Mario Rigoni Stern, Histoire de Tönle, parution originale 1978, traduit de l’italien par Laura Brignon.
Le narrateur raconte à un voisin l’histoire de Tönle, un homme qui vit dans les Alpes, à la frontière de l’Italie et de l’Empire austro-hongrois. Il est berger et il fait un peu de contrebande. Au début du livre, il blesse un douanier italien et pour échapper à la prison il s’enfuit. Pendant plusieurs années, il partage alors sa vie, l’hiver dissimulé dans la ferme, quand la neige est trop haute pour qu’on vienne l’arrêter, et à la belle saison travaillant dans l’Empire, vendant des estampes, élevant des chevaux, travaillant aux mines. La région se transforme, les hommes travaillent au loin ou partent en Amérique, le train arrive.
Les saisons passaient et revenaient : de la fonte des neiges jusqu’aux nouvelles chutes de neige, il allait par les villages et les États des Habsbourg, travaillant au hasard de ses étapes, gagnant parfois bien, parfois moins. L’hiver, il restait terré dans sa maison, ou dans le hameau, ou dans la forêt pour faire du bois, ou dans quelque cabane pour ne pas se faire attraper par les carabiniers qui ne l’avaient pas oublié et voulaient l’arrêter pour lui faire purger ses quatre ans de prison. Mais toujours, au début de l’hiver, vers Noël, il revenait à la maison aux premières heures de la nuit, après que le soir avait avalé le cerisier sur le toit de chaume.
La seconde partie du roman est prise par le récit de la Première guerre mondiale, sur cette région de frontière, proche de Trieste, très disputée, où les villages sont bombardés par les uns et par les autres, et où nulle place n’est possible pour ceux qui parlent « notre vieille langue » (le roman ne le dit pas, mais il s’agit du cimbre), qui est assez proche de l’allemand.
Un roman court sur un berger têtu et taiseux, qui ne part jamais de chez lui, qui se préoccupe de son chien et de ses brebis, de sa maison et de son village. Un roman sur un coin de pays de montagne, où l’on mange la polenta, où la vie est rude, où l’hiver est long, qui se pensait loin du monde et qui est ravagé par la guerre.
C’est le récit d’un monde disparu avec toutes ses références.
Coffre en bois, 1900-1950, dépôt du Muséum au Mucem |
Tönle marmonna sa pensée dans sa barbe, convaincu d’une fatalité imminente : si le pâturage des moutons était permis dans une forêt où la pâture était interdite, et si les militaires tiraient au canon sur les pâturages des moutons, l’ordre des choses était bouleversé, et si de plus cela avait lieu ici, à la frontière avec l’Autriche, pays avec lequel on avait un pacte, il fallait bien en conclure que des temps houleux se préparaient.
Mais il n’y avait plus de prés : neige, cailloux, barbelés, cadavres de soldats, tout se mêlait. À la place du village, il y avait un tas de pierres ; et, au-dessus des tombes du cimetière derrière l’église, les grands arbres avaient disparu.
Je suis intriguée par le fait qu’il y ait de très nombreux noms de lieux (tous les hameaux, les villages, les montagnes, les forêts, les plateaux) mais pas celui du cimbre, ainsi que c’est le cas dans tous les romans de Rigoni Stern alors que l'usage de telle ou telle langue constitue souvent un ressort de l'action (je suis moins intriguée par la très inégale répartition des noms entre les hommes et les femmes).
Rigoni Stern sur le blog:
Lecture commune avec Je lis, je blogue.
ADDENDUM : Prochaine lecture commune autour de Rigoni Stern le 24 octobre ! À vos livres !
Fichtre, je n'en ai lu qu'un, je prévoyais continuer, et puis et puis. Merci pour la lecture commune!!!
RépondreSupprimerhttps://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2017/02/le-livre-des-animaux.html
Encore merci Nathalie de m'avoir fait découvrir cet auteur merveilleux. Son roman dénonce si bien la sottise de la guerre et bien d'autres choses encore. Comme tu le signales, le Cimbre n'est jamais mentionné et j'ai dû faire quelques recherches pour retrouver le nom du dialecte. Si tu as d'autres suggestions de lecture comme celle-ci, je suis partante.
RépondreSupprimer@Keisha : le titre que tu as lu a l'air d'être dans la lignée de celui avec les Abeilles etc., et tu es emballée. Je vais le noter.
RépondreSupprimerIl semble qu'une autre LC, automnale celle-là, se profile si tu es intéressée...
@JeLis : Mais oui ce curieux ce timbre caché ! On peut se caler une date à l'automne si tu veux (dans la montagne, on allumera un feu pour manger la polenta brûlante, ce sera bien).
Comme je l'écrivais chez JLJB, c'est chez toi que j'ai repéré cet auteur, que je n'ai néanmoins toujours pas lu. Ce rappel est donc bienvenu, d'autant plus que le décor de ce titre me rappelle Jours à Leontica, que j'ai lu récemment et beaucoup aimé. Il ne passe certes pas à la même époque, mais on y retrouve le même cadre et le même mode de vie..
RépondreSupprimer@Ingannmic : il est possible que l'on remette ça à l'automne, si tu veux te joindre à nous. L'auteur a pas mal écrit de courts livres.
RépondreSupprimerun des mes auteurs fétiches
RépondreSupprimerj'aime à peu près tout de lui même si parfois défauts il y a
Volontiers !
RépondreSupprimer@Dominique : j'avais été un peu agacée par le long récit de Retour sur le Don, mais pour ce roman, tout roule !
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