Émile Zola, La Fortune des Rougon, 1871 (revu en 1873).
Scène d’ouverture dans un bled de Provence nommé fictivement Plassans : un couple de très jeunes gens rejoint les rangs d’une armée populaire marchant au secours de la République. Le lecteur comprend que l’on est peu après le 2 décembre 1851, au moment du coup d’état de Napoléon le neveu.
Suit un vaste retour en arrière où nous découvrons l’origine de la famille des Rougon-Macquart et les différents protagonistes du roman. Je dirais que nous sommes dans un roman balzacien sur les ambitions d’une ville de sous-préfecture. Les envies de richesse et de pouvoir, les frustrations, les intrigues dormantes se réveillent avec la montée en puissance de Louis Napoléon Bonaparte. La peinture de cette société conservatrice est saisissante. Le récit du coup d’état vu depuis une mairie désertée est très réussi, entre la farce et la tragédie, car à la fin on fusille quand même les ouvriers fidèles à la République.
Et c’est ainsi que les lenteurs provinciales, dont on se moque volontiers à Paris, sont pleines de traîtrises, d’égorgillements (sic.) sournois, de défaites et de victoires cachées. Ces bonshommes, surtout quand leurs intérêts sont en jeu, tuent à domicile, à coups de chiquenaudes, comme nous tuons à coups de canon, en place publique.
Ce qui peut m’agacer chez Zola est ici présent heureusement à faible dose : les considérations sur la race et le déterminisme (inéluctable, mais qui saute mystérieusement une génération), le sexisme (« Elle a 13 ans, Émile ! » a-t-on envie de dire à plusieurs reprises, devant certaines remarques très gênantes), mais dans l’ensemble j’ai vraiment apprécié ma lecture.
Par les attaches et les extrémités, par l’attitude alourdie des membres, il était peuple ; mais il y avait en lui, dans le redressement du cou et dans les lueurs pensantes des yeux, comme une révolte sourde contre l’abrutissement du métier manuel qui commençait à le courber vers la terre.
Le livre est paru alors que le Second Empire s’était écroulé et, évidemment, camper un avènement aussi minable fait écho au très récent désastre de Sedan. C’est aussi le premier volume de la saga. On voit que Zola a dès le début conçu la répartition générale des membres de la famille, ainsi que leur articulation entre eux, ce qui explique le soin pris dans ce volume à disposer les différents rejetons d’Adelaïde Rougon.
Est-il innocent que la saga s’ouvre par l’évocation d’un cimetière désaffecté et joyeusement envahi par les garnements et la végétation ?
Les graffitis du château d'If où ont été détenus plusieurs opposants au coup d'État. |
Ils s’embrassèrent encore, ils s’endormirent. Et, au plafond, la tache de lumière s’arrondissent comme un œil terrifié, ouvert et fixé longuement sur le sommeil de ces bourgeois blêmes, suant le crime dans les draps, et qui voyaient en rêve tomber dans leur chambre une pluie de sang, dont les gouttes larges se changeaient en pièces d’or sur le carreau.
Ces soldats, encore saignants, qui passaient, las et muets, dans le crépuscule sale, dégoûtèrent les petits bourgeois propres du Cours, et ces messieurs, en se reculant, se racontaient à l’oreille d’épouvantables histoires de fusillades, de représailles farouches, dont le pays a conservé la mémoire. La terreur du coup d’État commençait, terreur éperdue, écrasante, qui tint le Midi frissonnant pendant de longs mois. Plassans, dans son effroi et sa haine des insurgés, avait pu accueillir la troupe, à son premier passage, avec des cris d’enthousiasme ; mais, à cette heure, devant ce régiment sombre, qui tirait sur un mot de son chef, les rentiers eux-mêmes et jusqu’aux notaires de la ville neuve, s’interrogeaient avec anxiété, se demandant s’ils n’avaient pas commis quelques peccadilles politiques méritant des coups de fusil.
Me voilà donc partie pour (re)lire les Rougon-Macquart sur ma liseuse. À raison de deux ou trois volumes par an, il y en a pour quelques années.
J'ai beaucoup lu et aimé Zola mais je devrais peut-être le relire aussi
RépondreSupprimerJusqu'à présent, j'en ai lu 4 ou 5 mais en ordre dispersé, j'ai donc décidé de m'y mettre sérieusement.
SupprimerFigure toi que j'avais eu le même projet il y a quelque temps (les RM ça remontait à ma vingtaine) mais pfff j'ai lâché ce premier volume...
RépondreSupprimerMais enfin ? Pas intéressée par les abîmes de l'esprit de madame Rougon ?
SupprimerBen Zola passe moins bien chez moi maintenant, pourtant je les ai tous lus, dans le désordre, et certains passent mieux que d'autres.
SupprimerAh je pense que pour certains ce ne sera pas une lecture complète (L'Assommoir, je ne le sens pas bien par exemple).
SupprimerJ'ai lu L'Assommoir, excellent, sans doute au lycée, mais je m'en souviens trop pour avoir envie de le relire (trop affreuse, cette histoire de déchéance)
Supprimerj'ai fait ça il y a quelques années mais il m'en reste toujours trois à lire : l'oeuvre, le Dr Pascal et Nana il serait temps que je finisse
RépondreSupprimerJ'ai lu L'Oeuvre car je l'ai fait étudier en histoire de l'art et Nana aussi, il y a plus longtemps. Bon là je reprends tout dans l'ordre.
SupprimerJe "picore"... j'en lis ou en relis un de temps en temps, pas dans l'ordre, le prochain à m'attendre est Thérèse Raquin. Quant à celui-là, je ne l'ai jamais lu, mais je ne suis pour le moment pas très tentée..
RépondreSupprimerJ'ai fait comme ça jusqu'à présent mais j'ai décidé de prendre les choses sérieusement ! Pour le moment, volume 1, c'est une bonne surprise.
SupprimerThérèse raquin est dans les rM? Petit doute ce matin.
SupprimerEt non ! Il l’a publié avant.
SupprimerLire ou relire Zola, quelle bonne idée et dans l'ordre?
RépondreSupprimerOui ! Pour le moment, un volume.
SupprimerCela fait longtemps que je l'ai lu mais comme toi, j'ai commencé à relire "Les Rougon-Macquart" ces dernières années. Si tu es tentée par une lecture commune, fais-moi signe :-)
RépondreSupprimerÉcoute je pense lire le deuxième en août, pendant les prochaines vacances, donc on peut se faire un billet en septembre si tu veux !
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