Émile Zola, La Faute de l’abbé Mouret, 1875.
Le début du roman est très apaisé. Le jeune abbé Mouret célèbre l’office du matin, dans une petite église délabrée d’un village paumé du sud de la France. Il est tranquille, s’appuyant avec confiance sur sa foi. Et Zola décrit avec minutie l’ensemble du rite – j’ai pris beaucoup de plaisir à cette longue et belle scène d’exposition.
Mais l’abbé est installé dans un village où la religion n’intéresse personne et où chacun cultive ses intérêts matériels. Et puis la langue de Zola associe sans cesse la nature, la terre, les animaux, la végétation et les femmes au désir, à la fécondation, au sexe et donc à la putréfaction. « Émile, t’es lourd », me dis-je. Le pauvre abbé ignore encore ce qu’il va lui arriver, alors que le lecteur est déjà prévenu.
Maintenant, il sentait dans un même souffle pestilentiel la tiédeur fétide des lapins et des volailles, l’odeur lubrique de la chèvre, la fadeur grasse du cochon. C’était comme un air chargé de fécondation, qui pesait trop lourdement à ses épaules vierges.
Sans transition, la deuxième partie bascule dans le conte. L’abbé y sera appelé par son prénom, Serge. Il a été grièvement malade (nerfs fragiles), il est en convalescence chez Albine, jeune fille de 16 ans, dans un immense et merveilleux jardin.
Ah ce jardin ! Presque sans limite et sans raison, pourvu de toutes les plantes de la terre (au mépris de toutes les contraintes botaniques). Une roseraie enchantée, des arbres gigantesques, une prairie d’herbes… Ici Serge renaît à lui-même, redécouvre le soleil et la vie et naît à l’amour par la même occasion. Hélas. Entrés dans le jardin comme Daphnis et Chloé, Serge et Albine en sortent bientôt comme Adam et Ève.
(Ici, j’avoue avoir insulté Émile.)
Dans le parterre, ce fut alors une longue émotion. Le vieux parterre leur faisait escorte. Vaste champ poussant à l’abandon depuis un siècle, coin de paradis où le vent semait les fleurs les plus rares.
Je regrette que Zola soit un romancier aussi démonstratif (regret vain bien sûr, c’est seulement que son projet n’est pas le mien). Alors que nous mourrons d’envie de nous perdre dans ce jardin, de contempler les plantes et les insectes, de réinventer une vie plus végétale et loin du temps des humains, il est pour sa part incapable de camper un tel décor sans intentions. Le jardin n’est pas décrit pour lui-même, mais au service de sa démonstration, et pour moi, il s’agit d’une faiblesse.
Ce roman me paraît quand même très réussi, notamment par sa construction. Les trois parties s’enchaînent avec des changements brusques et inexpliqués pour le lecteur, qui devine seulement ce qui s’est passé. En dehors de Serge et d’Albine, il y a seulement quelques personnages secondaires, brossés de façon vigoureuse et tendant vers le grotesque. De plus, seule une phrase, jetée presque par hasard par le médecin, rattache le roman à la saga des Rougon-Macquart. De ce fait, le volume apparaît comme un conte isolé, tout comme le jardin invraisemblable flotte dans l’imaginaire – une sorte de rêve inaccessible. Le retour au naturalisme est brutal. Je ne peux pas m’empêcher de penser que Zola fait preuve de cruauté envers ses personnages.
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Il y a, près de Menton, un jardin extraordinaire avec des camélias de 5 mètres de haut. |
La Teuse, en entrant, posa son balai et son plumeau contre l’autel. Elle s’était attardée à mettre en train la lessive du semestre. Elle traversa l’église, pour sonner l’Angelus, boitant davantage dans sa hâte, bousculant les bancs. La corde, près du confessionnal, tombait du plafond, nue, râpée, terminée par un gros nœud, que les mains avaient graissé ; et elle s’y pendit de toute sa masse, à coups réguliers, puis s’y abandonna, roulant dans ses jupes, le bonnet de travers, le sang crevant sa face large.
Il y avait là des roses jaunes effeuillant des peaux dorées de filles barbares, des roses paille, des roses citron, des roses couleur de soleil, toutes les nuances des nuques ambrées par les cieux ardents. Puis, les chairs s’attendrissaient, les roses thé prenaient des moiteurs adorables, étalaient des pudeurs cachées, des coins de cors qu’on ne montre pas, d’une finesse de soie, légèrement bleuis par le réseau des veines.
Jésus restait sourd. Un instant, l’abbé Mouret implora le ciel de ses bras éperdument levés. Ses épaules craquaient de l’élan extraordinaire de ses supplications. Et bientôt ses mains retombèrent, découragées. Il y avait au ciel un de ces silences sans espoir que les dévots connaissent. Alors, il s’assit de nouveau sur la marche de l’autel, écrasé, le visage terreux, se serrant les flancs de ses coudes, comme pour diminuer sa chair. Il se rapetissait sous la dent de la tentation.
Ma lente avancée dans la saga des Rougon-Macquart : La Fortune des Rougon : ascension d’un couple à l’occasion du coup d’état du 2 décembre et constitution de la famille Rougon-Macquart. Un très bon volume. La Curée : à Paris l’enrichissement permis par la spéculation immobilière et une chair triste (un certain dégoût). Le Ventre de Paris : le commerce de bouche aux Halles, la symphonie des fromages et on est un peu écoeuré de toute cette nourriture. La Conquête de Plassans : une vue de la société de province (bof).
Comment ça, tu tutoies Zola et l'appelle Emile? Bref, pas trop envie de relire cette saga, mais j'aurais aimé voir ce jardin, quand même
RépondreSupprimerJe le tutoie et je le rudoie, il n'a qu'à faire comme je veux !
SupprimerJe ne me souvenais pas à quel point la plume de Zola est évocatrice. Cruel avec ses personnages, ça oui, c'est sûr.
RépondreSupprimerC'est frappant, je trouve.
Supprimerah c'est drôle comme on a chacun une lecture particulière d'un même roman
RépondreSupprimerje n'ai pas été gênée par le côté démonstratif, je me suis laissée avoir et j'ai navigué dans ce jardin en rêvant avec bonheur
J'ai beaucoup aimé cette plongée dans le jardin mais il est trop au service de l'histoire. Bon c'est l'époque, le XIXe n'avait pas trop la culture de la nature, surtout Zola qui ne s'intéressait qu'aux humains. Notre sensibilité est très différente.
SupprimerJe ne fais pas de ce titre une priorité (le résumé ne me tente pas vraiment, et puis, ton bémol...). J'ai d'ailleurs Thérèse Raquin sur ma pile.
RépondreSupprimerMais c'est de la triche, Thérèse ne fait pas partie de la saga !
SupprimerJe pense l'avoir déjà lu, mais une petite relecture ne me fera pas de mal, pour plus tard.
j'ai essayé de poster un commentaire de mon téléphone mais il n'est pas arrivé! La faute de l'abbé mouret n'est pas un de mes Zola préférés. Je préfère le roman social bien noir aux romans d'amour.
RépondreSupprimerJ'ai vu sur ton blog que tu n'avais pas trop aimé en effet, contrairement à moi. Mon avis est plutôt positif.
SupprimerJ'ai failli ne jamais ressortir de ce jardin, tant j'ai trouvé la partie centrale du roman longue, mais longue, tout en en reconnaissant le talent. Peut-être le côté démonstratif, tu as raison. On sent qu'Emile se cherche encore quand même. Par contre je trouve son portrait d'une vie de prêtre dans une paroisse paumée où chacun se contrefiche de la religion assez convaincant. Et il y a aussi le beau personnage de Désirée qu'on retrouve du roman précédent que contrairement à toi j'ai beaucoup aimer. On sent en tout cas qu'à cette époque la question des prêtres taraude un peu notre Emile! Bon, plus qu'un roman pour toi (Son Excellence...) et tu vas entrer dans un des sommets du cycle: bientôt la double claque de L'aAssommoir et de Nana...
RépondreSupprimerJ'ai aussi beaucoup aimé le récit de cette vie de prêtre, ce très long début là. Zola est totalement immergé dans cette culture catholique.
SupprimerJ'appréhende un peu de lire L'Assommoir, j'avoue. On verra pour la relecture de Nana.