Mia Couto, Terre somnambule, parution originale 1992, traduit du portugais par Élisabeth Monteiro Rodrigues, édité en France par Métailié (rentrée littéraire de janvier 2025).
Le roman a bénéficié d’une première traduction française par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, en 1994 (Albin Michel). Il s’agit donc d’une nouvelle traduction et d’une réédition.
Un vieil homme et un garçon marchent sur une route dans un pays désertique ruiné par la guerre et les bandes armées*. Ils trouvent refuge dans un ancien autocar qui a brûlé. Ils sortent et enterrent les cadavres et s’y installent. Il n’y a rien à manger, mais ils sont à l’abri. Et chaque jour ils explorent le terrain autour et rencontrent d’étranges personnes : un homme creusant un fleuve, un homme ayant apprivoisé une hyène, des femmes effectuant une cérémonie.
En parallèle, le petit garçon trouve une valise contenant des cahiers couverts d’une écriture. Il commence à lire. Un autre garçon, Kindzu, y raconte son enfance depuis la mort de son père, le déclenchement de la guerre civile, la haine contre les Indiens, l’appropriation du pays par une administration, sa quête pour renouer avec les sorciers et les guerriers d’antan.
Un chapitre avec le vieil homme et le garçon et un chapitre avec l’histoire de Kindzu, en alternance. C’est le roman.
Dans ce pays, la guerre avait mort la route. Sur les chemins, seules les hyènes erraient, fouissant au milieu des cendres et de la poussière. Le paysage s’était métissé de tristesses jamais vues, sous des couleurs qui poissaient à la bouche. C’étaient des couleurs sales, si sales qu’elles avaient perdu toute leur légèreté, dépouillées de l’élan de s’envoler vers l’azur. Ici, le ciel était devenu impossible. Et les vivants s’étaient accoutumés au sol, en apprentissage résigné de la mort.
C’est le début.
S’il s’agit d’évoquer la guerre civile et les horreurs qu’elle permet (il y a notamment un grand camp de déplacés, et puis la famine), c’est aussi un récit empreint de magie et de surréel. Les personnages rêvent et se rencontrent dans leurs rêves, les objets sont retenus par la magie et la terre est somnambule : le paysage avance chaque nuit tandis que l’autocar reste échoué sur la route.
Couto (et ses traductrices) construisent une langue sonore et signifiante, où les mots africains sont bien présents, où les mots s’inventent d’eux-mêmes, pour raconter un autre monde. C’est extrêmement beau.
Mais je n’imaginais pas tout ce dont il me faudrait triompher. Car plus je me nordisais et plus d’étranges survenances m’advenaient. Je ne me souviens même plus des nombreux moments où le vent déchira les voiles. Des bouts déchirés se formèrent des poissons qui tournoyaient au-dessus de ma tête.
Le désir de partir sur la mer au loin anime plusieurs personnages, cette attirance pour les flots, pour l’horizon, pour l’inconnu, alors que d’autres au contraire regardent vers l’intérieur des terres, vers les sagesses anciennes et les pouvoirs disparus. Mais voyager, c’est toujours se déplacer dans le paysage et dans le temps.
C’est une magnifique évocation du chaos de la guerre civile, qui n’est pas une guerre normale, qui ne peut pas s’arrêter, qui n’oppose pas des armées. La guerre civile, c’est quand tout devient élément de la destruction. Et pourtant les habitants vivent, tombent amoureux, ont des enfants, recherchent et trouvent leur famille, et rêvent.
Wim Botha, A thousand things, 2012 collection Blachère
Les idées, on le sait tous, ne naissent pas dans la tête des gens. Elles commencent n’importe où, ce sont des fumées libres, égaréperdues, qui tournoient en quête d’un esprit idoine.
Il s’expliqua : si seulement c’était une guerre pour de bon. Si ça avait été le cas, elle aurait fait grandir l’armée. Mais une guerre-fantôme fait grandir une armée fantôme, pillée, déboussolée, crainte par tous et commandée par personne. Et nous-mêmes, victimes indiscriminées, on se métamorphosait en fantômes.
Le paysage avait atteint la mer. La route, à présent, se tapisse uniquement de sable blanc. à mesure que le voyage avance, Tuahir empire, comme s’il s’approchait des dernières fins.
*On pourrait croire qu’il s’agit du début de La Route de Cormac McCarthy, mais c’est un pays d’Afrique, alors ce n’est pas une dystopie, mais la réalité. Pour ceux qui pense que le genre littéraire n’influence par la perception de la lecture.
Couto sur le blog :
Mia Couto est dans ma liste d'écrivains à découvrir mais peut-être pas tout de suite
RépondreSupprimerJe t'encourage vivement, tu l'auras compris.
SupprimerJ'ignore si j'aimerais cette ambiance, magique ou onirique (?)... Les guerres civiles africaines (désolée, le Liberia années 90, pas top du tout, ça me suffira, non je n'y étais pas, je suivais les infos)
RépondreSupprimerMais quel rapport avec le Liberia ???
SupprimerBien sûr que tu aimerais, c'est un auteur qui est certainement présent à la bibli.
J'avais été éblouie par L'accordeur de silences, il faut absolument que je relise cet auteur, oui...
RépondreSupprimerAh je l'ai acheté, mais pas encore lu celui-là. (petite LC ?)
SupprimerTu attendrais le mois africain ?
SupprimerJe ne sais pas si c’est en octobre ou juillet, mais oui, ça peut tenir jusque là.
SupprimerOctobre ! Alors oui, c'est OK pour moi... on convient de la date plus tard ? Je me mets un pense-bête dans mon fichier ..
SupprimerOh oui on a le temps.
Supprimerun auteur dont j'ai lu avec bonheur certains titres
RépondreSupprimerMoi aussi, comme tu le vois. J'aime beaucoup.
SupprimerEnvie de le lire mais pour l'instant la PAL est bien chargée
RépondreSupprimerComme tout le monde.
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