Annie Ernaux, La Place, 1983, publié par Gallimard.
C’est un tout petit livre où Ernaux raconte la vie de son père et de ses parents et son enfance à elle. Vie modeste et un peu étriquée où on n’est pas malheureux, mais où il y a le sentiment permanent d’une infériorité – financière, sociale, culturelle – de classe.
Mon père est mort deux mois après, jour pour jour. Il avait soixante-sept ans et tenait avec ma mère un café-alimentation dans un quartier tranquille non loin de la gare, à Y… (Seine-Maritime). Il comptait se retirer dans un an. Souvent, durant quelques secondes, je ne sais plus si la scène du lycée de Lyon a eu lieu avant ou après, si le mois d’avril venteux où je me vois attendre un bus à la Croix-Rousse doit précéder ou suivre le mois de juin étouffant de sa mort.
C’est presque le début. Je ne peux pas m’empêcher de remarquer que son père est mort à l’âge fixé comme minimum pour l’actuel départ à la retraite.
C’est aussi l’histoire d’une famille, d’un couple qui se forme et des moments passés à trois, des souvenirs et des photographies. La difficulté d’une relation qui se pose sans doute dans toutes les familles. En faire partie, en partir, en être partie.
Et on a, en le lisant aujourd’hui, l’évocation d’une époque qui n’existe plus beaucoup. La France de la reconstruction et des petits centres villes, les commerces d’alors, les relations et ce qui se faisait et ne se faisait pas.
Et tout cela est dit si rapidement, par entrelacs de phrases descriptives brèves et de citations, comme autant de morceaux d’une vie parvenus jusqu’à nous.
Une sobriété avec une puissante force d’évocation. |
Un bistrot à Septèmes. |
Ma mère n’a fermé le commerce que pour l’enterrement. Sinon, elle aurait perdu des clients et elle ne pouvait pas se le permettre. Mon père décédé reposait en haut et elle servait des pastis et des rouges en bas.
Voie étroite, en écrivant, entre la réhabilitation d’un mode de vie considéré comme inférieur, et la dénonciation de l’aliénation qui l’accompagne. Parce que ces façons de vivre étaient à nous, un bonheur même, mais aussi les barrières humiliantes de notre condition (conscience que « ce n’est pas assez bien chez nous »), je voudrais dire à la fois le bonheur et l’aliénation. Impression, bien plutôt, de tanguer d’un bord à l’autre de cette contradiction.
Je l'ai déjà lu mais mon premier billet ne ressemble pas du tout à celui-ci.
C'est intéressant cette lecture à plus de 10 ans d'intervalle. Le livre semble t'avoir davantage touchée la deuxième fois.
RépondreSupprimerJ'avoue que je me rappelais avoir lu un titre d'elle, mais un autre, pour te dire.
SupprimerIntéressant de comparer les deux billets, c'est en fait bon signe qu'un livre ait des effets différents selon le m oment.
RépondreSupprimerOui et j'ai certainement plus de billes maintenant pour en saisir la portée.
SupprimerJ'ai adoré ce livre, que j'ai beaucoup offert, et je le relirai surement aussi...
RépondreSupprimerIl est très fort dans sa simplicité.
SupprimerJ'ai fait une overdose d'articles et de notes sur Annie Ernaux après le Nobel. Je m'en remets à peine.
RépondreSupprimerÇa, le nombre de gens qui ont tenu à donner leur avis à son sujet... je suis d'accord, c'était franchement pénible.
SupprimerJ'ai énormément aimé ce livre, une vraie révélation. Cette sobriété, à l'image de la pudeur "des petites gens", touche très juste. Elle est évocatrice et bouleversante (peut-être plus quand on a grandi dans ce genre de milieu). Depuis, je n'ai lu qu'Une femme. Les années sera sûrement ma prochaine lecture d'Annie Ernaux.
RépondreSupprimerDu coup j'aimerais bien lire Les Années aussi. Tout ce que du dis est très juste. J'aime bien aussi sa finesse d'analyse, à petites touches.
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