La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 24 septembre 2024

Quels gredins que les honnêtes gens !

 

Émile Zola, Le Ventre de Paris, 1873.

 

Au début du livre, une lente procession de chariots de légumes entre dans Paris alors qu’il fait encore nuit noire. Ils se dirigent vers le quartier des Halles et son gigantesque marché. Mais madame François recueille un homme bien mal en point (mourant de faim, de fait). C’est Florent, le héros du roman, qui s’est évadé du bagne et qui vient retrouver son frère, charcutier dans le quartier. Le livre se déroule tout entier dans ces quelques rues. Il prend place parmi les commerçants de bouche et dans les Halles de Baltard. Il raconte comment Florent retrouve à la fois sa famille et le Paris du Second empire et comment tous ces honnêtes commerçants se liguent, plus ou moins consciemment, pour expulser de leur vue ce rappel permanent de la réalité du régime.


Au milieu du grand silence, et dans le désert de l’avenue, les voitures de maraîchers montaient vers Paris, avec les cahots rythmés de leurs roues, dont les échos battaient les façades des maisons, endormies aux deux bords, derrière les lignes confuses des ormes. Un tombereau de choux et un tombereau de pois, au pont de Neuilly, s’étaient joints aux huit voitures de navets et de carottes qui descendaient de Nanterre ; et les chevaux allaient tout seuls, la tête basse, de leur allure continue et paresseuse, que la montée ralentissait encore.

C’est le début.


Le point marquant de l’œuvre est évidemment la description des différents commerces, fruits et légumes, charcuterie, triperie, poissonnerie, fromage, etc. etc. Description tout à la fois grandiose (ah ! le concert symphonique des fromages !) et pleine de couleurs – car Claude Lantier, le peintre de la saga, tient ici un rôle important pour introduire Florent à cet univers et lui faire découvrir les différentes facettes des Halles. Description un poil répétitive aussi, on sent bien que Zola s’est dit qu’il allait explorer à tour de rôle tous les commerces. L’abondance tend d’ailleurs à engendrer le dégoût, c’est qu’il y a beaucoup de viande là-dedans.


Sur le carreau de la rue Rambuteau, il y avait des tas gigantesques de choux-fleurs, rangés en piles comme des boulets, avec une régularité surprenante. Les chairs blanches et tendres des choux s’épanouissaient, pareilles à d’énormes roses, au milieu des grosses feuilles vertes, et les tas ressemblaient à des bouquets de mariée, alignés dans des jardinières colossales.

 

C’est la politique des honnêtes gens… Je suis reconnaissante au gouvernement, quand mon commerce va bien, quand je mange ma soupe tranquille, et que je dors sans être réveillée par des coups de fusil… C’était du propre, n’est-ce pas, en 48 ?


L’intrigue est un peu prévisible et on est encore sur le thème du complot des honnêtes gens, avec encore le rôle déterminant de la vieille fille méchante et radin (il faudrait penser à changer, Émile). Par ailleurs, il y a plusieurs beaux portraits, celui de Claude Lantier (un peu forcé quand même, on sent bien que Zola n’est pas peintre), de Cadine, de Lisa à sa façon, de madame François.

C’est la violence du Second Empire. Parce que ce que cachent ces descriptions de beaux magasins richement achalandés, ce sont… les lettres de dénonciation, les mouchards de la police et la violence de la répression.

Lhermitte, Les Halles, 1895 Petit Palais
 

Vous comprenez, j’avais tous les tons vigoureux, le rouge des langues fourrées, le jaune des jambonneaux, le bleu des rognures de papier, le rose des pièces entamées, le vert des feuilles de bruyère, surtout le noir des boudins, un noir superbe que je n’ai jamais pu retrouver sur ma palette. Naturellement, la crépine, les saucisses, les andouilles, les pieds de cochon panés, me donnaient des gris d’une grande finesse. Alors je fis une véritable œuvre d’art.

 

Elles se regardèrent toutes trois d’un air prudent. Et, comme elles soufflaient un peu, ce fut le camembert qu’elles sentirent surtout. Le camembert, de son fumet de venaison, avait vaincu les odeurs plus sourdes du marolles et du limbourg ; il élargissait ses exhalaisons, étouffait les autres senteurs sous une abondance surprenante d’haleines gâtées. Cependant, au milieu de cette phrase vigoureuse, le parmesan jetait par moments un filet mince de flûte champêtre ; tandis que les bries y mettaient des douceurs fades de tambourins humides.

 

Un titre qui participe à l’année d’Ingannmic sur le travail dans la catégorie « commerce de bouche », mais également qui inscrit Paris sur la carte des lectures urbaines "Sous les pavés, les pages" d’Athalie et de la même Ingannmic.

 

Lecture de la saga des Rougon-Macquart :

La Fortune des Rougon : ascension d’un couple à l’occasion du coup d’état du 2 décembre et constitution de la famille Rougon-Macquart. Pour le moment mon volume préféré.

La Curée : à Paris l’enrichissement permis par la spéculation immobilière et une chair triste

 

La suite de la saga dès jeudi.


1 commentaire:

  1. C'est l'eglise saint eustache, là, dans le fond. Au moins elle n'a pas bougé...

    RépondreSupprimer

N’hésitez pas à me raconter vos galères de commentaire (enfin, si vous réussissez à les poster !).