Virginia Woolf, Flush, parution originale 1933, traduit de l’anglais par Catherine Bernard.
Après un début un peu lourd, mais qui a pour fonction de se moquer des prétentions à l’aristocratie des chiens (et surtout de leurs maîtres), nous voici avec Flush, cocker roux anglais, commençant sa vie à la campagne et puis découvrant la vie de Londres auprès de Miss Barrett, quelque part au XIXe siècle.
C’est un texte de fantaisie, pas un grand roman, mais l’occasion pour Woolf de tester quelque chose.
Elle reconnaissait sa responsabilité et supportait ces inconvénients car, après tout, Flush l’aimait. Il avait renoncé au grand air et au soleil pour elle. « Il mérite qu’on l’aime, ne trouvez-vous pas ? » demandait-elle à Mr Horne.
Il y a tout d’abord le niveau de Flush : comment raconter la vie d’un être dont on ignore le fonctionnement ? Un animal qui vit par le flair et l’ouïe, mais peu par la vue. Un défi pour notre romancière qui imagine le récit des sensations et des impressions du chien, non sans humour.
Au fur et à mesure de la lecture, on se rend compte que Flush n’est pas un personnage de roman non plus que Mis Barrett (bon, les Anglais cultivés s’en seront rendu compte avant moi). C’est d’abord une fameuse poétesse et ensuite l’épouse d’un fameux Mr Browing que je ne connaissais pas, mais qui est un vrai monsieur quand même. Effet de lecture : ne connaissant aucun de ces deux auteurs, Flush me paraît aussi réel qu’eux. Bref.
La poétesse Barrett est d’ailleurs traitée avec sympathie par Woolf : une femme malade, mais qui rompt avec les conventions de son sexe et de sa catégorie sociale pour s’enfuir avec l’homme qu’elle aime.
C’est donc à travers la vie de leur chien que Woolf raconte quelques années de la vie de ces deux grands auteurs. Pas ici de grande biographie événementielle avec des dates de publication et de conférence, mais la vie intime et sensible, celle de la maison et des promenades, celle des sentiments aussi, car Flush est évidemment sensible à tout ce qui bouleverse les humains qui l’entourent.
Entre eux s’ouvrait le gouffre le plus profond qui puisse séparer deux créatures. Elle avait le don de la parole. Il en était privé. Elle était une femme ; il était un chien. Étroitement liés, à jamais distincts, ils restaient là à s’observer. C’est alors que Flush sauta sur le sofa et s’allongea là où il devait par la suite rester toujours allongé – sur le petit tapis aux pieds de Miss Barrett.
La grande histoire humaine est racontée avec distance et ironie. La misère de Londres est ainsi évoquée avec une certaine cruauté, tout comme l’allure bien bourgeoise de la rue où habite Flush.
Je trouve qu’elle réussit particulièrement à parler de la relation qui s’établit entre le chien et sa maîtresse, entre amour et domestication et responsabilité.
Gainsborough, Chien de chasse (Petworth House) |
Il est universellement admis que la famille dont descend le sujet de cet essai est de la plus antique lignée.
C’est le début. Et ce n’est sans doute pas un hasard s’il est l’écho fidèle du début d’Orgueil et préjugés. Après tout, ne sommes-nous dans une histoire de mariage et d’amour par-delà les classes sociales ? Qu'il s'agisse des amours de Flush ou de ceux de Miss Barrett. Et rien n’empêche Woolf d’adresser ainsi un malicieux clin d’œil à sa prédécesseuse.
Le nez humain est quasiment inopérant. Les plus grands poètes n’ont jamais perçu que le parfum des roses ou l’odeur de la fange. Les degrés infinis qui les séparent restent innommés. Pourtant Flush vivait pour l’essentiel dans le monde des odeurs. L’amour était avant tout une odeur ; les formes et les couleurs étaient des odeurs ; la musique et l’architecture, les lois, la politique et la science étaient des odeurs. La religion elle-même était une odeur. Décrire ce qu’était sa perception quotidienne d’une côte de mouton ou d’un biscuit nous échappe. Mr Swinburne lui-même n’aurait pu dire ce qu’était l’odeur de Wimpole Street un chaud après-midi de juin.
Le thème de la biographie « de côté » est un point commun de plusieurs romans de Woolf, notamment La Chambre de Jacob et Les Vagues, même si le ton de fantaisie relève davantage d’Orlando.
Un petit roman qui décevra peut-être les fans du grand art de Woolf et de ses romans (et peut-être aussi ceux qui attendent un truc plus tourné vers les animaux), mais j’avoue que cette lecture était tout à fait charmante.
La Promenade au phare, 1er billet et 2nd billet : L’ombre et la lumière bougent sans cesse et quand nous croyons tout saisir, pschitt, le tableau se trouble à nouveau.
Orlando - et il y a un second billet : de la malice, de la joie de vivre et de la fantaisie
La Chambre de Jacob, 1er billet et 2nd billet : un roman d’une grande poésie et d’une grande délicatesse.
Les jardins de Kew et autres nouvelles : je recommande de commencer par ce titre.
Nuit et jour : une peinture subtile et attachante de la complexité et de la mobilité des sentiments.
Les Années : je retiens surtout les merveilleuses évocations de Londres et de son ciel
Bon, tu n'as pas à me convaincre... Il me reste quand même Flush à lire, et les années (sur mes étagères en VO) et des nouvelles...
RépondreSupprimerPuis faire comme toi, relire... ^_^
Je ne cherche à convaincre personne, je partage mes enthousiasmes et mes doutes ! Et oui, relire, grand bonheur.
SupprimerHan, je n'avais pas vu la référence à Austen, shame on me ;-D J'ai beaucoup aimé ce petit livre sans prétention (me semble-t-il) qui décrit avec justesse de nombreux sentiments en effet. Il y avait pas mal d'humour si je me souviens bien (notamment à propos des amours de Flush).
RépondreSupprimerOui les amours aristocratiques (ou non) de Flush... il y a beaucoup de malice dans ce livre, sans prétention comme tu dis justement.
Supprimerj'aime énormément VW mais Flush ne m'a jamais vraiment enthousiasmé peut être parce que j'avais un peu l'impression d'un livre de commande
RépondreSupprimerCe n'est clairement pas son meilleur. Je le vois comme un essai, une tentative, une récréation. Mais j'ai pris du plaisir à ma lecture.
SupprimerTiens un Virginia Woolf que je n'ai pas lu. Et hop dans le Pense-bête (bien nommé)
RépondreSupprimerLe pense wouaf wouaf.
SupprimerJe viens de lire Les vagues, et ai programmé celui-là pour fin janvier (une LC dans le cadre des "Classiques fantastiques"...).
RépondreSupprimerCurieuse de lire tes billets.
SupprimerJ'aime bien ce genre de petits "textes de fantaisie" (l'expression est bien trouvée)
RépondreSupprimerÇa tombe bien, car Ingannmic compte visiblement le lire pour le mois des bonnes nouvelles !
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