La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 20 septembre 2022

Tout ce temps où elle avait écrit, le monde avait continué.

 Virginia Woolf, Orlando, parution originale 1928, traduit de l’anglais par Catherine Pappo-Musard.

 

Le roman commence sous le règne d’Elizabeth I, avec un jeune noble nommé Orlando, héritier d’un domaine vaste comme une ville. Il s’achève en 1928 avec une jeune dame nommée Orlando, toujours propriétaire du domaine qui est entre temps devenu un musée (c’est le château de Knole !).

L’identité est changeante. Orlando naît homme et puis renaît femme. Elle s’habille en femme ou en homme selon son humeur, fréquente la Cour ou les prostituées, les tziganes ou les ambassadeurs. Elle comprend les habitudes de pensée de l’un et l’autre sexe, puisqu’elle est les deux à la fois. Orlando homme est « favori » (…) d’une vieille reine, caresse les hommes et les femmes, tombe éperdument amoureux d’une chimère. On en saura beaucoup moins sur les amours d’Orlando femme – au bout de 300 ans elle finit par rencontrer un aventurier aussi merveilleux qu’elle l’imagine. C’est qu’il suffit de suivre les oies sauvages.


Les images, les métaphores les plus excessives et les plus extravagantes se mirent à frétiller et à se tortiller sous le crâne d’Orlando. En moins de trois secondes, il l’avait comparée à un melon, un ananas, un olivier, à une émeraude et à un renard dans la neige.


Et l’Angleterre ? Car avec ce roman, nous avons une vaste fresque sur l’histoire de l’Angleterre. Le siècle d’Elizabeth I est paré d’une aura étrange et mystérieuse, glorieuse, celle de l’Armada et des corsaires, des jeunes hommes aventureux. Les salons du XVIIIe siècle, avec leurs journalistes et leurs esprits fins, sont davantage écornés. Il pleut pendant tout le long XIXe siècle victorien qui semble un règne sans été. Les femmes sont engoncées dans leur crinoline et doivent alors passer sous le joug du mariage. Si la Première guerre est passée sous silence, le rythme trépidant de la modernité donne son ton final au roman. C’est qu’Orlando conduit et conduit vite. Difficile lorsqu’elle traverse le Strand de ne pas penser à la journée de Clarissa Dalloway.


Ces mots se confondirent et se mirent à tournoyer ensemble comme des faucons parmi les beffrois, et ils s’élancèrent toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus vite, avant de retomber et de heurter le sol en une pluie de syllabes.


Anonyme, Jeune femme, 1569 Tate Britain
Est-il utile de préciser que tout ceci est empreint de beaucoup de fantaisie ? Une atmosphère de conte et de magie et surtout le ton malicieux du narrateur qui choisit de raconter et de passer sous silence, se moquant des graves biographies empesées et des messieurs sérieux. Je note la description du Grand gel.

Le but d’une existence : vouloir la vie et un amant et écrire de la poésie.

 

Pour peu qu’on observe, par la fenêtre, des abeilles parmi les fleurs, un chien qui bâille, le coucher du soleil, pour peu qu’on pense : « Combien de fois verrai-je encore le soleil se coucher », etc. (le sentiment est trop banal pour mériter d’être développé plus avant), et voici qu’on pose la plume, qu’on prend son manteau et qu’on sort de la pièce à grands pas ; ce faisant, on se prend les pieds dans un coffre peint. Car Orlando était un tantinet maladroit.

  

Il est abondamment connu que le roman est inspiré par la rencontre avec Vita Sackville West. Il faut souligner aussi que ce roman est celui qui traduit le mieux l’esprit fin et malicieux de Woolf, dont nous avons souvent une vision évanescente, à cause de cette photographie en grande robe blanche vague et de sa fin tragique. Mais elle était pleine d’érudition, de légèreté et d’humour et on retrouve notamment dans la description de la vie à Constantinople le souvenir des farces et des déguisements de sa jeunesse.

 

C’est une relecture. Le premier billet est d’un ton très différent, mais il me semble décrire aussi très bien le roman.

Une autrice.

Woolf sur le blog :

Entre les actes1er billet et 2nd billet

Mrs Dalloway - il y a un 2nd billet
La Promenade au phare 1er billet et 2nd billet
La Soirée de Mrs Dalloway
Orlando
La Chambre de Jacob 1er billet et 2nd billet
Les Jardins de Kew et autres nouvelles
Nuit et jour
Les Années


8 commentaires:

keisha a dit…

La débâcle de la tamise, quel moment, en effet. Tiens, le relire (un jour)

Dominique a dit…

j'ai encore deux romans de VW à lire je les garde précieusement car l'attente est presque aussi bonne que la lecture

nathalie a dit…

Oui cette Tamise gelée est un spectacle inoubliable !

nathalie a dit…

Tu vois le nombre de ses romans que j'ai relus, tu te doutes que je comprends pleinement ton attitude !

Cléanthe a dit…

Livre à lire et à relire en effet, comme tout Virginia Woolf. Et dire cependant que c'est celui que je n'ai jamais lu. Ton billet me donne envie de réparer mon "oubli" au plus vite.

nathalie a dit…

Il est très original, j'espère qu'il te plaira.

Passage à l'Est! a dit…

Quel éclectisme dans tes lectures! Je connaissais ce roman de nom mais j'aurais été incapable de dire de quoi il retourne. J'en sais un peu plus maintenant et je le mettrais volontiers dans la liste pour ma 3e vie de lectrice. En te lisant, je pensais à Hilary Mantel, que je n'ai pas lue non plus mais ce serait intéressant de voir comment ces deux autrices écrivent le passé.

nathalie a dit…

Pas lu Mantel, je ne suis pas certaine qu'il y ait vraiment un rapport entre les deux autrices.