La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 22 mars 2018

Je connais le chant des mouches par cœur.

Kim Thúy, Ru, édité en 2009 par Libre Expression.

C’est un récit autobiographique en courts paragraphes, en apparence un peu décousus. La narratrice raconte son enfance au Viêt-Nam, à Saigon, dans une famille prospère, l’arrivée de la guerre et des Vietnamiens du Nord, le voyage en bateau, le camp en Malaisie et l’arrivée au Canada.
Kim Thúy ne raconte pas la grande histoire, mais donne les petites anecdotes de sa famille, les caractéristiques des oncles et des tantes. Elle évoque les petits métiers de la rue au Viêt-Nam, la pauvreté et la peur qui règnent après la fin de la guerre, la fuite des divers membres de la famille, les bijoux cachés avec soin, la façon dont ils ont tous apprivoisé une nouvelle culture, un pays, avec ses codes et ses habitudes.

Avant que notre bateau ait levé l’ancre en pleine nuit sur les rives de Rạch Giá, la majorité des passagers n’avait qu’une peur, celle des communistes, d’où leur fuite. Mais, dès qu’il a été entouré, encerclé d’un seul et uniforme horizon bleu, la peur s’est transformée en un monstre à cent visages, qui nous sciait les jambes, nous empêchait de ressentir l’engourdissement de nos muscles immobilisés. Nous étions figés dans la peur, par la peur.

Elle porte une grande attention au corps, aux gestes, aux regards, qui traduisent notre rapport à la vie, aux odeurs que l’on n’oublie jamais.
Tout cela, sans pathos, sans ton tragique, d’une écriture douce et précise. Les détails sont terribles et saisissants, mais le lecteur heureusement sait que toute la famille a survécu de l’autre côté de l’Atlantique, ce qui le rassure. L’enfer aura une fin. C’est quand même mieux quand les réfugiés sont accueillis, non ?
 
Le bureau de poste de Saigon, charpente conçue par G. Eiffel. Wikiimage.
Le jeune serveur de ma table n’a pas compris pourquoi je lui parlais en vietnamien. Je croyais au début qu’il ne saisissait pas mon accent du Sud. Mais, à la fin du repas, il m’a dit candidement que j’étais trop grosse pour être une Vietnamienne. J’ai traduit cette remarque à mes patrons, qui en rient encore aujourd’hui. J’ai compris plus tard qu’il ne parlait pas de mes quarante-cinq kilos, mais de ce rêve américain qui m’avait épaissie, empâtée, alourdie. Ce rêve américain a donné de l’assurance à ma voix, de la détermination à mes gestes, de la précision à mes désirs, de la vitesse à ma démarche et de la force à mon regard.

Merci Sylvie pour la lecture. Des femmes écrivains.

4 commentaires:

Sylvie a dit…

C'est une autrice chouchou chez nous :-)

nathalie a dit…

Oui j'ai vu que son Roman (je crois) a eu beaucoup de succès également.

Lili a dit…

Il me semble avoir déjà croisé ce roman chez Mina il y a quelques années. Pourquoi pas ! Je crois que c'est l'occasion qui fera le larron !

nathalie a dit…

C'est un autre titre dont j'avais entendu parler, mais on m'a prêté celui-ci, donc voilà.