Série iconographique sur l’enfance de Jésus. La semaine dernière, je vous parlais du Massacre des innocents, massacre auquel Jésus a échappé. C’est l’épisode de la Fuite en Égypte.
Joseph, prévenu du danger par un songe, s’enfuit avec son épouse et leur enfant en Égypte où la famille reste jusqu’à la mort d’Hérode. Ensuite, par prudence, ils ne reviennent pas à Bethléem, mais à Nazareth.
L’Égypte est un pays très présent dans l’Ancien testament : lieu de refuge et d’esclavage, lieu des exploits de Moïse, il paraissait indispensable que Jésus soit également concerné par ce pays.
Petit point de chronologie. Hérode a décidé du massacre des enfants de moins de 2 ans au retour des mages (après le 6 janvier, si l’on veut). Au moment de la fuite, Jésus a donc entre un mois et 2 ans. En général, nous l’imaginons tout bébé, mais en réalité, rien n’est dit à ce sujet. Sauf que… je me rappelle que la Présentation au temple est censée avoir lieu début février à Jérusalem. Il ne me paraît pas très intéressant d’essayer de concilier les différents récits (genre, il est né à Bethléem, ensuite la famille est allée à Jérusalem et alors que le massacre était limité à Bethléem, elle s'est enfuie en Égypte). Ce qu’il faut retenir, c’est que le récit de la naissance de Jésus est nimbé d’une atmosphère merveilleuse (une errance, un abri de fortune, des mages, un grand danger, un sauvetage, des anges, etc.), mais ce conte se rapporte aussi à l’histoire d’un enfant juif né dans une famille juive. Nous y reviendrons le moment venu.
L’épisode a abondamment été représenté.
Rembrandt, La Fuite en Égypte (1627, Tours BA). On commence par du classique. Un chemin dans la nuit, un bel âne, Joseph pieds nus, Marie et son grand turban blanc, le visage du bébé nimbé de lumière. D'ailleurs, d'où vient-elle cette lumière ? Pas de torche, pas de réverbère. Elle semble provenir de la Sainte Famille elle-même. Un tableau tout en simplicité, avec une grande sobriété de tons.
Murillo, La Fuite en Égypte (17e siècle, Gênes Musei di Strada nuova). Là encore, sur le plan iconographique, on est dans le simple : l'âne - mais quand même, rappelez-vous un autre âne dans l'histoire de Jésus, celui des Rameaux - animal symbole de simplicité, Joseph lourdement chargé, avec la besace, une parfaite Vierge à l'enfant avec Marie et Jésus. Là encore, très belle couleur, harmonie de gris et de bruns.
Pieter Bruegel l'ancien, Paysage avec fuite en Égypte (1563, Courtauld). Nous sommes plus dans l'inspiration de la célèbre Chute d'Icare du même auteur : un paysage idéal et serein, très joliment valloné, et les petites figure du premier plan, presque anecdotiques. On ne voit que le manteau rouge de Marie. Le voyage s'annonce long. Un tableau qui offre une échappée poétique sur les paysages lointains.
D'après Simon François, Fuite en Égypte (17e siècle, Tours BA). Moins de noblesse, plus d'humour, nous sommes proches de la scène de genre. Le petit enfant se trouve dans un berceau en osier et il dort tranquillement, pendant que ses parents marchent. La sollicitude de Marie, le visage de Joseph, les deux anges qui les bombardent de fleurs, tout cela forme un tableau tendre et charmant. Un tableau de fantaisie.
Francesco Granacci, Rencontre de la Sainte Famille avec Saint Jean-Baptiste durant la fuite en Égypte (1517, Gênes, palais Spinola). Il y a des fuites avec des anges, il y en a d'autres avec Jean-Baptiste. C'est presque une Vierge à l'enfant que nous avons là, s'il n'y avait Joseph et l'âne à l'arrière-plan (et un minuscule ange dans le ciel). J'aime bien la Vierge, très digne et majestueuse. Sa robe constitue la seule tache de couleur dans ce tableau par ailleurs très sobre.
Giambattista Tiepolo,
Fuite en Égypte (1767, Lisbonne Museu nacional de arte antiga). Alors là, c'est moins classique ! L'âne est resté sur le rivage et voici la famille dans une barque, manoeuvrée par deux anges vigoureux. Je ne connais pas d'autres représentations maritimes de l'épisode. Le couple de cygnes, les mignons petits nuages et la douceur du coloris rappellent bien évidemment que Tiepolo est un maître du rococo (tout le monde
se rappelle le rococo ?). C'est un dessin très libre et sûr de son talent.
Dans le genre de Joachim Patinir, Retour de la Sainte Famille à Nazareth (16e siècle, Lille, Musée de l'hospice comtesse). À première vue, on dirait un banal village hollandais (avec tous les détails des maisons bien rendus), mais le sujet est très original. C'est la première fois que je le vois traité. Nos trois héros (Jésus a eu le temps de grandir et d'apprendre à marcher) sont sur la route au premier plan.
Merson, Le Repos pendant la fuite en Égypte (1880, Nice musée Chéret). Un tableau grandiose qui rappelle que la peinture religieuse du XIXe siècle est capable de créations impressionnantes. C'est la nuit. Joseph est allongé à côté du feu qui s'éteint, l'âne est bien présent, la mère et l'enfant se reposent entre les pattes du sphinx et l'enfant dieu est la seule source de lumière.
Plusieurs choses à dire sur ce sphinx. D'abord, plusieurs représentations (même si ce n'est pas le cas de celles que je vous montre aujourd'hui) exploitent la veine exotique de l'Égypte. Les pyramides sont un objet aisément reconnaissable. Le XIXe siècle aime les grandes expéditions archéologiques et depuis Bonaparte l'Égypte bénéficie d'une certaine mode. De plus, comme dans les
Nativités situées dans des décors à l'antique, on a ici le passage des anciens dieux au nouveau, d'une ancienne sagesse à la nouvelle. Le sphinx protège Jésus et la nouvelle religion et regarde vers le ciel (ce qui n'est pas du tout archéologique).
Le tableau est remarquable par son dépouillement et son coloris gris-bleu, qui fait ressentir le vide du désert et de la nuit, la petitesse des personnages et la solennité du récit chrétien.
La semaine prochaine, interruption des programmes pour un truc spécial. Dans deux semaines, on reprend le récit.
De bien jolies choses à Tours, je devrais y retourner voir.
RépondreSupprimerTa série est vraiment complètes, différents genres, vraiment.
(oui , présentation 40 jours après la naissance, là ça va, ensuite on s'y perd un peu mais peu importe)
Les mythes ne sont pas chronologiques, ça tombe bien parce que la peinture non plus !
SupprimerIl y a des thèmes où je suis plus ou moins riche, pour certains je suis obligée de tricher en recourant à Wikipedia ou à la RMN, mais aujourd'hui, c'est bon !
la richesse autour de la Bible est vraiment sidérante
RépondreSupprimerC'est un réservoir de bons récits !
SupprimerMerci pour ce voyage. Ton billet nous montre bien la variété des représentations-interprétations grâce à ta contextualisation des tableaux. J'aime toujours Rembrandt, je découvre J.Patinir, j'aime beaucoup ( je vais être curieuse ).
RépondreSupprimerPatinir est un peintre flamand. Il y a de merveilleux tableaux au Prado à Madrid. Le Charon avec un bleu incroyable, fait partie de mes tableaux préférés. Il y en a aussi dans d'autres collections.
Supprimerplein de tableaux que je n'ai jamais vus! merci
RépondreSupprimerJ'écume beaucoup les musées...
SupprimerLe Simon François m'a fait penser que je n'avais jamais vu ce type de représentation, mais en fait tes tableaux d'après brisent aussi les stéréotypes (en tout cas les miens). Puisque tu connais si bien le Prado, tu as dû voir la version d'El Greco, actuellement exposée à Budapest.
RépondreSupprimerLe grand drame du Prado est que les photos y sont interdites (ce qui m’évite une orgie photographique). Il faut donc profiter des expo pour photographier les œuvres (en l’occurrence cet âne est formidable).
SupprimerLe tableau de François est une représentation religieuse traitée comme une scène de genre, avec familiarité et fantaisie. Cela permet de renouveler le thème de façon originale.