William Faulkner, Descends, Moïse, traduit de l’américain par R.-N. Raimbault, parution originale 1942, édité en France chez Gallimard.
Remettez le titre en anglais – Go down, Moïse – et on voit tout de suite mieux où on est.
Car on est dans le Sud des États-Unis, dans l’État du Mississippi, sur les terres esclavagistes. S’agit-il d’un roman ? De nouvelles construites progressivement l’une en rapport avec l’autre ? Ce qui est sûr, c’est que nous ne sommes pas dans un monde linéaire et facile à lire.
Il est d’abord mentionné Isaac Mac Caslin, oncle Ike, qui a toujours refusé de posséder une terre et pourtant c’est un Mac Caslin. Et puis nous basculons dans des histoires qui ne sont pas arrivées à Isaac, mais qui lui ont été racontées par son cousin Edmonds Mac Caslin.
Quand oncle Buck et lui rentrèrent en hâte à la maison en revenant de constater que Tomey’s Turl avait pris de nouveau la clef des champs, ils entendirent oncle Buddy en train de jurer et de vociférer dans la cuisine, puis le renard et les chiens sortirent de la cuisine, traversèrent le vestibule et entrèrent dans la chambre des chiens, puis ils les entendirent traverser rapidement la pièce et pénétrer dans la chambre qu’il occupait avec oncle Buck, puis ils les virent retraverser le vestibule et entrer dans la chambre d’oncle Buddy, les entendirent passer à toute vitesse à travers la chambre d’oncle Buddy et rentrer dans la cuisine (…).
C’est l’histoire d’oncle Buddy et d’oncle Buck, et d’une course poursuite entre des chiens et un renard (et Moïse est un vieux chien), qui partent à la recherche d’un esclave qui s’est évadé. Ce récit prend l’allure d’une grosse farce, avec des personnages un peu débonnaires et un noir très malin. Pourtant il sera à nouveau question de cet épisode à la fin du roman. Ne serait-ce pas le début d’une malédiction ? Il y a aussi l’histoire de Lucas, un noir, un descendant du vieil Mac Caslin, cousin de Edmonds par conséquent, resté travailler sur les terres du blanc, longtemps après la guerre de Sécession. Le ton n’est plus à la blague, il est question d’argent, de femmes, de lignée, de sang. Il y a les récits où un narrateur raconte ses premières chasses. Nous revenons à Isaac qui se rappelle les forêts profondes, infinies, giboyeuses, de son enfance. Isaac qui, grandissant, se plonge dans les archives de la famille Mac Caslin, retrouve l’histoire des oncles Buddy et Buck, de l’esclave évadé, de Lucas, du cousin Edmonds, du vieil ancêtre Mac Caslin, des Indiens qui ont vendu les terres… Isaac qui refuse de prendre la suite de cette sinistre histoire et qui renonce à son héritage. Mais on ne peut se dérober à sa famille, ainsi que le montrent les derniers récits.
Chaque partie semble une nouvelle indépendante, un épisode autonome de la saga Mac Caslin. Et pourtant l’ensemble forme un tout cohérent, le lourd héritage d’une famille blanche et noire du Mississippi, où émergent les figures d’Edmonds et d’Isaac.
Pour le moment, le blanc penché à la portière regardait le visage impénétrable où transparaissaient d’indéniables indices de race blanche, du même sang qui coulait dans ses propres veines, qui, non seulement était échu à ce nègre par filiation masculine, alors que lui ne le tenait que d’une femme, mais qui avait été transmis à ce nègre une génération plus tôt – un visage impassible, incrustable, légèrement hautain même, dont l’expression semblait calquée sur le modèle de celle de son arrière-grand-père Mac Caslin.
E. Cortor, Couple devant un paysage inondé par un barrage hydroélectrique, 1944, tempera, Brooklyn museum. |
Ainsi que peut-être vous le comprenez, rien n’est évident dans ce roman. Je me suis totalement embrouillée avec les noms des personnages, oncle Buck s’appelant Théophile, Edmonds Mac Caslin ayant aussi le nom de son grand-père, les esclaves ayant les prénoms et noms de leur propriétaire, mais aussi des surnoms… et tout le monde s’appelant Mac Caslin. De façon générale, les générations se croisent. Du vieil ancêtre descend une famille blanche et une famille noire. Lucas et Edmonds s’affrontent au nom du sang, du sang noir, du sang blanc, du fait que l’un descend par les hommes et l’autre par les femmes, de la race Mac Caslin – en une mythologie incompréhensible des origines.
C’est aussi un roman qui peut adopter certains tics du récit familial et oral, où la présentation des événements n’est pas chronologique, où les personnes sont identifiées par leur lien avec les autres, où rien n’est expliqué et où tout est en suspens dans de longues phrases interminables qui font perdre la tête au lecteur (et alors… il y eut…).
Au fur et à mesure que les récits avancent, on explore davantage le territoire parcouru par la famille Mac Caslin. Les terres limoneuses et fertiles où le Mississippi s’étale lors des crues, les forêts immenses achetées aux Indiens (qui avait le droit de les acheter ? qui avait le droit de les vendre ?), les bois peu à peu disparus au profit des villes et des routes. Pour Isaac, la terre, notamment celle du Sud, est maudite à partir du moment où un être humain prétend la posséder. Cet acte initial ne peut engendrer que tous les drames observés. Pour lui, la seule possibilité est de renoncer à cette propriété indue ou de s’enfuir ailleurs, dans les villes du Nord quand on est un noir descendant d’esclave. La paix est impossible à trouver dans ce territoire. Le Mississippi est une terre d’une richesse incommensurable, gâchée par des humains à l’esprit mesquin, brutaux, vains, qui ne peuvent se libérer des péchés de spoliation, d’esclavage et d’asservissement.
Il s’agit de ma première lecture de Faulkner et manifestement je n’ai pas choisi le plus facile. C’est un roman que je relirai, car sa construction en forme de petit sentier plein de broussailles à emprunter sans aucune boussole est assez fascinante.
J’en sors totalement fan de Faulkner. J’ai hâte de lire le reste de sa production !
Il écoutait Lucas quand il appelait son père M. Edmonds, jamais Mister Zack ; il le voyait éviter d’avoir à s’adresser directement à un blanc en l’appelant d’un nom quel qu’il fût, cela avec une circonspection si impassiblement, si constamment en alerte, une finesse tellement préméditée et sans défaillance, que, pendant un temps, il n’aurait pu dire si son père même se rendait compte que le nègre se refusait à l’appeler Mister.
… ce Sud pour lequel Il a tant fait avec les bois pour le gibier, les cours d’eau pour le poisson, le sol profond et riche pour la semence, les printemps luxuriants pour la faire germer, les longs étés pour la mûrir, les automnes sereins pour la moissonner, et les hivers brefs et doux pour les hommes et les animaux, et Il n’y a vu nulle part l’espérance…
Si tu a été conquise par ce texte difficile, Faulkner te réserve d'immenses moments de lecture !!
RépondreSupprimerJ'ai bien l'impression ! J'ai deux autres romans sur mes étagères, mais ils ne devraient pas attendre trop longtemps.
SupprimerOh alors tu vas adorer Le bruit et la fureur!!!!
RépondreSupprimerÇa me semble bien parti en effet.
Supprimerje viens de lire coup sur coup deux romans de Faulkner et aussi une biographie et je suis encore sous le coup de mes lectures, celui là attendra car j'ai un ordre de lecture prévu mais peu importe tu me confirmes dans mon admiration inconditionnelle de cet auteur, difficile certes mais .....
RépondreSupprimerje te recommande la lecture de l'Intrus si ce n'est pas déjà fait
Oh je compte tout lire ! Je suis enthousiasmée par cette lecture, même si je comprends que ce roman n'est pas forcément représentatif de tout, notamment vu sa complexité. Je vois que je ne suis pas la seule.
SupprimerJe n'ai pas lu celui-ci. Quand viendra ma période de relecture de Faulkner, cet été sans doute, ce roman sera donc à découvrir. Merci de me le rappeler.
RépondreSupprimerBon week end.
Apparemment c'est loin d'être le plus facile de sa production. À lire au calme !
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