudes, de leurs agacements, de leur façon de parler et de chanter, de ceux qui ont sans cesse soutenu le moral les uns les autres.

 

Chabaud, Bord de mer, 1905, Pompidou en dépôt au musée Fabre

Parfois, un homme tombait dans la neige et se remettait sur pied péniblement. Le vent se leva. D’abord insensible, puis plus fort, enfin il souffla en tempête. Il arrive, libre, immense, de la steppe illimitée. À travers l’obscurité glacée, il tombait sur nous, pauvres malheureux, égarés dans la guerre ; il nous secouait, nous ébranlait. Il fallait s’accrocher à la couverture dont nous avions recouvert nos têtes et nos épaules. Mais la neige pénétrait quand même, piquant le visage, le cou, les poignets, comme des aiguilles de pin. Nous avancions, l’un derrière l’autre, tête basse. Sous la couverture et le treillis blanc, on transpirait mais, dès qu’on s’arrêtait une seconde, le froid nous faisait trembler. Bourré de munitions, le sac augmentait de poids à chaque pas. Nous avions l’impression que d’un moment à l’autre nous allions nous abattre comme de jeunes sapins ployant sous le fardeau de la neige. « C’est fini, je vais me laisser tomber et ne me relèverai plus. Encore cent pas et puis je jette les munitions. Mais elle ne finira donc jamais cette nuit ? Elle ne s’arrêtera jamais, cette tempête ? » Et on marchait quand même. Un pas après l’autre, un pas après l’autre, un pas après l’autre.

 


8 commentaires:

keisha a dit…

Je n'ai lu qu'un de ses titres, et j'avais beaucoup aimé!
(et l(invention de la nature, j’attends tes impressions ^_^)

nathalie a dit…

Ah ça Dominique et toi m'avez précédée dans le sillage d'Humboldt. Je n'avance pas vite, mais j'avance.
J'ai encore plusieurs titres de Rigoni à lire, mais celui-ci est un chef d'oeuvre.

Dominique a dit…

un de mes auteurs fétiches, j'ai lu tout ce qui a été traduit en français avec intérêt émotion et même passion un de ces auteurs rares qui s'est fait une belle place dans ma bibliothèque

nathalie a dit…

Cela fait longtemps que je veux le lire. D'ailleurs j'ai déjà plusieurs titres dans ma bibliothèque, mais je ne m'y étais pas encore attaquée. Il est grand temps !

miriam a dit…

Un auteur que j ai aimé mais pas lu ce titre il faudra y penser

Nathalie a dit…

C’est avec ce titre qu’il s’est fait connaître.

Passage à l'Est! a dit…

Je me souviens avoir découvert l'auteur chez Dominique, avec "Histoire de Tönle". Je prend note aussi de celui-ci, sans savoir quand je pourrai mettre la main sur un exemplaire!

nathalie a dit…

Il faut que je lise Tönle également.