La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 10 juin 2023

Cathédrale Saint-Gatien à Tours

 


Aujourd’hui, le blog part se promener à Tours .

Et il visite la cathédrale Saint-GatienElle a été construite entre 1170 et 1547, remplaçant un édifice plus ancien, le chœur en premier et la façade en dernier. 


Un beau décor sculpté sur cette façade Renaissance (gothique flamboyant donc).


Des détails du décor sculpté.


Le choeur, lumineux, avec ses vitraux du XIIIe siècle (les rosaces du transept et de la façade sont plus tardives).


Iconographie niveau facile : En haut Gabriel avec sa grande épée chasse Adam et Ève du Paradis. Au milieu, Caïn flanque un coup de sa grande pelle à Abel. En bas Dieu explique à Adame qu'il ne faut pas toucher au joli petit arbre. Regardez comme les couleurs sont profondes et intenses !

Iconographie niveau un peu plus élevé : la légende de saint Martin. À gauche la Charité de Saint Martin. Sur la verrière de droite, on assiste à la mort et à l'enterrement du saint, au vol de son cadavre, au voyage du corps sur la Loire


 

Des verrières plus récentes, avec notamment une belle Adoration des rois.


Attenant à la cathédrale, le cloître de la Psalette. La psalette désignait l’école de musique (attenant au cloître), où les garçons recevaient une éducation religieuse et musicale et où on chantait notamment les Psaumes.


Vues du cloître. Comme vous le voyez, il y a des galeries gothiques, des galeries Renaissance. On peut encore accéder au scriptorium.


Voilà, on regarde les petites sculptures.


 Gargouille soldate.

 

Eimelle a évidemment déjà publié un billet sur la cathédrale. Allez-y, vous verrez plein d'autres photos !


Pour ma part, je suis restée une nuit à Tours en février 2022. J’ai mangé au Bistrot du 60 pour le midi et aux Les gourmands disent pour le goûter (très bons thés et gâteaux). La semaine prochaine, on ira marcher le long de la Loire.






jeudi 8 juin 2023

Une marche brouillonne, monotone et sans joie, pendant des milliers d’années. Une éternité confuse et idiote.

  

Antoine Volodine, Terminus radieux, 2014.

 

Volodine est un des rares écrivains français contemporains que je lis régulièrement (il y en a quelques autres qui surnagent mais bon...), mais je peine toujours à partager mon enthousiasme. Ce titre-ci a heureusement eu une certaine visibilité, grâce au prix Médicis. Je m’attelle donc à nouveau à la tâche de vous donner envie de le lire !


Le vent de nouveau s’approcha des heures et il les caressa avec une puissance nonchalante, il les courba harmonieusement et il se coucha sur elles en ronflant, puis il les parcourut plusieurs fois, et, quand il en eut terminé avec elles, leurs odeurs se ravivèrent, d’armoises-savoureuses, d’armoises-blanches, d’absinthes.

C’est le début.


Nous sommes dans une ambiance de fin du monde, dans la taïga et la forêt. La Deuxième Union soviétique s’est écroulée et tous les réacteurs nucléaires se sont déréglés. Des hommes et des femmes s’enfuient et meurent peu à peu – à moins que l’on ne puisse jamais mourir dans cet univers sans fin.

L’ancien soldat Kronauer vient chercher du secours dans un genre de kolkhoze nommé Terminus radieux et installé sur une pile radioactive. Quelques humains, ni morts ni vivants, habitent là, sous la coupe du sorcier Solovieï qui s’immisce dans leurs rêves et les fait agir comme autant de marionnettes

(et là j’ai déjà perdu la moitié de mes lecteurs)

(mais il est horrible ce sorcier)


Ils restèrent immobiles un moment, invisibles dans leur cachette de longues feuilles et de tiges dont certaines, suite aux premières gelées nocturnes, étaient sur le point de jaunir et même de noircir. À une quinzaine de mètres, un massif d’herbes épicées embaumait. Des vornies-cinq-misères, pensa Kronauer. Mêlées à des bouralayanes, des chaincres. Plus près il y avait des sarviettes-à-odeur-de-menthe.


Nous suivons Kronauer quand il cherche à se créer une nouvelle vie, ou qu’il veut secourir ses camarades, ou qu’il essaie de préserver ses souvenirs de l’oubli. Les personnages, au contact de la radioactivité, mais surtout sous l’emprise du temps et de la magie de Solovieï, se dégradent interminablement. Les besoins physiologiques se réduisent, la mémoire s’atrophie. Ils ressemblent de moins en moins à eux-mêmes.


Elle ouvrit les yeux et elle bougonna une malédiction à tiroirs au fond de laquelle même les classiques du marxisme en prenaient pour leur grade.


Photo d'Alain Sauvan
Mais c’est très beau. C’est une très belle écriture, qui fait sa place aux mots inventés et étonnamment familiers, à la poésie, à la puissance de l’incantation. Volodine raconte le long voyage de l’humanité, dans un bardo qui n’en finit pas. La monotonie des jours, des années et des siècles peut pourtant être interrompue par l’arrivée impromptue d’un individu ou d’un animal, la vie ne s’y arrête jamais totalement. Le lecteur se surprend à espérer que tout soit à nouveau possible, que le personnage retrouve dans une lueur le souvenir d’un ancien amour ou le réconfort d’une amitié.

Il y a un ton familier et humain pour aborder la mort et les utopies politiques.

Et puis la place centrale est faite à celles et ceux qui écrivent, racontent, chantent, rappellent le passé, inventent des histoires. C’est le miracle des mots qui surgissent dans ce qui ressemble au néant et qui ont un pouvoir de (re)création.


Elle se couvre d’écailles dures et bruissantes.

Elle se couvre de gouttelettes noires.

Elle fait vent, elle fait théâtre, elle fait ciel noir, elle fait quatre-ciels-noirs. 

Elle va jusqu’à l’origine des temps et elle souffle dessus en hurlant, puis elle atteint la fin des temps et elle souffle dessus.

 

Or parfois il se rappelait qu’il avait été musicien errant et, bien qu’en lambeaux, il avait encore dans l’esprit quelques moments de son répertoire. Et il avait envie de les faire sonner une fois encore à l’extérieur, ces lambeaux, ces moments. C’était comme l’envie mécanique d’un dernier souffle. Les longs récits avaient perdu leur cohérence, les cycles de bylines se réduisaient à des bribes de fictions disparates. Pas grand-chose n’avait résisté à l’immense lessivage des siècles.

 

 Volodine sur le blog : 

Écrivains : 1er billet et 2e billet : oui, lu deux fois !
Songes de Mevlido : un roman très réussi, qui campe l’univers de Volodine dans toute sa richesse - je vous recommande
Des anges mineurs
Frères sorcières
Lisbonne dernière marge : un de ses premiers titres.
Les Filles de Monroe : 
La capacité de l'auteur à raconter de façon totalement simple et naturelle un truc très bizarre, mais en vérité, pas si loin de nos repères. Et même si la pluie tombe en rafales ou en fusillades, ce monde n’est jamais totalement effrayant. Il existe toujours une possibilité de se glisser dans les interstices de la pénombre (pénombre qui est beaucoup plus humaine que la lumière brutale).

Il y a aussi beaucoup de jeu avec le vocabulaire traditionnellement communiste, c'est toujours plein d'invention !

Sous l'avatar de Manuela Draeger : KreeC’est un monde dévasté, où sont apparues de nouvelles espèces de plantes ou d’animaux, où les humains parlent un langage simplifié, où le chamanisme ne fonctionne plus très bien, mais reste vaguement utile. Un roman envoutant.



mardi 6 juin 2023

Oyez donc le récit de la vie des enfants d’antan, ces conquérants.

  

Boulet (dessin) et Zach Weinersmith (scénario), Béa Wolf, traduit de l’anglais par Aude Pasquier, édité par Albin Michel, 2023.

 

Les enfants ont un lieu à eux, une cabane créée dans Cœur-d’arbre. Là, ils entassent leurs trésors de sodas colorés et sucrés, leurs jeux et leurs bêtises, sous l’autorité du bon roi Roger (il y a une lignée de rois en short et à couronne en carton). Mais un jour, l’horrible Grindle, un homme sé-ri-eux, s’attaque à eux et les transforme tous en ado bêtes et mous. Heureusement, Roger reçoit l’aide des enfants de l’autre côté de la rivière, et notamment celle de leur championne : Béa Wolf. La lutte contre le monstre sera terrible.


Quoi, j’en fais trop ? Pas du tout. C’est une histoire d’enfants, de tricycles, d’épées en plastique, de pyjamas à licorne et de bonbons en gelée, mais c’est aussi une histoire de rois justes et généreux, d’une joyeuse troupe, de grands banquets pleins de sucre, de monstres et de combats légendaires.

Le texte est génial. En prose peut-être, mais avec des rimes intérieures, des accents épiques propres à magnifier tout cela. Le mariage entre texte pour enfant et roman de légende et de chevalerie fonctionne extrêmement bien. C’est drôle et touchant, familier et grandiose.

 

Il déambulait dans la nuit sans étoiles, scrutait par-dessus la haie, se sentant bouillonner,

S’agaçant du moindre bruit, maudissant ces mâcheurs de gomme et leurs bulles,

Leurs blagues bêtes et leurs beuglements, les rots, les rires, les pets et les pétards,

Le volume insensé des jeux vidéo à valeur éducative zéro !

 

Scrutant les lunettes face à elle, elle n’y décela aucune peur.

Rien qu’un siphon sombre et sans joie, le vide intersidéral.

Cette âme était un sorbet cerise sans sucre, un lac glacé sans patins,

Une tempête de neige n’annulant même pas l’école.



J’aime beaucoup la fin, ouverte, conforme aux romans de chevalerie, positive, mais le succès et le bonheur ne sont jamais totalement acquis, le mal rôde hélas toujours dans le monde et il faut sans cesse lutter contre.

Si l’idée des enfants ne voulant pas devenir adultes est ancienne, j’aime bien aussi cette opposition entre enfance et adolescence. Alors que moult romans nous peignent l’adolescence comme l’âge des possibles et des transformations, des espoirs et des risques, ici les ados sont mous et bêtes, boutonneux et plongés dans leur téléphone, tristes quoi, dépourvus de l’énergie et de la fantaisie des gamins.

 

Et si Beowulf ne vous dit rien, Wikipedia est là pour vous sauver. Le méchant s’y nomme Grendel. Sa mère est une ogresse. Plus personne ne lit Beowulf de nos jours, mais le nom de ce héros est néanmoins très connu grâce à Tolkien. Boulet et Weinersmith nous plonge donc dans une veine épique pas tout à fait ignorée des lecteurs et des amateurs d’imaginaires.

 

Merci Albin Michel et Babelio pour la lecture.

 


samedi 3 juin 2023

Musée Maurice Denis

 

Dernière visite francilienne pour ce tour de France touristique : sur les pas de Maurice Denis ! 

Le musée départemental (= du Département des Yvelines) Maurice Denis est à Saint-Germain-en-Laye. Il s’agit d’un ancien hôpital du XVIIe siècle, devenu ensuite prieuré jésuite, jusqu’à l’expulsion de la communauté au début du XXe siècle.

Denis a grandi à St-Germain. Il a abondamment parcouru le château et la forêt. Il y a installé un atelier, s’est marié, etc. Il acquiert le prieuré en 1914. Il rêvait depuis longtemps de rénover la chapelle, par la réalisation d’un ambitieux décor religieux, sans contrainte de commande. Il emménage alors dans les lieux avec sa famille.

Vue générale de la chapelle. Maurice Denis a réalisé les peintures des voûtes et des murs et les vitraux, ainsi que le chemin de croix.
De même que pour l'autel et le grand vitrail derrière lui.

Le baptistère (j'aime bien ces reliefs étroitement resserrés) et détail du mur.

Je ne suis pas fan de Maurice Denis mais j'apprécie cette forme d'art total, quand un artiste se saisit d'un lieu et le travaille dans les moindres détails. Le résultat est impressionnant.

Une affiche créée par Denis pour annoncer la messe de Noël au Prieuré (1922).

Le musée propose aussi tout un ensemble d'oeuvres de l'artiste. Ici L'Éternel printemps, reconstitution de la salle à manger de Gabriel Thomas à Meudon (1908). (j'aime pas du tout)

À gauche, peinture de Denis : Annonciation à la fenêtre du Prieuré (1916). J'aime mieux ces couleurs. À noter que ce sont les enfants du peintre qui prennent la pose. Avouez que vous n'aviez pas encore vu une Annonciation où Gabriel était précédé par deux enfants de choeur, lui-même ressemblant d'ailleurs à un prêtre.
À droite : dessin de Denis et sculpture de Joaquim Claret : Monument funéraire de Madeleine Jamot, oeuvre préparatoire au monument du cimetière du Montparnasse (1920 plâtre).

Les fiancées dit Triple portrait de Marthe (1892), Marthe étant la fiancée de Denis. Son visage est reproduit trois fois. C'est une belle image. J'aime bien le mouvement des voiles, le calme et la paix qui se dégagent du tableau, un peu mystérieux.

Nature morte aux pommes (je pensais que c'était un coing au premier plan...) (1889). Le musée s'ouvre par une salle conservant des peintures de Denis, mais aussi d'autres artistes de la même époque (comme Sérusier par exemple). Il y a là de belles oeuvres.

Portrait de Mme Ranson (1892). Confession : j'aime bien le chat ! C'est un tableau un peu différent, les volutes du papier vaguement asiatique se conjuguent aux plis de la robe (surtout les manches, regardez comme ça bouffe !) et au mouvement de ce chat malicieux.

Portrait de l'artiste à 18 ans (1889, conservé à Orsay mais déposé à Saint-Germain). Tout jeune et déjà sûr de lui et de son art.

Nature morte au pain (1941). Denis a peint ce gros morceau de pain pendant la guerre, alors qu'il avait très faim. C'est un voeu, un souhait, un fantasme. De belles couleurs !


Sans bien connaître Maurice Denis, j’étais curieuse de voir cet endroit, vraiment original. Et c’est très bien aménagé, je suis très contente. Si vous aimez l'artiste, allez-y. Si vous n'aimez pas trop, allez-y quand même, c'est une jolie visite.

 

Et comment on y va ? Quand vous êtes à Paris, prenez le RER A, destination Saint-Germain-en-Laye. Si le château (musée national d’archéologie) est situé à 2 minutes de la sortie du RER et abondamment indiqué, ce n’est pas le cas du musée Maurice Denis. 15 minutes de marche, sans panneau indicatif. Donc n’oubliez pas le plan ou Google Map.

La semaine prochaine, nous prenons le train vers la Touraine.



jeudi 1 juin 2023

Le temps file comme l’eau du torrent, on ne peut rien contre.

  

Vassili Peskov, Des nouvelles d’Agafia, ermite dans la taïga, traduit du russe par Yves Gauthier, parution originale 2007.

 

Souvenez-vous de la famille Lykov, qui a passé toute sa vie dans la taïga, en dehors du siècle, pour une histoire de persécution religieuse, et que des géologues découvrent par hasard en 1978. Dans le premier volume, Peskov nous racontait l’histoire de la famille, ainsi que la façon dont elle avait réussi à survivre dans la forêt, avec des récipients en écorce, creusant des pièges, cultivant des patates, filant son chanvre pour coudre les vêtements. Il racontait aussi la vie d’Agafia, la fille, née en 1945, dans la forêt, sa tentative pour vivre « dans le siècle » et son retour à la vie sauvage.


J’écoute Agafia et Savouchkine détailler les tâches de l’été et je repense à notre première rencontre : une sauvageonne barbouillée de suite qui parlait en gazouillant, pareille à un grand enfant. C’est maintenant un être mûr qui a de l’esprit à revendre et qui s’exprime avec un sourire piqué de tristesse. La moitié ou presque des mots qu’elle emploi était alors absente de son vocabulaire.


Les articles rassemblés ici racontent cette vie. Peskov ne se rend que rarement dans un endroit aussi reculé, dépendant des hélicoptères pour faire le trajet, ne restant sur place qu’une heure ou qu’une demi-journée. Cette étrange vie d’Agafia dans un lieu tellement hostile où il est presque impossible de vivre seul – ne faut-il pas couper le bois, réparer l’habitation, disposer le piège à poisson, cultiver le potager, rentrer les patates – où chaque élément nécessaire à la vie se paie d’une charge de travail supplémentaire – oui, des poules pour avoir des œufs, mais il faut chauffer le poulailler – oui, des chèvres pour leur lait, mais il faut chauffer l’étable et rentrer les foins, etc. – où l’on dépend étroitement des ravitaillements imprévisibles, pour le sel notamment, et l’huile – mais où la cohabitation est presque impossible dans des conditions aussi dures.

Jan Mandyn, Tentation de Saint Antoine, 16e siècle Valenciennes BA dépôt à Cassel 
Le risque de la solitude.


Parole, on se croirait dans un temple. Les bouleaux se dressent muettement, sans frémir d’une seule brindille, irradiant la lumière blanche de leur écorce, parsemés de sapins et de cèdres qui se détachent sobrement de l’ensemble avec leurs sombres parures. L’antique pureté d’une terre vierge d’hommes.

(il écrit cela précisément à quelques mètres d’un homme)


Drôle d’existence.

Ici échouent ceux qui ne s’adaptent pas au nouveau monde issu de la fin de l’URSS et qui cherchent un coin à l’écart de la société, ici passent dans le ciel les satellites et les fusées, ici rôdent les ours. La fin de l’URSS, c’est aussi moins d’hélicoptères et des conflits territoriaux dans l’administration de la forêt. Cette réalité contemporaine vient percuter celle de la forêt – on ne vit jamais totalement coupé des êtres humains.

 

Nous serions bien restés là, au bord de l’eau, mais, automne oblige, le froid se fait incisif et nous allongeons le pas vers l’isba, là-haut, où tremble à la fenêtre la flamme de la bougie…

Le lendemain, à l’heure dite, l’hélicoptère viendra me chercher.