La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 9 décembre 2016

J’ai passé toute la nuit à visiter d’étranges pays.

Pierre Gripari, La Vie, la mort et la résurrection de Socrate-Marie Gripotard, 1968.

Un bien curieux roman.

Au début, l’auteur ( ?) nous prévient qu’une créature a pris possession de son corps et de sa machine à écrire pour composer le texte. Puis un préambule annonce que des sortes de super créatures apparaissent de temps en temps et que l’une d’elles s’est servi de Gripari pour raconter sa venue – ce qui explique que le récit soit empli des obsessions propres à ce Gripari.
Bref. L’action se déroule essentiellement dans l’Entre-deux-guerres et pendant la Seconde guerre mondiale, mais les événements historiques ont subi quelques modifications (Hitler est juif, Khrouchtchev intervient un peu tôt dans l’histoire, etc.). Nous suivons la vie d’une famille de jeunes gens, dont le fameux Socrate-Marie, leurs amours et leurs désillusions politiques.
Le roman joue largement des clichés sur l’engagement politique, sur le communisme et sur l’antisémitisme. Ce dernier point est d’ailleurs largement ambigu, car l’auteur adhère en partie aux discours antisémites tout en excellant à se moquer des outrances verbales des nazis (le lecteur n’est pas très à l’aise). Les intellectuels communistes et les hésitations staliniennes sont également superbement raillés. Tous les discours dogmatiques en prennent généralement pour leur grade. C’est extrêmement réussi, mais contribue au caractère daté du roman : cette langue-là signe son époque.
J. Dubuffet, Vénus du trottoir, 1946, Marseille, musée Cantini, M&M
Tout cela va avec un grand plaisir de lecture en raison de l’invention narrative et langagière. Le thème du Dictateur de Chaplin trace un fil conducteur, les communistes lisent Luma, les vampires font une apparition, les portraits satiriques se succèdent. Tout cela est interrompu régulièrement par le récit des rêves de Socrate-Marie qui sont aux couleurs surréalistes. C’est donc un roman tout en richesse.

Tous les fidèles baissent la tête, persuadés que l’Esprit Saint est là, tout prêt à foudroyer sur place quiconque oserait regarder le prodige avec des yeux de chair. La comtesse fait comme eux. Profitant de ce moment, le prêtre échange prestement sa coupe de pain contre une seconde coupe, qu’un enfant de chœur tire de sous sa robe, et qui, celle-ci, est pleine jusqu’au bord de petits morceaux de viande crue. L’enfant s’éclipse avec la coupe de pain, le grêle grelottement de la sonnette meurt, la foule relève la tête. Entre les mains de l’officiant, les morceaux de pain sont devenus morceaux de chair, saignants et palpitants. Le prêtre en saisit un avec deux doigts, l’avale.


Merci Sarah pour cette lecture !

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