La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 25 mars 2023

À Gênes, de palais en palais

 

Le blog est à Gênes. Et il voit de bien belles choses.

Au XVIe et au XVIIe, Gênes est rivale de Venise. Les grandes familles aristocratiques se font construire des palais somptueux, dont plusieurs sont concentrés sur l’actuelle Via Garibaldi (ancienne Strada Nuova ou Via Aurea), légèrement éloignée du centre historique de l’époque. La noblesse constituait alors le gouvernement de la République de Gênes. Aujourd'hui, l'ensemble est classé à l'Unesco.


Aujourd’hui, nous nous contenterons de flâner et de poser le pied dans l’entrée de plusieurs de ces merveilles. En général, les portes sont ouvertes et l'on peut donc sans problème s'aventurer sur une courte distance, juste pour admirer.


Palazzo Giovan Battista Spinola Doria, toujours propriété de la famille Doria. L'entrée est sympa pour une maison de famille.


Le Palazzo Angelo Giovanni Spinola (aujourd'hui la Deutsche Bank). On doit pouvoir entrer en carrosse, c'est confort.




Le très beau Palazzo Nicolosio Lomellino ou Palazzo Podestà. Une belle façade...


... qui cache une entrée aux couleurs harmonieuses élégantes, le stuc blanc sur fond bleu... et si vous suivez le passage sous le porche...



il y a un nymphée !


 Je crois que c'est dans le même palais, c'est sobre, c'est de bon goût.


Le palazzo della Meridiana qui a malheureusement perdu son merveilleux jardin et sa grotte artificielle, faite de rocaille et de mosaïque.

Rubens est venu à Gênes et a pu tout à la fois visiter plusieurs de ces palais et y travailler, ce qui explique que plusieurs de ses toiles ornent les demeures et églises de la ville. Il a même décrit et dessiné ces bâtiments et publié en 1622 un ouvrage intitulé Palazzi di Genova.


Trois palais (Tursi, Bianco et Rosso) sont regroupés pour former un musée d’art, les Musei di Strada Nuova. Ils rassemblent une collection de peintures remarquables, une terrasse très agréable et il cannone, le violon que Paganini a légué à sa ville natale.

Le jardin-terrasse avec ses arbres (je me demande dans quoi ils sont enracinés) et son bassin.


La façade sur rue.


Plusieurs pièces sont ornées par les décors complexes de Gregorio Ferrari, de Piola et de Viviano.
Je ne suis pas vraiment fan du style des peintures, loin de là, mais j'aime beaucoup l'humour et l'effet visuel de ces personnages dont des membres pendent dans le vide, en relief, puisque le bois ou le stuc prennent le relais de la peinture plate. Une jambe se balance par-dessus les ors, un putti montre ses fesses dodues, les figures sortent du cadre et nous surplombent. C'est inventif et dynamique.
Tout cela pour dire que l'école génoise de peinture rassemble quelques artistes majeurs qui ont contribué à l'ornementation de leur cité et dont nous pouvons toujours admirer les oeuvres.

Évidemment, en restant plus longtemps, on peut réserver des visites guidées pour aller admirer les fresques et les peintures et les tout ça (sans rien comprendre à l'italien).

Partir à Gênes : balade dans les rues ; tournée d'églises
La semaine prochaine, nous pousserons la porte de deux palais.

 

jeudi 23 mars 2023

Être tout simplement un homme, c’était déjà impossible.

 

Slobodan Šnajder, La Réparation du monde, traduit du croate par Harita Wybrands, parution originale 2016, édité en France par Liana Levi.

 

Au début du roman, en 1770, dans des campagnes misérables de l’empire austro-hongrois, il n’y a rien à manger et il est facile de se laisser séduire par des idées guerrières. Le jeune Kempf se décide à partir, avec d’autres paysans, vers les terres fertiles de la Transylvanie. C’est ainsi qu’il devient le vieux Kempf, l’ancêtre d’une ligne allemande, mais en Slavonie ( ?).

Le personnage du livre est son descendant, Kempf, jeune homme de culture allemande et slavonne dans cette région amenée à devenir un bout de la Croatie. Mais avant, il y a la Seconde guerre mondiale et ses idées nauséabondes. Voici Kempf, en tant qu’allemand vivant à l’extérieur du Reich, volontaire-forcé de la Waffen-SS. Il ne veut pas tuer de civils, il déserte, est tenté par l’armée polonaise, mais il y a aussi l’armée soviétique, et après-guerre tant d’horreurs à supporter et à réparer. Il y a aussi Vera, combattante croate, fidèle de Tito. Et le narrateur qui n’est pas encore né, loin de là, mais qui commente le destin de ses futurs parents.


La langue se réjouit peut-être de ce genre de non-sens, du moins elle n’a rien contre. Les hommes eux les apprécient moyennement, fussent-ils des « Volksdeutsche », des « Allemands du peuple », cette sous-espèce d’Allemands qui n’est pas née dans le Reich.


C’est un drôle de livre. Je m’attendais vaguement à un genre de vaste fresque qui traverse le centre de l’Europe et le XXesiècle, comme nous en lisons quelquefois. Mais c’est un peu différent. D’abord, il y a des passages presque philosophiques, car Kempf ne manque pas de s’interroger sur le sens de la vie, sur l’existence de Dieu, et ce que signifie la fidélité aux siens, le hasard d’être du bon ou du mauvais côté, etc. Et puis, il n’y a jamais très loin le récit d’un rêve, le souvenir d’un conte, l’espoir d’un peu de surnaturel, l’impression de voir passer le messager du Mal. La thématique multiforme et récurrente des rats et des fourmis contribue aussi à créer cette atmosphère d’étrangeté.


Il n’y a plus d’enfants. À la question de savoir où sont les enfants, personne ne sait répondre. Est-ce la montagne qui les a avalés ? Quelle flûte ces enfants ont-ils suivie ? Combien y a-t-il au monde de ces attrapeurs de rats, de ces joueurs de flûte qui reviennent toujours, presque identiques, en adaptant le son de leur flûte à l’esprit du temps ?


J’avoue avoir eu un peu de mal à m’intéresser à Kempf, pas très sympathique. Il est pris dans un écheveau d’événements où il ne décide pas grand-chose et il semble se laisser porter. Plutôt qu’agir, il louvoie souvent, trouvant des astuces pour éviter de se trouver face à son destin, résigné à n’être pas grand-chose. C’est peut-être d’ailleurs le mieux à faire dans un monde où chaque individu se trouve pris dans une histoire qui le dépasse. Kempf croise des partisans juifs, des Polonais installés dans les maisons juives, des Polonais cachant des juifs, car ils ont besoin de leur main d’œuvre, des Ukrainiens, des Allemands, des communistes soviétiques, des communistes yougoslaves, etc. Vera affronte de son côté les camps pour femmes, puis les camps des partisans. Pour ces deux-là, le retour à la vie civile est brutal et presque impossible.


La guerre avait dispersé ces résidus humains dans tout le pays, de tous les côtés de la rose des vents : pareils à des graines de pissenlit, les hommes étaient disséminés au gré du vent. Nombreux étaient ceux qui commençait à comprendre, seulement maintenant, que vivre était en soi une valeur : planter un cadavre ne donne pas de fruit.

Homme accoudé, vers 1470, bois polychrome, Musée de l'Oeuvre Notre-Dame, Strasbourg


Il y a aussi des passages loufoques ou de l’humour noir, comme ce guide Baedeker qui précise qu’il y a un hôtel de bon standing dans la petite ville d’Auschwitz.

Il est beaucoup question de l’absurdité de la guerre et du découpage des frontières, et plus tard des règles du régime de Tito. Un grand vide semble contaminer inexorablement tout à la fois la vie des personnages et l’Europe tout entière. Il est aussi souvent question de la perte des amis d’enfance, déportés, exilés, tués à la guerre dans un camp ou dans un autre. Et à la fin de la vie de Kempf, la République fédérale allemande se préoccupe d’apporter un secours financier à ses anciens soldats de la Waffen-SS.

Je trouve quand même que certaines formules sont répétées un peu trop souvent à mon goût.

Les irruptions dans le récit du narrateur sont déstabilisantes et amusantes. Le voici qui se lamente, car ses parents ne semblent pas près de se rencontrer, ou qui se réjouit, car c’est bon, ils sont sur la bonne voie. Le livre se clôt au moment d’une autre guerre, en 1991.

 

Alors seulement Kempf avait compris qu’il y aurait toujours des circonstances de sa vie qui ne pourraient être racontées. Avec le temps il avait perfectionné la technique des demi-vérités. Par exemple, après la Libération, il lui arrivait de dire ou d’écrire dans une biographie officielle : « J’ai passé la guerre dans des camps. » Cela, si on ne prenait en considération que les mots, était la vérité. En allemand le mot utilisé pour « bivouac militaire » et « camp de concentration » est le même : Lagner. Ou encore, en Yougoslavie, Kempf écrirait : « Par un concours de circonstances j’ai combattu dans une unité de partisans soviéto-polonais. » Quel avait été cet étrange concours de circonstances, personne ne le lui avait demandé.

 

C’est une lecture commune, organisée dans le cadre du mois consacré à lire les pays de l’Est de l’Europe (sixième participation déjà !). Le billet de Keisha et celui de Lire & Merveilles (elle en a parle vachement bien), qui sont toutes les deux plus enthousiastes que moi. Et celui de Patrice, assez proche du mien (je le rejoins : la partie sur le front polonais est vraiment intéressante). Et le Bar aux lettres n’a pas du tout aimé.





mardi 21 mars 2023

Tu viens d’un peuple qui mange.


Boris Fishman, Le Festin sauvage. De la Minsk soviétique au Brooklyn d’aujourd’hui, le récit et les recettes de cuisine d’une famille juive athée, parution originale 2019, traduit de l’anglais par Stéphane Roques, édité en France par Noir sur Blanc.

 

Ce n’est pas un livre de cuisine. Et ce n’est pas évident de dire ce que c’est. L’auteur raconte sa vie et celle de sa famille (à partir des grands-parents), sa relation compliquée à sa famille, son mal-être de soviético-biélorusso-américain-juif-athée. Le tout scandé par des recettes de cuisine.


Je ne comprends pas comment l’eau se transforme en bortsch.


La famille s’ancre à Minsk (aujourd’hui en Biélorussie). Il y a d’abord la vie en URSS, avec les vacances en Crimée et le complexe de Moscou vis-à-vis de Kiev, où tout semble mieux, les trafics en tout genre pour manger et progresser dans la société. Il y a ensuite le départ définitif, en train, où l’on joue sur le fait d’être juif pour être aidé par les associations américaines, mais pas trop, pour ne pas être obligé d’aller en Israël. Il y a le début de la vie américaine (on est à la fin des années 80), où l’auteur, enfant, seul à bien parler anglais, doit servir d’intermédiaire entre sa famille et le monde, une responsabilité trop grande pour lui. Et puis les années 2000-2015, quand il retourne régulièrement dans l’appartement du grand-père à Brooklyn pour les repas de famille. Ils lui posent des questions (« toujours célibataire ?), ils l’insupportent, ils ont peur de tout, ils pensent que tout s’obtient par la force our l’entourloupe, mais c’est sa famille. Et quand il mange la cuisine de là-bas, il oublie tout.


Ses repas étaient le sublime alibi qui permettait aux vieilles rancœurs bien ancrées de faire momentanément place à autre chose.


C’est compliqué, parce que le narrateur a de sérieux problèmes d’identité et de rapport à soi et que l’on passe son temps à se dire : « Mais oh la laaaaa ». Je trouve passionnant d’avoir ainsi accès aux troubles émotionnels d’un individu passé par ce parcours de l’exil. Encore une fois, on a affaire à un soviétique pour le mode de vie et les réflexes, qui s’inscrit dans la grande ère culturelle russe, qui mange une cuisine marquée aux influences très mêlées (une cuisine normale donc), qui réfléchit à ce qui le distingue des Américains et des Européens. À vrai dire, je ne retiens pas tant les recettes de cuisine, qui ne sont pas si nombreuses, que le rapport à la nourriture (ah les fameux sandwichs dans l’avion !) et aux repas familiaux. Sur la table apparaissent alors des plats, des bols, des sauces, des pains. C’est bien différent des repas auxquels je suis habituée. Je pratique ce style seulement en été quand tout le monde s’installe dehors et que j’apporte sur la table tous les plats en même temps, y compris ceux cuisinés par les invités.


Il aimait particulièrement passer devant un bar aux baies vitrées ouvertes, où les clients se rassemblaient autour de petites tables et ne faisaient apparemment rien d’autre que discuter. Personne ne se retrouvait pour simplement discuter, dans un café soviétique. Le fait de sortir était en soi si inhabituel qu’on n’aurait pu envisager quelque chose d’aussi serein et prosaïque.


Cuisiner, c’est faire quelque chose là où il n’y avait rien. Ce quelque chose nous permet de rester en vie – on peut manger du chou cru, mais pas de la patate crue, en effet. C’est littéralement l’opposé de l’état de vide où vous plonge une dépression.

Jacob Jordaens et son atelier, Les jeunes piaillent comme chantent les vieux, 1640 Ottawa , détail

Je regrette quand même l’écriture sans relief.

Et les recettes ? Quand même. Si je retire les plats à base de foie ou de langue, ou ceux qui nécessitent un chou entier, ou le poulet farci de crêpes (!), je retiens quelques recettes. Fishman prend soin d’indiquer quel ingrédient américain peut remplacer un ingrédient typiquement russe. À nous d’adapter. Je relève la polenta aux champignons et myrtilles, qui apparaît aussi dans mon livre de recettes italiennes (en Italie, la polenta c’est le nord), mais qui est présenté ici comme un plat de bergers, venant des Carpates. Suffirait-il de remplacer le parmesan par le paprika ? Il y a aussi les latkes (galettes de pomme de terre) qui figurent dans mon livre dit de cuisine perse.

Je retiens la recette des sardines à la tomate, que je ferai cet été. Et aussi celle des poivrons grillés. (Est-ce que cela n'accompagnerait pas très bien les aubergines d'amour de L'Amour au temps du choléra ?)

 

 J’ai été fascinée par les listes des plats.


Non merci, j’ai apporté mon propre repas. J’avais apporté des morceaux de merlan légèrement frit. Des escalopes de poulet cuites dans des œuf battus. Des tomates que je croquais comme des pommes. Du chou-fleur frit. De l’ail confit. Des poivrons marinés, même s’ils risquaient de couler. Des tranches de saumon fumé. Du salami. Si je me faisais de bons vieux sandwichs, j’y mettais des brochettes épicées là où d’autres les remplissaient de dinde. Les fruits à peau fine s’abîment vite, mais quoi de mieux comme collation que des pêches et des prunes ? (Il fallait une collation, au cas où.)

 

Bouillon de poule saupoudré d’aneth avec des kneidels (boules de pain azyme, faites à partir du pain azyme cuit et livré par des coursiers secrets, de nuit) ; un poulet farce de macaronis et de gésiers frits ; la peau du cou de plusieurs poulets cousue et fourrée d’oignon caramélisé, de farine et d’aneth, pour faire une espèce de saucisse appelé helzel. En prime, il y avait du chou farci déconstruit, ou « paresseux » - tout ce qui d’ordinaire, aurait dû mijoter dans une feuille de chou était écrasé et présenté en forme de galettes –, et enfin un roulet de poulet : du poulet désossé sous une couche d’ail sauté, de carotte caramélisée et d’œufs durs, puis roulé et cousu pour la cuisson avec du fil et une aiguille.

 

Une lecture qui accompagne évidemment le mois de mars où les blogs lisent la littérature des pays de l’Est de l’Europe, sous la houlette de Patrice et d’Eva.

Merci Estelle pour la lecture.




samedi 18 mars 2023

Gênes, tournée d'églises


Le blog est à Gênes.

Au petit-déjeuner, j’ai englouti de la focaccia et un capuccino (je vous le conseille : c’est bien nourrissant et ça permet de crapahuter toute la matinée), mais aussi du beau raisin rose.

Pour ce premier jour, ce seront les églises ! Mon hébergement étant situé à deux pas de la cathédrale San Lorenzo, il serait dommage de ne pas en profiter.

La façade était en réfection, la photo de gauche est donc issue de Wikipedia. À droite, un détail par mes soins : vous voyez la belle harmonie de ces pierres colorées et la délicatesse des motifs. L'édifice a été conçu au XIIe siècle et presque constamment remanié depuis.

 

L'intérieur, un sobre berceau roman, assez solennel.


La très belle chapelle Saint Jean-Baptiste qui abrite les ossements de Saint Laurent. Et je me laisse aller à mon plaisir : photographier les magnifiques sols de marbre polychromes.

Les tours et le musée du Trésor se visitent.


À quelques pas de là se tient l’église del Gesù dédiée à Saint Ambroise et construite par les jésuites. C’est baroque. Comme dit un de mes proches amis « ils ont pris toutes les options » : carrelage en marbre polychrome, stucs, peintures, sculptures, figures peintes en relief, etc.


Une classique façade baroque, relativement sobre, mais qui reflète la structure intérieure.

Les voyez-vous ces peintures sur des panneaux posés devant l'architecture ? Ils viennent devant les arcs et les fenêtres.
L'église conserve des peintures de Guido Rend, de Rubens et de Simon Vouet.

Des marbres de toutes les couleurs. Des motifs ornementaux variés, des motifs héraldiques, des messages subtils...



Lançons-nous à présent dans les ruelles, au petit bonheur la chance... et nous tombons évidemment sur l'église San Pietro in Bianchi, une église du XVIe siècle construite sur une terrasse, puisque le soubassement abrite plusieurs boutiques. L'édifice a été en grande partie reconstruit après un bombardement de 1942  qui l'a gravement endommagé. La façade a un beau portique. C'est un escalier qui relie l'église à la Piazza Banchi. Sur la façade, des fresques du XVIIe siècle.



L'intérieur est tout blanc ! Marbre blanc orné de très beaux motifs.

J'ai également visité l'église San Luca, l'église San Siro... mais je préfère vous épargner.

Quand même un petit coup d'oeil sur la très grande église Santissima Annunziata del Vastato. Le guide dit que l'on est en plein baroque génois. Effectivement, c'est fastueux.


Me voici attirée par une grande façade. J'entre dans l'église San Filippo Neri



Une belle voûte unifiée qui permet à un décor peint de s'étaler largement et de bénéficier de la lumière venue des fenêtres hautes. Il y a des peintures, des sculptures et tout ça. Et un petit pavé devant la porte signale que Paganini, l'enfant de la ville, a donné ici son premier concert en tant que soliste. C'était le 26 mai 1794.


 

Il faut que j’y retourne : je n’ai pas vu toutes les églises ni tous les couvents, ni l’église qui conserve des œuvres de Pierre Puget, sculpteur et peintre marseillais !

Les semaines précédentes : Partir à Gênes ; balade dans les rues.

La semaine prochaine, une vie de palais.



jeudi 16 mars 2023

Peut-être sentimentalement attaché à cette énigme, il aurait souhaité ne pas la voir élucider.


Ismail Kadaré, Qui a ramené Doruntine ?, traduit de l’albanais par Jusuf Vrioni, parution originale 1986.

 

Dans un temps lointain, dans un village de montagne, Doruntine, jeune femme mariée très loin de chez elle, revient chez sa mère. Elle dit que son frère Konstantin est venu la chercher, conformément à sa promesse. En arrivant, elle apprend que ledit frère est mort depuis 3 ans. Alors ?

Alors, Stres, fonctionnaire, représentant de l’État et du prince, est sommé de trouver une explication.


Quand les corneilles croassent comme ça, c’est qu’elles ont mal aux oreilles à cause de l’orage qui approche.


Les rumeurs vont bon train. Les morts peuvent-ils revenir à la vie pour accomplir une promesse ? Nous voici plongés dans une Albanie des légendes et des fantômes, presque gothique. À moins qu’il ne s’agisse d’un mensonge, d’une histoire sentimentale ou d’une manipulation, l’événement étant rapidement saisi par la rumeur, par les églises catholiques et orthodoxes qui se disputent les âmes. Ou si c’était encore l’incarnation de l’âme albanaise profonde ? Stres ne s’en laisse pas conter et explore toutes les pistes.


Mais il ne se rappelait pas bien son rêve. Il eut aussi la sensation que son front lui faisait mal. Juste à l’endroit où le songe devait avoir pénétré, la nuit précédente, avant d’en ressortir par le même point, plus tard, aux environs de l’aube, peut-être, en ravivant la plaie qu’il avait causée.

Gustave Moreau, Cavalier, musée Moreau.
Là je regrette de ne pas avoir photographié le tableau de Scheffer, Les Morts vont vite


J’ai aimé la façon dont est rendue la vie dans ce village arriéré, avec les pleureuses, le gardien du cimetière, les vastes maisons, le brouillard. J’ai aussi apprécié l’atmosphère de fantastique. Si Stres n’est pas sympathique, il a l’intelligence aiguisée. Représentant des autorités, il se doit de trouver une explication rationnelle et il ne néglige aucun effort en ce sens, mais au fond de lui il sait que ses sentiments vis-à-vis de Doruntine peuvent altérer son jugement. J’apprécie la façon dont est mené le récit, sans tout raconter au lecteur, ce qui permet quelques retournements de situation.

Néanmoins, j’ai trouvé le roman trop court pour vraiment explorer chacune des pistes de façon crédible et pertinente. Il aurait été possible de les approfondir et d’en tirer toutes les conséquences. Je trouve que l’évolution finale de Stres n’est pas suffisamment exploitée. Ou alors j’aurais – moi aussi – préféré rester sur cette veine gothique ? Possible.

 

En fin de compte, c’était une histoire qui était plus ou moins advenue à n’importe qui, dans n’importe quel pays, à n’importe quelle époque. Il n’est personne, en effet, qui n’ait rêvé de voir quelqu’un venir de loin des terres de l’au-delà, rester un moment en sa compagnie et chevaucher avec lui sur le même cheval.

 

Kadaré sur le blog : 

Le Général de l'armée morte : mon préféré pour le moment
Avril brisé : un roman tragique

Quatrième participation au mois de mars où nous lisons l'Europe de l'Est, sous la conduite de Patrice et d'Eva.