La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 10 janvier 2011

Quand tant de choses sont absurdes, rien n’est vraiment absurde.

Je suis une grande lectrice de romans policiers. Je me souviens d’avoir exploré l’immense série du Club des cinq quand j’étais toute petite. J’en ai gardé, je crois, un goût pour les polars légèrement ringards, le thriller trépidant et suffocant qui vous fait trembler la nuit a du mal à passer par moi, ce qui n’empêche pas un goût pour le suspense qui me fait dévorer un livre en deux jours.
Aujourd’hui, un auteur qui sévit depuis une dizaine d’années, Qiu Xialong, romancier chinois vivant aux États-Unis. Ses romans ont pour cadre le Shanghai de Deng Xiaoping qui tourne peu à peu le dos au communisme, enterre dans l’oubli la révolution culturelle, se lance dans le capitalisme le plus débridé. Une bonne façon d’approcher cette réalité incompréhensible ici, cette transformation brutale d’une ville, des modes de vie et des rapports de force. Le héros de Qiu Xialong est un policier fort sympathique, l’inspecteur Chen, ni très communiste, ni très capitaliste, s’efforçant de lutter contre le crime et la corruption. Il a publié quelques recueils de vers et cite en permanence la poésie classique chinoise. Il connaît l’anglais et a traduit T. S. Eliot en chinois (son créateur ayant fait une thèse sur ce poète américain). Il a la confiance relative des cadres du parti et les sentences de Mao reviennent fréquemment dans sa pensée.
Ci-dessous, un extrait du Très corruptible mandarin qui s’ouvre par la mort étrange de Hua Ting, policier de haut rang, enquêtant sur la corruption des cadres d’une province chinoise. Chen est chargé d’enquêter mais presque aussitôt il reçoit l’ordre d’encadrer une délégation d’hommes de lettres chinois aux États-Unis, un peu comme pour l’éloigner du pays…

Sur ses conseils, ils prirent une soupe de travers de porc aux tulipes dans une cocotte d’acier, du bar à la vapeur au gingembre et aux ciboules présenté sur un plat bleu et blanc, du bœuf bouilli parsemé de poivre rouge dans un grand bol, des coupelles de tomates aux crevettes décortiquées, et des paniers de riz frit aux pousses de bambou. Ils accompagnèrent le tout d’une bière glacée. […]
-       Nous avons accompli le communisme ici. Tout le monde est pareil – du moins dans les vêtements, dit Lei en levant ses baguettes. Mais regarde la grande table, celle du Grand Banquet Mandchou et Han. Elle tire son nom d’un épisode de la dynastie des Qing. Pour témoigner de la nécessité d’un front uni, l’empereur mandchou avait fait servir des mets de cuisines diverses, sur une table unique, dans la Cité interdite. Bosse de chameau, patte d’ours, nid d’hirondelle, cervelle de singe…
-       Les mets les plus rares et les plus chers que l’on puisse imaginer, dit Chen en lançant un coup d’œil vers la vaste table. Il n’y a pas plus frimeurs que ces arrivistes. […] Comme le dit le vieux maître Du, reprit Chen : Aux portes de pourpre pourrissent vin et viande ; / Mais dans les rues gisent les os des morts de froids.
-       La vie est courte, répondit Lei. Mangeons et buvons.

Un des grands plaisirs de ces romans réside aussi dans la visite des restaurants de Shanghai et dans la description des repas qui y sont servis. En plus d’être poète, Chen est aussi gourmand. Un jeune homme charmant, je vous dis.
Qiu Xiaolong, Le très corruptible mandarin, traduit de l’anglais par Françoise Bouillot (2005), Paris, Liana Levi, 2006.

1 commentaire:

Marie Neige a dit…

Je me souviens en avoir lu un il y a quelques années et j'en garde surtout le souvenir de la nourriture. Mais venant de moi, tu ne seras pas étonnée.