Virginia Woolf, Mrs Dalloway, parution originale 1925, traduit de l’anglais par Marie-Claire Pasquier.
Une journée à Londres.
Clarissa Dalloway organise une réception et nous la suivons tout au long de sa journée de mondaine, commandant les fleurs, marchant dans la rue, revoyant un ancien amoureux et laissant les souvenir de jeunesse affluer à sa conscience et se mêler à ses perceptions du présent. Nous suivons aussi son mari et sa fille et quelques-unes de leurs connaissances. Mais il y a aussi Seamus Smith, vétéran de la guerre et revenu traumatisé et sa pauvre épouse – leur chemin ne fera qu’effleurer celui de Clarissa, emportant en lui toutes les émotions destructrices à l’œuvre au cours de cette belle journée. C’est que nous sommes en plein empire, aux bases consolidées par la victoire, aveugle à l’Inde, alors que tous ressentent l’attachement à la vieille Angleterre vibrer au fond d’eux. Et pourtant le temps passe, les robes des jeunes filles raccourcissent et Clarissa a désormais les cheveux gris.
Mais des souvenirs, tout le monde en a. Ce qu’elle aimait, c’était ce qu’elle avait sous les yeux, ici, maintenant ; la grosse dame dans le taxi. Cela avait-il la moindre importance, se demandait-elle en se dirigeant vers Bond Street, cela avait-il la moindre importance qu’elle dût un jour, inévitablement, cesse d’exister pour de bon ; le fait que tout ceci continuerait sans elle : en souffrait-elle ; ou n’était-ce pas plutôt une pensée consolante de se dire que la mort était la fin des fins ; mais que pourtant, en un sens, dans les rues de Londres, dans le flux et le reflux, ici et là, elle survivrait.
(comment ça, c’est la 3 ou 4e fois que je le lis ?)
Un extraordinaire et magnifique roman. Woolf y maîtrise totalement la technique du flux de conscience, entrelaçant avec maestria discours direct et indirect libre et transcription des pensées des personnages – ce qui est dit, ce qui n’est pas dit, ce qui pourrait être dit par l’un ou l’autre. Chaque pensée et chaque personnage fait ainsi partie d’un tout, celui de Londres, magnifiquement évoquée, celui des années et des saisons qui ne s’arrêtent jamais. Il existe une réelle porosité entre les personnages et leurs décors.
Le moi intérieur des personnages est incertain et voyage, des souvenirs passés au présent, au matin même et peut-être à l’avenir, se recomposant et se transformant. Tous, ils marchent, ils vont acheter des fleurs, ils rendent des visites, se rencontrent et parlent, se reconnaissent. Le roman est une ode à la fluidité des perceptions.
Comme un nuage passe devant le soleil, le silence tombe sur Londres ; et tombe sur l’esprit. Le calme règne. Le temps claque contre le mât. Là nous nous arrêtons ; là nous nous tenons debout.
Pour moi, c’est un roman extrêmement lumineux, parce qu’il se déroule dans les classes aisées, au cours d’une belle journée d’été, parce qu’il y a des rideaux jaunes au salon, parce Clarissa et ses proches y expriment une belle quiétude de l’âme malgré les bouleversements de la vie et les craintes diverses, parce que Clarissa a une présence rayonnante qu’elle offre aux autres. Pourtant, les ombres et les ténèbres rôdent autour d’eux. Invité à la réception, le médecin psychiatrique, autoritaire et paternaliste, comme a dû en rencontrer Woolf à plusieurs reprises. Un ancien combattant qui ne parvient pas à surmonter ses terreurs, des personnages mesquins, un snob…
Les coups de Big Ben scandent régulièrement la narration, comme autant de présences familières, de rappels du temps qui s’écoulent, de repères qui flottent dans l’air sans disparaître tout à fait.
J’ai beaucoup pensé aux Années pendant ma lecture, mais il y a un avion qui survole Londres qui rappelle la fin d’Orlando.
Beardsley, Rameau fané détail, 1891 Washington NGA
Elle savait ce qui lui manquait. Ce n’était pas la beauté ; ce n’était pas l’intelligence. C’était quelque chose de central qui irradie ; une certaine chaleur qui crève les surfaces et rend frémissant le froid contact entre un homme et une femme, ou entre des femmes.
Car elle était une enfant, qui jetait du pain aux canards, entre son père et sa mère, et en même temps une femme adulte qui s’approche de ses parents debout près du lac, tenant sa vie dans ses bras et, pendant qu’elle s’approche, celle-ci grandit, grandit dans ses bras, jusqu’à devenir une vie entière, une vie complète, qu’elle dépose à leurs pieds en disant : « Voilà ce que j’en ai fait ! Ça ! » Et qu’en avait-elle fait ? Quoi, en vérité ? elle qui se retrouvait là, ce matin, assise, à coudre, avec Peter.
Elle regarda Peter Walsh ; son regard, traversant tout ce temps et toute cette émotion, l’atteignit de manière incertaine ; se posa sur lui, plein de larmes ; puis s’envola et repartit, comme un oiseau se pose sur une branche et s’envole et repart. Avec simplicité, elle s’essuya les yeux.
J'avais publié un premier billet.
Woolf sur le blog :
Mrs Dalloway
La Promenade au phare 1er billet et 2nd billet
La Soirée de Mrs Dalloway
Orlando
La Chambre de Jacob 1er billet et 2nd billet
Les Jardins de Kew et autres nouvelles
Nuit et jour
Les Années
Une autrice.
Je crois que je vais relire Orlando. Laissez-moi me vautrer dans mon vice préféré : la relecture !
Il faudrait que je pense plus souvent à Virginia Xoolf. J ai envie de relire Orlando lu ilby à trop longtemps
RépondreSupprimerJe veux le relire, c'est vraiment un petit bijou.
SupprimerBien sûr que c'est normal de le relire. Mes dernières incursions chez Woolf, c'est Nuit et jour (ennui, un peu, agacement, beaucoup) et La chambre de Jacob. En commun? Ils sont en traduction. Dorénavant, je veux la lire en VO, pas pour faire chic, mais parce que j'accroche mieux (et je comprends moins, mais tant pis)
RépondreSupprimerEt je constate qu'il me reste Les années, et quelques nouvelles. Oui, la relire est en projet...
J'ai réussi à lire des nouvelles en VO (j'adore celle qui se déroule à Kew) mais les romans restent en dehors de ma faible portée hélas ! Et puis relire permet de retarder le moment où j'aurai tout lu.
Supprimerlecture et relecture pour moi aussi même si ce n'est pas mon roman préféré malgré tout
RépondreSupprimerj'ai vu qu'il y avait une nouvelle traduction
Oui, je relis sans cesse le même exemplaire mais je pense que je vais finir par craquer et me procurer cette traduction, par curiosité.
Supprimerje m'y étais remise il y a quelques années, il faudrait que je reprenne j'en ai plusieurs dans ma PAL!
RépondreSupprimerIl m'en reste quelques uns à découvrir heureusement.
SupprimerLumineux, c'est aussi l'impression qui m'en est resté! Sinon, j'ai lu To the lighthouse, qui ne m'a laissé aucun souvenir... Il faudrait que je m'y remette.
RépondreSupprimerPromenade au phare est plus compliqué à saisir, il n’a pas ce caractère d’évidence lumineuse qui fait toute la réussite de Mrs Dalloway, je trouve,
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