La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 11 octobre 2022

Ne pas savoir où s’enfuir est aussi triste que de ne pas avoir de maison.

 Mia Couto, Le Cartographe des absences, traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues, parution originale 2020, édité en France par Métailié (rentrée littéraire 2022).

 

Un beau roman plein de rêves sur une guerre de décolonisation.

En 2019, un poète, fils d’un poète, est de retour à Beira, sa ville natale. Il revoit les gens de son enfance et rencontre une femme, qui recherche sa mère. Il prétend aussi rechercher son cousin Sandro, disparu il y a longtemps. À vrai dire, le lecteur ne sait pas bien ce qu’il veut. Il erre, se laisse conduire d’interlocuteur en interlocuteur et semble à peine s’intéresser à ce qu’on lui dit.

La ville se prépare à l’arrivée d’un cyclone.

De vieux papiers apparus opportunément nous ramènent en 1973 au moment où le Portugal envoie son armée au Mozambique pour mater et massacrer une guérillera indépendantiste. La population blanche de Beira se divise et se fragmente, entre ceux qui luttent contre une dictature, mais sans un regard pour la population noire, ceux qui soutiennent la police politique, des communistes et des prêtres avec les espions, mais le chaos engloutit à égalité toutes les couleurs de peau.


Triste ironie : j’ai fait ce voyage pour recueillir des souvenirs de ma ville mais je reste enfermé à l’hôtel, peut-être par peur de découvrir que ma vie repose sur un mensonge. La crainte de ne pas retrouver mon passé mon paralyse, mais surtout cette appréhension de retrouver une ville dont, en définitive, j’ignore tout.


C’est un beau livre, même si je n’ai pas forcément tout compris. D’abord, il y la poésie omniprésente, la beauté des images, des rêveries sur l’amour et sur la mémoire. Ma méconnaissance de l’histoire du Mozambique est sans doute cause du fait que j’ai ajouté plus de flou et de dilution de la société qu’il n’y en a à l’origine. Il m’a semblé qu’un certain nombre de lieux témoins du passé étaient menacés de disparition, par le temps, par l’eau qui engloutit tout, par l’oubli des hommes, par leur silence, mais j’ai peut-être grossi l’image.


Devant mon visage impatient, l’homme s’est mis à divaguer. Il a dit que les noms étaient tous vrais parce qu’ils servaient à ce qu’on soit priés. Et que nous tous, blancs et noirs, recevons un nom pour ne pas mourir.


Boutet de Monvel, Portrait de GM Haardt, 1926 Quai Branly
Dans ces allers-retours entre le passé et le présent, il y a de multiples coïncidences, dont on dira qu’elles sont invraisemblables, mais qui « font » le roman. C’est ainsi que se tissent les fils entre les uns et les autres et que se resserrent la trame de la mémoire. Une femme qui traverse les années. Un homme que l’on effleure et que l’on ne retrouve jamais.

Le roman se déroule en quelques jours, en attendant l’arrivée du cyclone, sans cesse annoncé, par le vol des oiseaux ou par les informations. Quand il arrivera, tout sera-t-il emporté ? Ou la vie du pays continuera-t-elle comme avant, avec ses traumatismes mal enfouis ? Les massacres de la guerre, les trahisons entre époux, les blancs qui craignent qu’une goutte de sang (ou de sperme) noir ne gâche à tout jamais leurs précieuses filles, les mensonges qui deviennent des vérités.

Et ce cartographe ? On le saura tout à la fin.

Il y a aussi des choses très cocasses.

 

Je ne désire pas ton corps. Je désire ne plus avoir le mien.

(je voudrais pouvoir dire ça à quelqu'un)

 

La pluie tombe dans le salon et traverse les corps comme si tout, la maison et les gens, était fait de terre. Plus loin, la mer est un cheval incendié. La ville entière s’agenouille et même ses os se ploient pour ne pas se briser. Je vois l’église de Macúti s’écrouler, les murs éclater comme du verre. Dieu traverse le sol du temple et ses pieds sont pleins de sang.

 

Merci Babelio et Métailié pour la lecture. Sharon l'a lu aussi.

De Couto j'ai aussi lu Le Dernier vol du flamand. Et apparemment j'avais beaucoup aimé.






 

8 commentaires:

keisha a dit…

Mmmhh, pas sûr que ça m'attire... (et j'ai une pile très haute)

miriam a dit…

Celui-ci est dans la liste de mes envies, et comme je ne connais pas le Mozambique je crois que je vais le lire bientôt

nathalie a dit…

Dommage il doit être pas mal représenté dans tes bibliothèques car il est bien représenté en France.

nathalie a dit…

Je pense qu'il te plaira.

Ingannmic, a dit…

"C’est un beau livre, même si je n’ai pas forcément tout compris." : c'est exactement ce que j'ai ressenti à la lecture de "L'accordeur de silences" (rien que ce titre...). L'écriture de Mia Couto m'avait complètement envoûtée.

Nathalie a dit…

Ça tombe bien parce que L’Accordeur se trouve dans ma bibliothèque depuis sa parution… il est temps de s’y mettre.

Dominique a dit…

ce roman me tente d'autant que je n'ai jamais lu l'auteur et ton avis va me faire basculer je crois

nathalie a dit…

Oh je pense que tu aimerais l'auteur ! Il est facile à trouver je pense, bien édité en France.