William Faulkner, Sartoris, parution originale 1929, traduit de l’anglais par R.-N. Raimbault et H. Delgove, se trouve en Folio.
Nous faisons connaissance avec la famille Sartoris, dans le Mississippi, peu après la Première guerre mondiale. Grande famille blanche, banquier, bienfaiteur de la ville, héros de la guerre de Sécession, têtes brûlées. Il y a Bayard le vieux et sa tante Jenny, 80 ans, la tête solide. Ne tarde pas à arriver Bayard le jeune, le petit-fils, qui revient de la guerre complètement traumatisé, revivant sans cesse la mort de son frère John. Car il y a aussi les fantômes des morts. Et les domestiques noirs, les nègres dans le roman, le vieux Simon et un jeune qui revient aussi de la guerre. Et puis il y a une jeune femme et le frère de la jeune femme.
Le vieux Bayard ferma la porte derrière lui et se dirigea vers la voiture, de cette allure droite et roide qui, comme l’avait un jour déclaré un de ses compatriotes, se serait barré le chemin à elle-même en tombant, s’il était venu à faire un faux pas.
Un roman qui se déroule sur un peu plus d’une année et qui nous plonge au plus près de la vie de ces personnages. Si l’on excepte le début, où on s’embrouille un peu dans ces John et ces Bayard et ces guerres qui se répètent, le lecteur parvient assez rapidement à partir sur le bon pied. De même, l’histoire est relativement attendue, mais ce sont les péripéties intermédiaires qui vont retenir toute l’attention de l’écrivain et de la lectrice.
J’ai apprécié l’évocation des interactions complexes entre les personnages. Miss Jenny qui a la tête pleine des Sartoris, qu’elle critique haut et fort, mais auxquels elle voue sa vie. Simon et Bayard, indispensables l’un à l’autre, mais passant leur vie à se mépriser, l’impossibilité pour certains d’envisager d’autres rapports de force que ceux qu’ils ont toujours connus. La violence des rapports sociaux, coups et insultes, les ordres donnés, comme une normalité.
L’idée de retrouver son cabinet de travail avec son odeur de moisi faisait naître en lui une flambée… non d’enthousiasme, bien sûr, mais d’un renoncement profond et résigné qui ressemblait presque à du plaisir. Ce que signifiait la paix. Les jours d’autrefois, invariables, sans ailes peut-être, mais aussi sans catastrophe.
Il y a aussi les relations difficiles entre hommes et femmes, eux qui partent au loin et qui reviennent tout détruire, et elles qui les enterrent et les élèvent – après tout si les maisons du Sud sont encore debout, c’est bien autant grâce à elles que grâce au travail acharné des noirs dans les champs et les maisons. Mais au cimetière il n’y aura que les noms des hommes sur les tombes.
Ou plutôt il lui semblait que sa tête était celle d’un autre Bayard étendu sur un lit inconnu, et dont les nerfs engourdis par l’alcool rayonnaient comme des fils de glace à travers ce corps qu’il devait traîner à tout jamais avec lui par un monde sans joie et sans intérêt.
Merde ! s’écria-t-il, couché sur le dos, regardant par la fenêtre dehors où il n’y avait rien à voir, attendant le sommeil sans savoir s’il viendrait ou non, sans se soucier particulièrement que ce fût l’un ou l’autre. Ne rien savoir, et l’interminable durée de la vie normale d’un homme.
Il allait se coucher les muscles apaisés, le corps tout plein des rythmes tranquilles de la terre, et s’endormait ainsi. Mais il s’éveillait encore parfois, dans la paisible obscurité de sa chambre, et sans que rien l’en eût averti, contracté, trempé de sueur, en proie à la terreur de jadis. Alors, pendant un instant, le monde était aboli, et lui n’était plus qu’une bête prise au piège dans les hauteurs du ciel bleu, luttant désespérément pour la vie, prise au piège dans la diabolique machine qui l’avait trahi, qui avait tenté le destin avec trop d’audace, et il repensait que, si la balle vous atteignait, c’était l’explosion en l’air, la catastrophe inévitable. Tout plutôt que la terre. Ce n’était pas la mort, non, c’était cet écrasement qu’il vous fallait vivre tant de fois avant de toucher le sol, c’était cela qui vous étreignait la gorge jusqu’à la nausée.
Faulkner sur le blog :
Sanctuaire : le deuxième plus facile pour commencer, mais il est sombre, sombre.
J'adore le littérature du sud des USA, mais j'ai toujours aussi peur de Faulkner !
RépondreSupprimerBon j'essaie de défricher, tu vois que quelques titres sont plus faciles (comme le dit d'ailleurs Ingannmic juste en-dessous).
SupprimerUn bon titre pour commencer avec Faulkner, je trouve : à part le début, comme tu l'écris un peu "confusant", c'est un titre qui se lit facilement. C'est dans celui-là qu'on croise les Snopes, je ne sais plus ? J'ai le trilogie les concernant sur ma pile, je m'y attaquerai peut-être à l'occasion de la prochaine saison des pavés..
RépondreSupprimerD'après Google les Snopes figurent précisément dans la trilogie. Moi aussi il faut que je m'y attaque. Cela ne se fera pas en un jour !
SupprimerUn jour je le relirai, cet auteur... Pour l'instant, je suis ailleurs.
RépondreSupprimerBons congés (mérités)
Merci, merci, vous aurez plein de photos !
SupprimerJ'adore Faulkner mais il me donne du mal. J'ai commencé par Le bruit et la fureur (pas le plus abordable, je pense) et puis Sanctuaire. Je continuerai de le lire mais par dose homéopathique.
RépondreSupprimerAh oui mais tu as commencé par le plus difficile ! Et Sanctuaire est si âpre, si dur... J'essaie de proposer des pistes si tu veux retenter.
Supprimerun auteur lu bien avant le temps des blogs mais que j'ai repris avec bonheur. je ne relirai sans doute pas tout mais celui là je l'aime bien
RépondreSupprimerEt moi, je découvre, à mon rythme.
SupprimerQuand j'étais jeune je ne l'aimais pas ! Je le trouvais trop dur. Erskine Caldwell, oui, Faulkner, non. Il faudrait que j'essaie à nouveau.
RépondreSupprimercommentaire précédent signé : Claudialucia
RépondreSupprimerEt moi je ne connais pas ce Caldwell, je note donc son nom.
SupprimerHonte à moi! je n'ai rien lu de Faulkner
RépondreSupprimerTu as d'autres intérêts.
SupprimerJe ne connaissais pas ce Sartoris. Je le garde pour après La faute de l'abbé M. (pour quand je serai à la retraite).
RépondreSupprimerOn a intérêt à avoir une longue et belle retraite...
SupprimerJ'aime beaucoup Faulkner, par contre Sartoris n'est pas le roman que j'ai préféré. Mais tu en parles.tres bien et tu me donnes presque envie de m'y replonger. Pour moi Absalon! Absalon reste le sommet de l'œuvre.
RépondreSupprimerAh bah oui, mais je n'ai pas encore lu Absalon ! Absalon ! tout s'explique
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