Selma Lagerlöf, Gösta Berling, parution originale 1891, traduit du suédois par Thekla Hammar et Marthe Metzger.
Au début du roman, vers 1820, le jeune pasteur de ce village paumé de la forêt du Nord s’enfuit de son ministère par goût de l’eau-de-vie et désenchantement. Après une longue errance le voici installé à Ekeby, une grande et riche propriété, à la fois agricole et minière, parmi ceux que l’on appelle les Cavaliers. Le roman raconte une année dans la vie de Gösta, le plus joyeux et le plus insouciant de tous, dans la vie des Cavaliers, les plus faibles des hommes, qui vont insoucieux des conséquences de leurs actes.
On ne voit plus sur les routes du Vermland défiler ces officiers retraités et ces gentilshommes ruinés, qui, dans des cabriolets délabrés, couraient de manoir en manoir. Mais qu’ils revivent, qu’ils ressuscitent dans mon récit, ces hommes si gais, si insouciants, ces éternellement jeunes !
C’est une sorte de roman collectif, parfois manquant de tenue, où l’on se demande si cela va quelque part. On s’intéresse tour à tour au pasteur à l’avarice légendaire, à une jeune femme, à un méchant homme, aux rêves de l’un, aux déceptions d'une autre, portait d’une petite population. Il y a pourtant un fil conducteur, ou plutôt plusieurs, assez lâches, dont certains se rejoignent tandis que d’autres s’égarent au loin.
Nos personnages, notamment Gösta, sont loin d’être tous sympathiques ou faciles à comprendre. En proie à l’attrait de l’alcool et de la fête, soumis à un père ou à un mari, tenu par la force de l’amour ou par la nécessité du devoir, ils sont tiraillés entre des souhaits contradictoires et impossibles.
La terreur est une sorcière. Tapie dans le crépuscule des forêts, elle compose des sortilèges, elle les verse dans les oreilles des hommes ; elle emplit leurs cœurs de pensées sinistres et de craintes paralysantes ; elle obscurcit le sourire et la beauté de ces contrées. La nature est mauvaise, perfide comme un serpent enroulé.
Toutefois, il me semble que l’ambition du roman est d’abord de camper un pays, sa nature, ses animaux, ses paysages, ses histoires, ses légendes. Le récit est empreint de romantisme et de fantastique, puisque les sorciers et la nature sont également bien vivants. Roman hommage à une région, à ses habitants et à leur culture, à un monde disparu depuis longtemps, mais encore présent dans les mémoires et dans les récits des vieilles personnes quand Lagerlöf écrit, à la fin du siècle.
Dehors la neige tourbillonne et s’insinue avec un froissement de soie entre les pins. Dehors les loups et les renards rôdent, le ventre affamé. L’ours dort. Pourquoi, lui seul, ne sentirait-il pas l’âpre froid et combien la marche est pénible dans la neige molle ? Il s’est fait un lit douillet. Il ressemble à la Belle au Bois dormant. Comme un baiser la réveilla, il veut être réveillé par le printemps : par un rayon de soleil qui filtrera entre les branchages et lui chauffera le museau, ou par quelques gouttelettes de neige fondante qui traverseront son épaisse fourrure.
Il y a un cheval qui s’appelle Don Juan et un chien Tancrède, des vaches qui s’appellent Onze et Douze, une course de loups et une chasse à l’ours. Il y a aussi de l’humour, quand le volume de Corinne de Madame de Staël est jeté à un loup. Et une très belle exécution muette d’un morceau de Beethoven.
Edelfelt, Le Convoi d'un enfant en Finlande, 1879, Helsinki Ateneum |
L’âme dont l’enfance a été nourrie de contes fantastiques peut-elle jamais se délivrer de leur hantise ? Le vent de la nuit hurle au dehors ; un laurier rose et un ficus fouettent les piliers de la véranda de leurs feuilles dures. Le ciel forme une voûte sombre au-dessus de la ligne noire des montagnes, et moi, qui suis assise seule devant ma table, sous la lampe allumée, moi qui ne suis plus une enfant et qui devrais être raisonnable, je sens les mêmes frissons me courir le long du dos que le jour où j’entendis cette histoire pour la première fois.
Ma pâle amie hésita encore pendant un mois à sortir du parc, mais une nuit elle se décida. La faim et la pauvreté n’avaient-elles pas été accueillies par des visages souriants, dans cette maison si hospitalière, pourquoi alors ne le serait-elle pas aussi ?
Elle monta doucement l’allée, jetant une ombre noire sur la pelouse, où les gouttes de rosée scintillaient au clair de lune. Elle ne vint pas comme le gai moissonneur, qui des fleurs au chapeau, a passé son bras autour de la taille de sa belle amie. Elle vint pâle et courbée, cachant la faux sous les plis de son manteau, tandis que les chouettes et les chauves-souris lui faisaient cortège.
Pour la dernière fois, il les nomma des insouciants, des hommes rompus à toutes les vicissitudes et à tous les hasards de la fortune. Encore une fois, il les qualifia de vieux dieux et de chevaliers ressuscités, appelés à faire vivre la joie dans le pays du fer à l’époque du fer. Malheureusement, le jardin où voltige le papillon de la joie, se remplit souvent de larves qui dévastent les promesses de fruits.
De Lagerlöf j'ai également lu Les Reines de Kungahälla.
Apparemment cet ouvrage a eu beaucoup de succès en Suède. La forme a l'air très particulière.
RépondreSupprimerJe ne sais pas si la forme est particulière, mais elle n'est pas très cousue. Et oui, c'est un classique en Suède.
Supprimerrien que pour rencontrer Tancrède et les autres animaux, pourquoi pas!
RépondreSupprimerDon Juan est un cheval qui assure !
SupprimerJe ne peux pas encore lire ton billet car le livre est depuis assez peu de temps sur mes étagères, mais je me réjouis de le lire :-)
RépondreSupprimerAh ah je le vois en train de te faire coucou !
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