La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 17 juin 2025

Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier.

 

J. R. R. Tolkien, Le Seigneur des anneaux, parution originale 1955, traduit de l'anglais par Francis Ledoux pour l'édition de Christian Bourgois.

Vous connaissez l'histoire : celle d'une quête, qui est aussi un roman de découverte, d'apprentissage et d'aventure, où différentes espèces humaines s'unissent (ou pas) pour lutter contre un mal noir. Frodon le Hobbit doit détruire l'anneau de pouvoir synonyme d'asservissement et de destruction, dans une terre dévastée par la guerre, mais où les alliés surgissent – on est il y a très longtemps.

Nous allons effectuer une chasse qui fera l'étonnement des Trois Races apparentées : Elfes, Nains et Hommes. Sus, les Trois Chasseurs !

C'était une relecture, que j'envisageais depuis longtemps. Les longues heures de train jusqu'à Venise ont constitué la bonne occasion (un roman de voyage et de découverte, après tout). La visite de l'exposition Tolkien à la BNF en 2019 et la lecture du catalogue d'exposition m'en avaient donné envie. Mieux que la première fois, j'ai pu mesuré certains aspects que j'avais un peu négligés.

Tolkien raconte une histoire tout en présentant un monde, une double contrainte à laquelle font face d'inégale façon les auteurs de SF et de fantasy. Raconter une histoire, c'est-à-dire des péripéties, des personnages, des retournements de situation. Il y parvient notamment par l'alternance des points de vue, entre celui de la guerre contre Sauron et celui des Hobbits gravissant la montagne. Présenter un monde, c'est-à-dire les légendes et généalogies des uns et des autres, avec une abondance de noms propres, que l'on aura tendance à passer ou survoler comme non nécessaires à l'action. Le double défi est plus ou moins réussi selon les passages (coucou, ma grande sœur, qui n'a jamais réussi à sortir de la forêt, je crois). Il faut accepter de se prendre au jeu de ce qui mime une épopée à l'ancienne.

Quelque chose d'étrange est à l'oeuvre dans ce pays. Je me méfie du silence. Je me méfie même de la Lune pâle. Les étoiles sont faibles, et je suis fatigué comme je l'ai rarement été, fatigué comme aucun Rôdeur ne devrait l'être avec une piste claire à suivre.

Le début, consacré aux us et coutumes des Hobbits, ainsi qu'à une présentation des archives ayant servi à l'élaboration du roman, peut être particulièrement déroutant – mais Tolkien s'inspire de son travail d'érudit et d'éditeur de manuscrits anciens. C'est en tout cas une originalité et une audace, qui suggère combien l'auteur en a encore sous le coude.

- Toujours après une défaite et un répit, l'Ombre prend une autre forme et croît de nouveau.

- J'aurais bien voulu que cela n'eût pas à se passer de mon temps, dit Frodon.
- Moi aussi, dit Gandalf, comme tous ceux qui vivent pour voir de tels temps. Mais la décision ne leur appartient pas. Tout ce que nous avons à décider, c'est ce que nous devons faire du temps qui nous est donné. Et déjà, Frodon, notre temps commence à paraître noir.
Est-il utile de préciser que Tolkien écrit principalement pendant les années 1930-40 ?

Il y a aussi les poèmes et les chansons que récitent les personnages, qu'ils soient transmis par la tradition ou improvisés. Je me souviens les avoir passés en soupirant à ma première lecture, mais là, j'y ai été plus attentive. Je suis frappée par le thème de la nostalgie qui est omniprésent : regret du passé, de ceux qui sont partis en exil, de ceux qui savent qu'un jour ils partiront en exil... De fait, les héros sont destinés à se séparer et à ne plus se revoir. De même, après la disparition du mal, ils ne retrouveront pas leur terre telle qu'ils l'avaient laissée ; elle aura, elle aussi, souffert et subi les épreuves du temps. Cette nostalgie omniprésente donne à cette grande aventure toute sa poésie.

Où sont maintenant le cheval et le cavalier ? Où est le cor qui sonnait ?

Où sont le heaume et le haubert, et les brillants cheveux flottants ?
Où sont la main sur la corde de la harpe, et le grand feu rougeoyant ?
Où sont le printemps et la moisson et le blé haut croissant ?
Ils ont passé comme la pluie sur la montagne, comme un vent dans les prairies.
Les jours sont descendus à l'ouest dans l'ombre derrière les collines.

Cela reste un roman viril. Les hommes chevauchent, se battent, gouvernent et se retrouvent dans les auberges – il faut vraiment être une femme exceptionnelle pour y avoir droit.

Je dois dire que l'imaginaire de Tolkien est assez kitsch, avec des rois nobles et beaux, et leurs pierres magiques, et leurs épées scintillantes, et tout leur costume chamarré (je pense à la peinture préraphaélite et à son goût pour le joli Moyen Âge). Cela peut nous faire sourire. Il y a ainsi un navire en forme de cygne ou une couronne avec des ailes faites de perles.
Rossetti, Leg de Saint George, verre 1862 V&A



Mais ce n'est pas votre propre Comté, dit Gidor. D'autres ont résidé ici avant que les Hobbits n'existassent ; et d'autres y résideront de nouveau quand les Hobbits ne seront plus. Le vaste monde vous entoure de tous côtés : vous pouvez vous enclore, mais vous ne pouvez éternellement le tenir en dehors de vos clôtures.
De fait, si l'on a souvent en tête l'image d'une Comté idyllique, avec ses petits cottages bien cultivés, il s'agit d'une illusion et les Hobbits risquent d'être violemment réveillés s'ils n'y prennent pas gare. Chacun doit avoir vaguement conscience que rien n'est éternel.

Les Hobbits entendirent parler des Grands Galgals et des tertres verts, des cercles de pierres sur les collines et dans les creux parmi les hauteurs. Les moutons bêlaient en troupeaux. Des murs verts et des murs blancs se dressaient. Il y avait des forteresses sur les Hauts. Des rois de petits royaumes se battaient entre eux, et le jeune soleil brillait comme du feu sur le métal rouge de leurs neuves et avides épées. Il y avait des victoires et des défaites ; et des tours tombaient, des forteresses étaient incendiées et des flammes montaient dans le ciel. De l'or était entassé sur les catafalques des reines et des rois morts ; et des tertres les recouvraient et les portes de pierre étaient closes ; et l'herbe poussait sur le tout. Des moutons s'avancèrent un moment, mais bientôt les collines furent de nouveau vides.
Si ce n'est pas une esthétique des ruines, ça ! S'agit-il du lointain passé et des ruines des civilisations ou de l'avenir ou d'une vision poétique ? Les moutons reviennent sur les champs de bataille et les nuages viennent obscurcir le soleil, comme les arbres repousseront sur les champs de bataille de la Somme.

Son esprit se libéra de toute sa politique et de ses trames de peur et de perfidie, de tous ses stratagèmes et de ses guerres, un frémissement parcourut tout son royaume, ses esclaves fléchirent, ses armées s'arrêtèrent, et ses capitaines, soudain sans direction, hésitèrent et désespérèrent. Car ils étaient oubliés.
Le point fort d'avoir un méchant non-incarné. Il apparaît et disparaît, suivant ceux qui lui obéissent sans le connaître. Impossible à combattre frontalement, le lecteur se dit qu'il ne disparaîtra jamais réellement de la Terre du Milieu.

J'ai évidemment relu le catalogue de l'exposition.

Tolkien, J. R. R. sur le blog :


9 commentaires:

  1. J'en suis désolée et un peu frustrée mais j'ai beaucoup de mal avec Tolkien. Il faut entrer dans son univers complexe et je n'y arrive pas. Cela passe mieux au cinéma.

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    1. Tu n'es pas la seule. Ceci dit... même les contes de Noël ?

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  2. C'est LE roman de mes 14/15 ans, qu'il faudra que je relise un jour sans doute. Je me rappelle qu'à l'époque l'alternance des points de vue et l'enchaînement des récits m'avait tout particulièrement séduit. Et ce sentiment justement d'un bonheur menacé par les circonstances extérieures qui ne saurait durer et rend l'engagement inévitable. Les chansons et poemes m'avaient bien plu aussi. Par contre, je n'ai pas du tout accroché aux films.

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    1. À ma 1e lecture, tout cela m'était un peu passé par-dessus la tête, j'avoue. Mais cela m'a frappé lors de cette relecture (ça se trouve, j'ai vieilli aussi).
      J'ai seulement vu des bouts de film, jamais en entier, mais je n'en attendais pas grand-chose.

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  3. enfer et damnation voilà les livres que je n'ai jamais réussi à lire. pendant quelques années j'ai fait lire cette saga comme celle d'Harry Potter à des ados car j'étais convaincue de la qualité mais ce type de récit je n'ai jamais réussi à y adhérer, le livre me tombe des mains dans la première heure de lecture et j'ai plusieurs fois abandonné

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    1. Sans parler du positionnement idéologique de Rowling, Harry Potter est beaucoup plus faible sur le plan de l'imaginaire.
      Je comprends très bien que tout le monde n'entre pas dans l'univers de Tolkien.

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  4. J'ai adoré la trilogie dans son ensemble, mais je me souviens avoir eu parfois du mal avec les longueurs du premier volume, où la progression des héros m'a semblé interminable... Sauron est selon moi l'un des plus terrifiants "méchants" de la littérature, et je te rejoins sur le fait que sa nature insaisissable crée une atmosphère particulièrement prégnante et oppressante.
    Quant à l'adaptation ciné, je l'ai trouvée pas mal, et assez cohérente avec ce que j'avais imaginé pendant ma lecture.

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    1. Le début avec les pages de description de la Comté là, et les mythes attachées à chaque forêt ou montagne, tout cela peut un peu rebuter en effet.

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