La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 2 septembre 2025

Elle leva au contraire la tête, redressa la taille et retrouva son allure souple.

 

Selma Lagerlöf, L'Anneau des Löwensköld, parution originale 1925, traduit du suédois par Marthe Metzger en 1935 (il existe une traduction plus récente).
C'est une trilogie (en tout, environ 600 pages).

Premier volume : L'Anneau des LöwensköldOn est dans l'ancien temps (= 18e siècle). Après sa mort, le général Löwensköld, célèbre pour ses exploits guerriers, est enterré avec l'anneau que lui a offert le roi. Hélas, celui-ci lui est dérobé. Mais l'anneau volé porte malheur et le général ne peut trouver le repos tant que l'objet ne lui est pas restitué.

Comme nous écoutions, le cœur battant, précisément ce conte, parce qu'il semblait soulever pour nous un pan du voile qui nous cache l'inconnaissable !

Dans quel état d'esprit étrange nous nous trouvions alors !
Qu'y a-t-il de réel dans ce récit ? Un conteur le tien d'un autre, l'un y a ajouté, l'autre en a retranché des passages et cependant ne contiendrait-ils au moins un petit grand de vérité ? Ne vous fait-il pas l'effet d'une description de quelque chose qui a existé vraiment ?

Deuxième volume : Charlotte Löwensköld. Au 19e siècle. La Charlotte qui donne son nom au volume n'apparaît pas tout de suite (malin !) : il s'avère qu'elle est la fiancée de Karl Arthur, le petit-fils du général, un jeune homme qui a voulu se faire pasteur contre l'avis de sa famille et qui a des rêves de pauvreté sainte. Mais tout ne se passe pas comme chacun le souhaite : les amoureux se fâchent, se réconcilient, se séparent, un autre prétendant apparaît, tout comme une autre fiancée, et pendant ce temps il y a aussi une méchante femme qui a été bercée dans la légende de l'anneau. Mais Charlotte réussira à prendre son destin en main, c'est qu'elle sait mener les chevaux et sa vie.

Troisième volume, Anna Svärd, dans la suite immédiate du précédent. Anna est finalement celle qu'a épousé Karl Arthur et le roman sera centré sur elle, qui a été arrachée à son monde campagnard et à son activité de colportage. Elle découvre qui est ce jeune homme instable, égoïste et fier qui est son mari, et fait la conquête de son nouvel environnement. Nous saurons si Karl Arthur a réussi à suivre sa voie au service du Christ.

Je sais bien qu'autrefois le monde était plein de gens qui ne connaissaient par la peur. J'ai entendu parler d'un bon nombre de personnes qui aimaient à se promener sur la glace nouvelle de la nuit, ou qui ne pouvait s'imaginer de plus grand plaisir que de monter des chevaux emportés.

C'est le tout début.

Lagerlöf campe un monde ancien, avec son petit peuple et ses grandes familles, ses pratiques traditionnelles discutables (jouer aux dés la condamnation d'un homme, vendre des enfants pauvres aux enchères pour les faire travailler...) et sa sociabilité d'antan. Nous plongeons pleinement dans la vie d'un village, avec ses personnages et leurs ambitions, leurs espoirs, leur résignation, etc. Dans cette communauté, le pasteur joue un rôle considérable, d'abord par la capacité de sa parole à émouvoir et agir sur les esprits, puis par ses conseils qu'il donne aux uns et aux autres.

J'apprécie la capacité de Lagerlöf à camper un tableau ample et collectif (et non pas centré seulement sur une ou deux héroïnes), mais également le fait qu'avec tout ce monde, rien ne semble écrit d'avance. Il semble que tout soit encore possible entre Charlotte et Karl Arthur, mais cela vacille, puis revient, tangue... les personnages agissent et interagissent, rien n'est figé. À cet égard, la fin est parfaitement réussie, avec cet homme qui toque à la porte et cette femme qui n'a pas encore pris sa décision.
D'ailleurs, tout n'est pas raconté au lecteur, ou alors on apprend très tard des choses qui se sont produites bien plus tôt, histoire de nous surprendre.

Lorsque, pour la première fois, Karl Arthur Ekenstedt avait vu tout cela, il s'était dit que tel devait bien être un presbytère suédois, d'un aspect à la fois accueillant, familier et vénérable.
Et par la suite, quand il avait pu observer les gazons toujours fraîchement tondus, les corbeilles soigneusement entretenues, où toutes les plantes étaient à égale distance les unes des autres et de même hauteur, les allées où le râteau avait tracé un dessin régulier, la vigne vierge autour du petit perron, ainsi que les grands rideaux aux plis impeccables qui apparaissaient derrière les vitres brillantes, cet ensemble l'avait pénétré des mêmes sensations de bien-être et de respect. Il avait senti que quiconque habitait cette maison devait s'estimer dans l'obligation d'observer un maintien posé et calme.

Apt, Lorenz Kraffter et sa femme Honesta Merz, 1512, Schroder collection

À quoi tient que Lagerlöf ne soit pas considérée à l'égal d'autres romancières ? Oui, elle a eu le prix Nobel, mais elle n'est pas tant lue que cela (à part Nils Holgersson, que je n'ai pas encore lu). L'écriture y est peut-être moins ciselée. Même si j'ai lu une traduction ancienne, je pense aussi que les romans sont d'une structuration plus lâche. On a aussi pu trouver qu'elle écrivait des récits trop anciens et pas assez ancrés dans la modernité. Il y a aussi les titres, avec ses noms suédois qui ne parlent pas à grand-monde. Et pourtant, les héroïnes y sont réussies. Bonnes ou mauvaises, elles ne se contentent pas de ce qui est tracé pour elles, alors même que les filles ne comptent pas toujours pour grand-chose dans cette société assez traditionnelle. Le roman emploie une variété de tons, mais il est vrai sans qu'aucun ne soit approfondi : histoire de fantômes, roman de société, histoire d'amour, ironie, tendresse... Il reste que cette romancière est attentive aux petites émotions de chacun des personnages, figures principales et secondaires. Émotions mêlées, soulagement et tristesse se combinent et forment les résolutions solides.

Schagerström comprenait qu'ils essayaient de se consoler en songeant que Charlotte ne demeurerait pas trop loin, que, par conséquent, ils la verraient fréquemment ; il lui semblait néanmoins voir qu'ils s'affaissaient en quelque sorte, que leurs dos se voûtaient et que leurs visages se ridaient. À partir de ce jour, il n'y aurait plus personne pour les protéger contre la vieillesse.

- Charlotte, mon petit cœur, prononça le doyen, nous sommes si heureux que tu aies trouvé un bon mari et que tu te crées un foyer, mais tu comprends, tu comprends... Tu nous manqueras, tu nous manqueras, indiciblement.

Là-dessus, elle en vint à penser à toutes les femmes de pasteur qui, avant elle, s'étaient assises dans ce banc, attendant que leur mari montât en chaire.

Quelles avaient bien pu être leurs pensées ? Était-il possible qu'elles eussent eu le frisson, et qu'elles eussent tremblé, à la pensée que leur homme allait de là-haut annoncer la parole de Dieu. Certes, elle n'était pas de leur monde, mais elle se permettait quand même d'adresser un appel mental à ces femmes de pasteur d'autrefois.

Selma Lagerlöf sur le blog :

Les Reines de Kungahälla : histoire d'une cité disparue, ambiance onirique et médiévale.
Gösta Berling : "Enfin, voici le pasteur qui monte en chair". Roman manquant de fil conducteur, mais qui campe le monde disparu des héros et des villages.
Prochaine lecture : le fameux Nils Holgersson !





4 commentaires:

  1. Pourquoi pas pour l'ambiance et le tableau social mais j'avoue qu'une trilogie me fait peur

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    1. Ça se lit très agréablement (mais je te conseille plutôt Les Reines de Kungahälla qui est plus court).

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  2. Hé bien, tu continue à ressortir cette auteure (jamais lu, même pas Nils). Pourtant elle semble avoir bien des qualités!

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    1. Déjà les traductions anciennes sont gratuites pour les livres numériques, donc c'est bien pratique pour lire en vacances !

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