La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 15 décembre 2022

J’en ai assez de courir, d’être obligé de porter ma vie comme si c’était un panier d’œufs.



William Faulkner, Lumière d’août, traduit de l’américain par Maurice-Edgar Coindreau, parution originale 1932 (j’espère que la traduction de Coindreau est meilleure que sa préface), édité en France chez Gallimard.

 

Au début du roman, Lena marche. Elle vient de l’Alabama, elle se rend dans le Mississippi, elle est enceinte, elle chercher à rejoindre celui qui est responsable et qui est parti. Elle n’est naïve ni hypocrite, mais elle suit sa voie.

Quelques semaines plus tard, le roman sera terminé. Le bébé sera là et Lena toujours sur les routes du Sud. Entre les deux ? Un incendie ravage une grande demeure à Jefferson et la propriétaire a été tuée. Un homme est arrêté, mais c’est un autre, Christmas, qui est le centre du roman. Un autre homme prendra soin de Lena, au mépris de toutes les convenances (une fille, enceinte, pas mariée). Et si le roman se déroule durant l’été, c’est pourtant toute la vie de Christmas qui nous est racontée.


La route tournait, blanche de lune, bordée, à intervalles éloignés, par ces terribles petites maisons blanches, éparses et neuves, où les gens, arrivés hier de nulle part et prêts à repartir pour nulle part, habitent à la lisière des villes. Toutes étaient noires, sauf celle vers laquelle il courait.


Joe Christmas. Qui est cet homme ? Il est bien blanc, mais tous s’accordent à lui trouver un air « étranger ». C’est qu’il a du sang noir. Il en est persuadé – mais rien, jamais, ne viendra infirmer ou confirmer ce point. Ce qui est sûr, c’est qu’il porte en lui une terrible violence, faisant peur aussi bien aux blancs qu’aux noirs, aux hommes qu’aux femmes, mais surtout aux femmes. Il est sur les grandes routes de l’errance et du vagabondage, à son aise quand il est rejeté et méprisé.


Il quitta la véranda sombre, entra dans le clair de lune et, la tête sanglante, l’estomac vide, brûlant, sauvage et brave sous l’effet du whiskey, il s’engagea dans cette rue dont il ne devait voir le bout que quinze ans plus tard.

Il y eut des périodes où le whiskey s’éteignit, fut renouvelé, s’éteignit encore, mais la rue ne finit jamais. Depuis cette nuit-là, les milliers de rues s’allongèrent, semblant n’en former qu’une.


Si Christmas est presque toujours seul, plusieurs habitants de Jefferson habitent le roman. Byron, un homme falot et sans histoire, un pasteur déchu, un shérif et des gens qui font eux-mêmes la justice. Cette humanité n’est guère reluisante. Aucun d’entre eux ne parvient à susciter la sympathie du lecteur. Même Lena, étrangement indifférente à ce qui se passe autour d’elle et dont on ne sait ce qu’elle pense réellement des hommes qui l’entourent.

Ici les femmes ne valent pas grand-chose. Tous expriment une aversion profonde pour les chairs des femmes, pour leur mode de vie, leurs préoccupations, leur sexe, leurs émotions. C’est le répugnant puritanisme dans toute son ampleur (j’ai même pas envie de donner de détails).

Savage, Tournesols. Les Laurentides près de Lac Wonish, 1935 MNBAQ


C’est qu’il arrive tant de choses. Il arrive trop de choses. C’est cela. L’homme accomplit, engendre, tellement plus qu’il ne peut, ou ne devrait supporter. C’est ainsi qu’il s’aperçoit qu’il peut supporter n’importe quoi. C’est cela. C’est cela qui est terrible, le fait qu’il peut supporter n’importe quoi, n’importe quoi.


Alors que le roman se déroule dans les années 1930, il est hanté par l’héritage de la guerre de Sécession. On se souvient encore qu’une telle est petite-fille de Yankee, que le grand-père de untel a été esclavagiste et le père anti-esclavagiste. Tout cela donne l’image d’un territoire vieilli avant l’heure, confit dans ses rancunes, ses préjugés et ses peurs, qui règle tout problème par la violence et qui souhaite, surtout, que rien ne vienne le déranger. Qu’on le laisse avec ses traumas, avec ses habitants qui ne parviennent pas, quels que soient leurs efforts, à échapper à leur voie.

 

Alors, un vent froid, cinglant, semble le traverser. Un vent à la fois doux et violent, qui éparpille, comme des fétus de paille, des débris, des feuilles mortes, tous ses désirs, ses désespoirs, ses rêves tragiques et fous et sa misère irrémédiable.

 

Faulkner sur le blog :

Descends, Moïse et Le Bruit et la fureur : pour ces deux-là, on est dans le dur
Sanctuaire : le deuxième plus facile pour commencer, mais il est sombre, sombre.
Tandis que j'agonise : le plus facile pour commencer, une farce macabre brillante.

Lumière d’août n’a pas la puissance des autres romans, mais il est extrêmement réussi, équilibré et dense.

 

 

10 commentaires:

  1. Pour quand je reprendrai un peu de Faulkner (après le bruit et la fureur, forcément il le faut)

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  2. Sans doute n'a-t-il pas la puissance d'un "Tandis que j'agonise" (l'un de mes romans préférés de tous les temps !) ou d'un "Le bruit et la fureur", mais je trouve que c'est un bon roman pour commencer à lire Faulkner, on y est moins perdu que dans d'autres..

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    1. Oui clairement, plus facile à lire et il me semble moins sombre que Sanctuaire, qui m'avait semblé vraiment oppressant.

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  3. avant les blog il y a eu les forums littéraires en 1997 j'ai participé ainsi à un été de lecture de Faulkner et Lumière d'aout devenu pour moi le roman préféré malgré sa noirceur malgré les héros qui n'en sont pas , malgré cette chaleur qui se répand
    Bref Faulkner quoi !

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    1. Voilà. D'ailleurs je note que le titre est tellement doux et lumineux, alors que le roman l'est bien peu.

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  4. Devine ce que je viens d'emprunter à la bibli? ^_^

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  5. il faut que je retourne à Faulkner délaissé depuis des décennies

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    1. Heureusement que je fais régulièrement des rappels alors !

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  6. Pour moi qui n'ai jamais lu Faulkner, voici une très bonne suggestion pour débuter, si je comprends bien. Merci !

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