La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 22 mai 2021

Rococo et rocaille

Parcours dans l'art du XVIIIe siècle français. Suite. Aujourd'hui, le rococo !

Si je vous dis rococo, il n’y a peut-être pas grand-chose qui vous vient en tête. Si vous êtes un peu familier des musées, vous pensez XVIIIe siècle, François Boucher, Tiepolo, angelots roses, Mme de Pompadour et une opposition brutale avec le néoclassicisme.

Essayons d’affiner tout cela (de façon totalement subjective, comme d’habitude).

D’abord, le mot. « Rococo » a été inventé à la fin du XVIIIe par un élève de David pour désigner une esthétique à laquelle il fallait s'opposer. C’est un terme péjoratif, qui mêle « le style rocaille » et le mot « barroco » (baroque). Les sonorités du mot renvoient à quelque chose de pas très sérieux et de bizarre.

En France, on parle plutôt de style rocaille (mais si vous voulez être très méchant, vous parlerez du style Pompadour). Difficile de parler vraiment de style d’ailleurs ou plus encore de période. On parlerait plutôt de la période Louis XV, notamment pour l'ameublement. Il serait plus juste de parler d’esthétique ou d’inspiration rococo. C’est un peu comme le baroque : quand on en voit, on le reconnaît, mais de là à le définir…

N'empêche qu'il est en gros question de la moitié du XVIIIe siècle (1730 jusqu'à... 1760 ?), entre la grandeur et la solennité du siècle de Louis XIV et l'art dit à l'antique ou l'art néoclassique qui s'impose ensuite progressivement. Mais il y a des oeuvres que l'on qualifiera plutôt de classique ou de baroque que de rococo.


Bien sûr, il y a la peinture de François Boucher, qui n’est pas forcément appréciée (trop de mièvreries roses et trop de pastorales licencieuses) (soi-disant !), alors qu’il avait un coup de pinceau absolument royal ! Et une couleur onctueuse. Et un dessin plein de culot. Et c’est le maître des glacis transparents pour rendre les carnations. Et puis son Hercule et Omphale est tout à fait formidable. Il y a aussi d’autres peintres, les plus connus sont Fragonard et Watteau et plein d’autres qui peuplent nos musées.

Le Retour de chasse de Diane (1745, Cognacq-Jay). Un chef-d'oeuvre de Boucher, très proche de Diane sortant du bain (Musée du Louvre). Des mignonneries dénudées ? Ou une merveille de coloris. La peau de la déesse est obtenue par la superposition de glacis colorés et transparents. La lumière les traverse tour à tour, pour former dans notre oeil cette teinte nacrée un peu blanche, mais bleutée, mais rosée, pleine d'éclat. Et puis les sandales en rubans bleus et la magnifique peau de bête...


À gauche, l'épouse de Deshays de Coleville (1762, Cognacq-Jay). Elle a toute la panoplie : les cheveux poudrés, le teint nacré et les joues roses, le petit nez, la petite bouche, les fleurs dans les cheveux et au corsage, la dentelle blanche qui dépasse de la robe, le petit truc blanc transparent, le vêtement bleu pastel, les perles. Assez mièvre malgré d'appétissantes promesses (n'est pas Boucher qui veut).

À droite, un Jeune homme bien sous tous rapports par Perronneau (c'est un pastel ! 1756, Metropolitan). Les messieurs aussi ont droit à ce délicat vêtement rose, à la dentelle, aux fleurs, au regard bleu, au linge blanc, à la poudre, à la petite bouche. Un portrait très expressif et plein de vérité et de vigueur.


Ce portrait de Mme Crozat par Aved (1741, Musée Fabre) met en valeur son modèle et l'acuité de son regard. On voit aussi tout ce qui fait la mode et le luxe du temps : linge blanc, dentelle, broderies d'or, bijoux, opulence. Et la maturité n'exclut pas la coquetterie !


Après-coup, les élèves de Jacques-Louis David se sont inventé un ennemi rococo. Parce que c’est l’art de la monarchie et de l’aristocratie, supposément dégénéré et immoral, et qu’après 1789, l’heure était à une esthétique différente. On se réclame alors de l’Antiquité, mais pas celle des amours licencieuses de Jupiter, plutôt celle des grands hommes, de la vertu morale de la République romaine, de la vigueur militaire de l’Empire, contre ces messieurs en dentelle et ces dames aux joues roses. On préfère le brun, la sobriété et la grandeur. Le modèle, c'est Nicolas Poussin. Toutefois, le saviez-vous ? Boucher a été quelque temps le maître de David. Il existe un tableau de David bien rose, souvenir de cette époque, et qui souligne que la rupture d’une esthétique à une autre n’est pas si simple.

Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que l'on se mette à aimer à nouveau cet art.

Caricature par Bergeret (1817, lithographie) qui montre à gauche le peintre rococo, avec l'épée et la perruque des aristocrates, dans une pose artificielle, efféminée, face aux virils élèves de David, cheveux libres, sans culottes, en train de rejouer le Serment des Horace du maître. C'est le foutoir dans l'atelier et les plâtres des statues antiques sont enrôlés dans la bataille.


Mais il est vrai que le nec-plus-ultra, ce sont les arts décoratifs. Ah les petits meubles, tables d’appoint, fauteuils, repose-pied, tables de jeu, secrétaire, boîtes, nécessaires de toilette… les lampes, les miroirs, les commodes… Un mobilier fabriqué à Paris, exporté dans toute l’Europe, imité partout et pendant longtemps. Un savoir-faire inégalé, des merveilles de marqueterie et d’assemblage. Un mobilier de luxe produit pour l’aristocratie et la très haute bourgeoisie, le règne de la mode.

Un projet d'applique (anonyme, 1775, musée des arts décoratifs) : des courbes dans tous les sens, des rinceaux, un ruban, il y en a un peu trop.

Une très jolie table (1760 attribuée à JF Oeben, musée Cognacq-Jay) en marqueterie, d'une délicatesse inouïe. Il y a très peu de lignes droites et le motif est purement ornemental.


Boucher, un ornement architectural fantaisiste (1740, sanguine, Grobet-Labadié). Comme une figure obscène avec cette grosse langue, sauvage avec tous ces poils qui sortent du nez et des oreilles, le tout inséré dans un coquillage, et un regard lorgneur. Oh c'est virtuose !


Et comment décrire ce style rocaille ? Il y a les motifs : les fontaines, les coquillages, les oiseaux, les rinceaux… Et surtout l’agencement : asymétrique, irrégulier, courbes et contre-courbes… un dessin contourné et volontiers sensuel. On reproche au rococo d'être petit, immoral, soucieux uniquement de distraire. On serait dans l’élégant, le léger, le confort, le gracieux. Le frivole ? Il existe aussi de la peinture religieuse, de grands tableaux historiques, des portraits d'hommes sévères. Les analyses des historiens de l’art sont nombreuses à montrer que c’est un peu plus compliqué que cela. Cet art n’a rien de simple.

Des figurines en porcelaine tendre de Sèvres (conservées à Sèvres) d'après des dessins de Boucher. Il n'y a rien de droit et c'est charmant.

Que visiter ? La place Stanislas à Nancy. Des églises de Bavière et d’Autriche. Le musée Cognacq-Jay à Paris. Les salons de l’hôtel de Soubise (= Archives nationales à Paris). Le Louvre. Le début du roman Les Onze de Pierre Michon s'ouvre par une belle évocation d'un plafond de Tiepolo.

Le saviez-vous ? D’après Pastoureau, le cochon rose a été inventé au XVIIIe siècle. Avant il était plutôt noir. Tout un symbole.

On va pas se mentir : il y a aussi des trucs moches (mais on va dire que c'est très XVIIe siècle).

 

Le blog est dans une série sur le XVIIIe siècle. Il y a eu : des portraits au pastel, la visite du château de Champs-sur-Marne. La semaine prochaine, place à la porcelaine.


ADDENDUM FRONT : On a commencé à gonfler les ballons extendeurs et je fabrique donc de la nouvelle peau. J'ai la tête sous un turban et tout va bien !

ADDENDUM VIE SOCIALE : Ahhhh le retour dans les musées ! J'étais à Arles jeudi, c'était merveilleux ! Manger au soleil dans un bon restaurant et prendre des milliards de photos au Museon Arlaten, un plaisir.


8 commentaires:

keisha a dit…

(super, tes addenda!)
Ceci étant, bah, pour les tableaux c'est souvent superbe, mais les objets sont parfois un peu chargés (genre ramasse poussière; ces gens là ont du petit personnel)

eimelle a dit…

je préfère aussi le rococo en peinture! Bon week-end!

nathalie a dit…

Je pense qu'un de mes prochains billets devrait te plaire alors.

nathalie a dit…

tssss, mais enfin, les bibelots, c'est la vie et la grandeur de la France !

Dominique a dit…

j'adore tes pages sur l'art comme chez Wodka j'apprends des masses de choses sans ennui et avec bonheur

nathalie a dit…

Merci Dominique, ça fait chaud au coeur !

miriam a dit…

Pas très fan! Quoique, cette Mme Crozat est bien intéressante et les caricatures amusantes.

nathalie a dit…

Elle est magnifique mme Crozat !