Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839.
Un classique pas classique, Stendhal.
Un écrivain que j’aime beaucoup, que je relis toujours avec un grand plaisir et surtout avec joie. Essayons de dire pourquoi.
Sauf que mon résumé est en plomb alors que le roman de Stendhal est virevoltant et enlevé comme un petit cheval…
La première phrase :
Milan en 1796. Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur.
Napoléon hante la Chartreuse. Stendhal a découvert l’Italie avec les armées napoléoniennes et ce pays est inséparable de sa geste héroïque et passionnée. Fabrice del Dongo a grandi en regardant les gravures des batailles. Né trop tard pour y participer pleinement, il se jette sur les routes en 1815 quand il apprend le retour de l’empereur. La seule chose qui le préoccupera longtemps : « Ce qu’il avait vu, était-ce une bataille, et en second lieu, cette bataille était-elle Waterloo ? » Il n’a rien vu de la guerre et est très déçu. D’autant qu’à son retour, il lui faut être discret dans l’Italie monarchiste. Protégé par sa tante, la si charmante duchesse Sanseverina et son amant, le comte Mosca, premier ministre du médiocre roi de Parme, il est censé se frayer une voie au milieu des intrigues pour devenir archevêque. Cela pourrait être possible, c’est un jeune homme brillant et charmant, mais mélancolique, incapable d’aimer ses maîtresses mais qui aime l’archéologie et les promenades en barque sur le lac de Côme.
Le roman est long et les péripéties nombreuses (assassinats, rumeur, intrigues politiques, emprisonnements, enlèvement, empoisonnement, fuite à cheval). Nous touchons à un des ressorts de l’intrigue, qui pose quelque difficulté pour le lecteur d’aujourd’hui : l’Italie du début du XIXe siècle n’est pas unifiée, est divisée en une multitude de cités et de royaumes et il faut compter avec la monarchie autrichienne. Notre héros passe des années à circuler avec des faux passeports, à fuir une cité pour demeurer dans une autre, à être exilé en étant libre. Stendhal a raison : une histoire pareille ne pourrait se dérouler dans la France jacobine.
À force d’imprudences, parce que Fabrice ne prend guère d’intérêt à son propre sort, il se retrouve emprisonné dans la terrible forteresse de Parme. La ville s’attend à ce qu’il meurt d’un jour à l’autre, sur l’échafaud ou par le poison – ne veut-on pas faire tomber Mosca et sa belle duchesse ? Mais Fabrice oubliait complètement d’être malheureux. Car chaque jour, il aperçoit Clélia, la fille du gouverneur, nourrir ses oiseaux et il n’a jamais été aussi heureux.
Ainsi, quoique étroitement resserré dans une assez petite cage, Fabrice avait une vie fort occupée ; elle était employée tout entière à chercher la solution de ce problème si important : « M’aime-t-elle ? » Le résultat de milliers d’observations sans cesse renouvelées, mais aussi sans cesse mises en doute, était ceci : « Tous ses gestes volontaires disent non, mais ce qui est involontaire dans le mouvement de ses yeux semble avouer qu’elle prend de l’amitié pour moi. »
La description des relations à distance, de fenêtre à fenêtre, entre Clélia et Fabrice est charmante. Aucun sentimentalisme, juste le récit des efforts pour se faire signe, mettre au point un alphabet, se regarder, avec les interrogations d'un narrateur amusé. Les émois du cœur de ces deux-là se suivent avec plaisir. Pas de folle passion inatteignable mais un attachement réel et sincère à une figure. On a besoin de voir l’autre tous les jours et chaque jour et on y emploie tous les stratagèmes les plus ingénieux.
Quand il fut seul et un peu remis de tout ce tapage : « Est-il possible que ce soit là la prison, se dit Fabrice en regardant cet immense horizon de Trévise au mont Viso, la chaîne si étendue des Alpes, les pics couverts de neige, les étoiles, etc. et une première nuit en prison encore ! Je conçois que Clélia Conti se plaise dans cette solitude aérienne ; on est ici à mille lieues au-dessus des petitesses et des méchancetés qui nous occupent là-bas. Si ces oiseaux qui sont là sous ma fenêtre lui appartiennent, je la verrai… Rougira-t-elle en m’apercevant ? » Ce fut en discutant cette grande question que le prisonnier trouva le sommeil à une heure fort avancée de la nuit.
Je n’ai pas trouvé le personnage de Fabrice sympathique mais attachant en dépit de ses défauts. Il est désinvolte et égoïste mais charmant, sensible, intelligent, se perd dans ses rêveries, reste détaché de tout ce qui ne l’intéresse pas : Waterloo, Clélia, ses proches… Stendhal nous peint un héros qui n’en est peut-être pas un ; est-ce pour cela que l’on s’attache à ses projets, aux hauts et bas de sa vie ? Fabrice, la Sanseverina, Mosca ont des émotions vives et complexes, essaient de vivre avec tout cela et de se sortir des épines des intrigues politiques et mondaines en sauvegardant leurs sentiments. Le narrateur commente tout cela, s'amuse et explique au lecteur français bien balourd les émotions italiennes. Aucune leçon à en tirer, au final, une politique désormais sans grandeur qui continue.
Vous pouvez écouter La Chartreuse de Parme si vous préférez...
Trois images : un dessin d'Alfred de Musset, Stendhal en bottes fourrées dansant devant la servant de l'auberge, conservé à l'Institut de France. L'habit du Roi de Parme fait à Vienne vers 1814-1815 et conservé au château de Fontainebleau. Et un dansant à l'encre de Chine par Charles Meynier, La Madone du Corrège est enlevée de l'Académie de Parme et livrée aux commissaires français en mai 1796, conservé au Louvre. Les trois : clichés RMN.
Addendum : le 8 mai 2011, après inscription au Challenge Stendhal de George, ajout du logo qui m'accompagnera quelques années...
Waouh ! Quel cours magistral ! Ca donne envie de s'y remettre à ces classiques foisonnants ! Et les images sont très bien choisies. Bravo !!
RépondreSupprimerMerci. J'ai eu un mal de chien à écrire, j'ai dû y passer une heure. Presque impossible de rendre le plaisir que j'ai eu à la lecture.
RépondreSupprimerPour un résumé en plomb il se lit de façon agréable, félicitations ! Il y a des longueurs dans ce gros roman, les récits de bagarres sont lassants, du moins à mon goût, mais on découvre des tournures de phrases, des analyses, qui ont un côté délicieusement proustien ! Et quand en plus, on donne à Fabrice le visage angélique de Gérard Philipe ...
RépondreSupprimerMerci les filles pour vos encouragements, on fait ce qu'on peut !
RépondreSupprimerChouette billet. Où as-tu vu du plomb, toi ?
RépondreSupprimerMerci Argali. Le fait est que j'ai écrit un premier texte, puis j'ai inscrit "mon résumé est en plomb" et j'ai recommencé. J'y ai passé beaucoup de temps, je suis contente que ça plaise. Et du coup, je tenais à l'intégrer au challenge de George, vu l'effort fourni !
RépondreSupprimerbonjour, beau compte-rendu en effet. Ce roman présente un héros jeune et désinvolte, mais doté d'une aisance que n'avait pas Julien. La politique y est présente, mais lointaine pour un lecteur contemporain.Il s'agit d'une de ces vieilles monarchies désuètes, d'ancien régime, dirait-on. Avec Lucien Leuwen, on est plus proche de nos actuels gouvernants, un régime parlementaire, des ministres qui se succèdent, des scandales aussi.
RépondreSupprimerStendhal dans la Chartreuse n'abuse pas des péripéties : voir l'évasion de Fabrice où le héros est à peine conscient. L'auteur refuse les morceaux faciles, c'est aussi une marque d'estime pour son lecteur.http://tourl.fr/baen