La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 24 mai 2025

La famille Tiepolo dans sa villa à Zianigo

 

Giambattista Tiepolo est un immense artiste européen du XVIIIe siècle (ici, on aime le rococo), né à Venise.

Il a orné de fresques les palais de toute l'Europe : à Padoue, à Venise, à Milan, à Wurtzbourg (souvenez-vous de l'ouverture des Onze de Pierre Michon), à Madrid (au palais royal). Mais aussi les églises vénitiennes (en lisant la fiche Wikipedia, je note les églises que je n'ai pas visitées – il faudrait que j'y retourne). Sa production est énorme.
Souvenez-vous de cette charmante Fuite en Égypte, avec un bateau manié par les anges et un couple de cygnes.
En 1754, grâce à l'argent ammasé, il achète une villa à Zianigo (pas loin de Venise) pour toute sa famille. Et là... il orne les murs de fresques à son idée, sans commande ni patron, pour le plaisir des yeux. L'oeuvre est reprise et accomplie par ses enfants, notamment Giandomenico, son fils le plus doué. La majorité des peintures est réalisée à la fin du XVIIIe siècle.

Un petit dessus de porte pour vous mettre dans l'ambiance.


Des grisailles que l'on peut prendre pour des stucs en trompe-l'oeil. L'effet de relief est tout à fait saisissant. À gauche, une sorte de bacchanale autour d'un genre de Veau d'or, avec un satyre qui nous tourne le dos, pris en pleine danse. À droite un centaure aux oreilles pointues enlève une faunesse, au nez et à la barbe d'une autre créature venue du fond des bois. Le couple a l'air étroitement uni.


Une pièce est tout entière couverte de peintures de Pulchinella (Polichinelle). Au plafond, les Pulcinella semblent jaillir du rocher via l'échelle et envahir le ciel. Sur les murs, ils effectuent des acrobaties et embarquent des femmes.


L'un d'eux cuve son vin auprès de ses compères. Les grisailles alternent ici encore avec les peintures de couleurs claires.
Ne nions pas l'impression vaguement inquiétante produite par la profusion de ces personnages difformes et masqués, qui semblent avoir envahi la totalité de l'espèce. N'y aurait-il plus que des Pulcinella ?

Pourtant, la maison comptait aussi une chapelle, elle aussi ornée de fresques fort douces.


La peinture la plus spectaculaire peut-être : cette grande fresque intitulée Le Monde nouveau. La foule est amassée autour d'un bateleur qui exhibe une lanterne magique. Et nous ne voyons rien.

Les figures aussi grandes que nature nous tournent le dos. Ce "monde nouveau" nous demeure inaccessible. Quel humour ! Et quel effet saisissant avec ces belles couleurs fraîches.
De gauche à droite : un Pulcinella, un homme en bas de soie, un... diable en manteau rouge et à cornes noires ? (serait-on pendant le Carnaval ?), un chien, un enfant, un perchiste (je ne m'explique pas ce personnage), des femmes d'un milieu populaire à la tête couverte d'un voile, encore des hommes et des femmes de condition diverse et deux femmes élégants (chapeau, dentelles, éventail et colombe).
Il y a aussi un homme au lorgnon dont nous voyons le profil, peut-être Giandomenico Tiepolo lui-même. Il se tient à côté d'un autre homme de profil, plus âgé, peut-être Giambattista. Les peintres observent toute cette agitation d'un air détaché.

D'autres peintures montrent des couples à la promenade.
Cette peinture claire, qui montrent des figures contemporaines, avec un certain naturel, me fait penser aux cartons de tapisserie de Goya (exposés dans les salles des étages au Prado à Madrid), même si contexte de réalisation en est très différent.

La villa a été détruite, mais toutes les fresques sont désormais déposées à Ca'Rezzonico (museo del settencento veneziano). Musée indispensable pour toute personne aimant l'art du XVIIIe siècle. Je précise pour convaincre les indécis que sont librement accessibles des toilettes propres et gratuites et un café désert, même en plein samedi après-midi – si vous voulez boire un café ou un verre de vin au bord du Grand canal sans être encombré par la foule, c'est là.


Les oeuvres des Tiepolo père et fils sont visibles partout en ville. Ici un cheval peint par Giambattista, détail d'une peinture conservée à l'Accademia.
L'église San Polo abrite quant à elle un très beau chemin de croix réalisé par Giandomenico.

Tiepolo (père) est mort à Madrid, mais il est enterré dans l'église de la Madonna dell'Orto à Venise.

Les semaines précédentes : le départ pour Venise ; balade le long des canaux ; Vittore Carpaccio à la Scuola Dalmata degli Schiavoni ; Titien à l'église des Frari ; Véronèse à l'église San Sebastiano ; Tintoret à la Scuola Grande di San Rocco.

La semaine prochaine : ce sera le dernier billet.

8 commentaires:

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    1. C'est assez étonnant cette toile où ils montent comme ça, sans fin, innombrables.

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  2. J'apprends un mot : les grisailles (mâtin, quel blog!)

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    1. Ah c'est un terme que j'emploie de temps en temps pourtant (et oui, on s'y connaît ici).

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  3. que de détails dans cette fresque ! J'avais lu un roman qui en parlait, j'étais restée très longtemps devant !

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    1. Ah oui ? C'est vrai qu'elle suscite les histoires.

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  4. J'arrive presque au bout de ma grosse séance de rattrapage Chez Mark et Marcel après deux mois d'absence. Je pensais faire un commentaire récapitulatif sur ton dernier billet vénitien pour partager toute mon admiration sur la ville, ses peintres et ton érudition, mais je me vois contrainte de faire un arrêt plus long sur celui-ci. Toilettes gratuites et café désert, bigre, quel argument massue!

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    1. Oui t'as vu comme ce blog culturel est de qualité avec des conseils pertinents ? ! Bravo pour ton patient rattrapage.

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