La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 20 décembre 2011

Il lui suffirait de fermer les yeux un instant et de laisser le lieu parler en lui pour savoir exactement ce que ça vous faisait d’être enterré vivant sur cette île pourrie abandonnée de Dieu.


Nick Stone, Tonton Clarinette, traduit de l’anglais par Marie Ploux et Catherine Cheval, 1e éd. 2006, Paris, Gallimard, 2008.

Un titre suggéré par Anne au moment où je cherchais à trouver un roman en rapport avec la clarinette avec cette précision : « je ne suis pas sûre que ça parle vraiment de clarinette ». Ah bien, effectivement, les 10 lignes consacrées à la clarinette ne sont pas vraiment à l’honneur de cet instrument. Mais c’est un très bon polar.

Le héros est Max Mingus, un privé de Miami qui sort d’une période un peu difficile. Il accepte une mission infaisable : retrouver Charlie Carver, un enfant kidnappé sur l’île d’Haïti. L’affaire est ancienne, l’île est sous la double occupation des troupes américaines et de celles de l’ONU (on est avant le tremblement de terre), tout indique que l’enfant a été massacré mais Mingus débarque car il n’a guère le choix… L’intrigue en elle-même n’est pas mal foutue du tout, de bons retournements de situations et une atmosphère bien campée. La langue est de bonne tenue, les images sont originales sans être folkloriques (sauf qu’une comparaison, même très bonne, n’a pas vocation à être reprise trois fois en 600 pages).
Mais le livre vaut surtout par son évocation d’Haïti. C’est la première fois que je lis quelque chose sur cette île même si les documentaires et reportages n’ont pas manqué. Je dois dire qu’il s’agit des pages les plus impressionnantes, sans doute parce que l’intrigue est à la cool, on peut se concentrer sur les descriptions du quotidien le plus simple des Haïtiens. La ruine, les enfants qui mangent de la terre comme repas, les routes défoncées, les véhicules luxueux qui côtoient les épaves, les maisons et leurs réutilisations, les rapports sociaux entre richissimes propriétaires et population asservie, le vaudou, la nature luxurieuse et Cité-Soleil. Ce sont des choses connues, pas de révélation ici, mais décrites avec précision dans les moindres détails et donc très frappantes. C’est pourquoi je conseille vivement la lecture de ce polar.

On aurait dit une armée en déroute, un peuple conquis, brisé, qui se traînait vers un non-avenir. C’était Haïti, à peine sorti de l’esclavage. Nombre de ces gens poussaient des carrioles bricolées avec des planches, des morceaux de tôle ondulée et des pneus bourrés de sable, tandis que d’autres portaient sur la tête ou l’épaule de grands paniers tressés et de vieilles valises. Les animaux se mêlaient librement à la foule, à égalité. Il y avait des cochons noirs, des chiens brûlés par le soleil, des ânes, des chèvres squelettiques, des vaches aux côtes protubérantes, des poulets.



Malgré la faible place de la musique dans le roman, sa présence dans le titre me permet de valider cette lecture dans le cadre du challenge d’Anne Des mots et des notes.Vous pouvez aussi lire l'avis de Miss Alfie et  un entretien de l'auteur.




Nota Bene : quand on fait l’apologie du « printemps arabe » on remonte volontiers à la Révolution française (c’est tellement flatteur), laquelle est tout autant volontiers raccrochée à la Révolution américaine (ah, cet hymne à la liberté !) ou anglaise (enfin, un vrai parlement). Il est toujours de bon ton d’ « oublier » la Révolution haïtienne, on se demande bien pourquoi. Oui, ça aussi, ça m’énerve.

7 commentaires:

  1. catherine bibliothècaire20 décembre 2011 à 10:15

    vrai pour la révolution haitienne.
    sinon je te conseille de lire sur Toussaint Louverture .
    et le serpent à plumes a publié les premiers livres de Laferrière sur Haiti sur la touffeur du pays, l'inertie et les superstitionS.
    LIONEL TROUILLOT pour la cité soleil....Ayant vécu 3 ans en Guadeloupe je connais bien la littérature antillaise. je te conseille aussi Maryse Condé et Chamoiseau.

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  2. Pour être honnête, pour le moment, je ne suis pas très intéressée par les Caraïbes, cela viendra sans doute car je sais qu'il y a de très grands écrivains dans cette région du monde.

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  3. En effet, il n'y a guère de musique... :)

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  4. si tu veux lire un excellent livre qui montre aussi les clichés et autres idées reçues sur Haïti je tiens à ta disposition "La belle amour humaine" d Lyonel Trouillot, son écriture imagée et poétique, des réflexions intéressantes ! Les Caraïbes ne m'intéressent plus beaucoup (enfin j'en ai fait un peu le tour on va dire) et ce livre m'a transportée ! Tu me diras quand tu le voudras, je te l'enverrai avec plaisir^^ Bises

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  5. Anne : en effet. En réalité je compte lire les Nocturnes d'Ishiguro pour ton challenge, histoire d'avoir une vraie participation ! Patience...
    Asphodèle : pareil, ça ne m'intéresse pas tellement, du coup c'était une bonne surprise. En plus dans un polar, c'est inattendu.

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  6. Comment, pas de musique en Haïti? Et Toto Bissainthe alors?!
    J'ai beaucoup aimé Laferrière, Tout bouge autour de moi et Vers le sud. Parmi les clichés, il faut aussi dire que les haïtiens sont de très bonne humeur et encore qu'ils sont très artistes. Leur artisanat, leurs peintres (plus ou moins naïfs) en témoignent. Je note le Nick Stone, ça m'intéresse. Merci!

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  7. C'est comme ça, le livre parle un peu de musique mais un peu seulement....

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