La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 20 octobre 2025

Son cœur se réjouit et il sourit, pensant qu'il allait le retrouver.

 

Mario Rigoni Stern, Les Saisons de Giacomo, parution originale 1995, traduit de l'italien par Laura Brignon, édité en France par Gallmeister.


Dernière étape d'une trilogie dont les volumes peuvent se lire de façon indépendante.
Deux premières pages : les années 50-60, un homme – l'auteur ? – revient dans un hameau quasi abandonné. Et puis le roman démarre. 

Dans plus d'une famille, on mangeait la polenta avec du petit-lait, qui restait dans le chaudron après la coagulation du lait et que la fromagerie coopérative vendait dix centimes la fiasque.

Dans les Alpes italiennes, tout près de la frontière autrichienne, les enfants nés en 1918, durant L'Année de la victoire, ont grandi et deviennent adolescents. Le roman raconte cette enfance dans la montagne, la polenta, les patates, le bétail, la sociabilité. Il raconte aussi la pauvreté d'une terre où il y a peu de travail et où les produits agricoles rapportent peu. Les hommes s'exilent, plus ou moins loin et envoient de l'argent. Mais la grande histoire n'est jamais loin, même de ces milieux les plus modestes. Alors que toute la forêt est encore pleine des restes de la Première guerre mondiale (morts, cartouches, métaux, objets diverses), dont la récupération fait vivre bien des familles, apparaît déjà le hideux fascisme, avec son endoctrinement des jeunes, sa manipulation du travail, son exaltation de la guerre, laquelle reviendra malheureusement bien vite.

Ils portaient tous des chemises, des pantalons, des vestes, des chaussettes rapiécées avec des pièces elles-mêmes raccommodées et renforcées par d'autres pièces. Leurs mains, leurs habits et parfois leur visage étaient jaunes à cause de l'acide picrique et des autres explosifs avec lesquels ils étaient en contact.

C'est un roman, celui de Giacomo, mais c'est aussi un récit quasi autobiographique, une quasi-chronique, au vu de l'absence d'effets de style. Annotation des événements survenus dans une petite communauté humaine (mariage, fiançailles, misère, coup de chance, apprentissage du ski, etc.) d'une guerre à l'autre, évocation d'une enfance, celle du Sergent dans la neige.

Le roman est loin d'être parfait. Le ton me paraît planplan, les personnages ne sont pas affirmés, l'écriture me retient peu – on parlera d'un ton pudique pour raconter les souvenirs d'une famille et d'un village. Ne parlons pas des femmes, personnages secondaires dont l'existence ne retient guère l'attention. Et pourtant, le roman me paraît intéressant pour évoquer sobrement et avec réalisme les années disparues, l'imposition du fascisme sur une communauté et l'acheminement vers les années de guerre.

Dans les étapes du fascisme, je note notamment le combat pour garder les vaches d'une espèce locale alors que le régime impose le recours à des taureaux suisses et la conquête de l'Éthiopie.
Ce volume me paraît donc nettement mieux que le précédent.

Arc des Philhènes en Libye pendant la colonisation Italienne
Photo prise en 1937 à Sabratha (Mucem)

Je suis passé et il n'y avait personne. Silence autour et à l'intérieur des maisons. Un chien aboyait dans le lointain et deux corbeaux croassaient dans le ciel. La neige était tombée bas, jusque sur le Moor, mais malgré le froid, les cheminées ne fumaient pas. Toutes les portes étaient fermées, les volets des fenêtres clos.
C'est le début.

En faisant ce travail de récupération, ils revoyaient leur guerre, non plus depuis le fond d'une tranchée ou d'un abri obscure creusé dans la roche, ainsi qu'ils l'avaient vécue au plus fort des combats ou des bombardements, mais en plein air, d'en haut, debout, et elle prenait un tout autre aspect : ces ossements retrouvés et mis de côté aux abords de la Pozza dell'Agnelizza étaient ceux de leurs compagnons du village engagés dans les bataillons Bassano et Sete Comuni.

Tout commence en 1922, avec l''installation des nouvelles cloches dans le clocher et tout s'achève dans le froid glacé de la steppe russe.


Et c'est une lecture commune. Billet d'Alexandra.
Patrice l'a également lu en 2021.


Rigoni Stern sur le blog.

Hommes, bois, abeilles : la vie dans la montagne - et il y a un second billet
Le Sergent dans la neige : la très longue retraite de l'armée italienne en Russie pendant la Seconde guerre mondiale, un chef d'oeuvre
Retour sur le Don : des récits de l'armée italienne dans les confins russo-ukrainiens 
Requiem pour un alpiniste : recueil de récits relatifs aux deux guerres mondiales, très bien.
Histoire de Tönle : un berger et son village à la frontière de l'Italie et de l'Empire, au temps de la Première guerre - une évocation très réussie
L'Année de la victoire : l'année 1919 dans ce même village, la reconstruction, mais manquant un peu d'épaisseur



6 commentaires:

  1. Nos avis se rejoignent sur le fait que ce tome est mieux que le précédent. Il y a une autre chose qui m'a sautée aux yeux en lisant ton billet: le roman est écrit presque comme un journal intime. il n'y a pas d'entrées apparentes mais les évènements apparaissent par ordre chronologique.

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    1. Oui complètement, c'est une sorte de chronique (saison après saison en fait), un déroulement des faits avec peu d'émotion.

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  2. J'ai zappé cette LC, j'avais emprunté, sans conviction. Peut être ce soldat dans la neige?

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    1. Le Sergent vient d'être retraduit en plus, tu n'as aucune excuse !

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  3. je viens juste de comprendre que c'est une lecture commune! Je vais rattraper le retard

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    1. Hop je l'ai un peu plus mis en valeur, c'est vrai que l'info était un peu noyée.

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