Mark Twain, Le Rapt de
l’éléphant blanc et autres nouvelles,
Paris, Omnibus, 2010.
Je suis enfin venue à bout de cet
énorme recueil de plus de 800 pages rassemblant la majeure partie des nouvelles
de Mark Twain (il manque notamment Dompter la bicyclette). Ce fut un pur délice de
déguster ces nouvelles petit à petit, soir après soir, de relever les passages,
de lire des passages à voix haute pour réussir à faire rire un Moustachu malade,
de noter les citations à envoyer aux amis… L'humour est brillant, quelquefois absurde, fin - je sais que je relirai ce volume.
Les ressorts de ces
nouvelles ? D’abord, souvent un narrateur naïf, ou faussement naïf, le
récit se déroulant à ses dépens. Et ensuite, la moquerie de quelques fondements
des États Unis…
Le recueil s’ouvre avec La
célèbre grenouille sauteuse du comté de Calaveras, nouvelle écrite en 1865, qui assure la notoriété à son auteur et dont
le titre dit déjà beaucoup – mais les titres des nouvelles de Twain sont
souvent l’annonce de sourires à venir. Ainsi Le Chasseur et la dinde
machiavélique qui ne trahit pas ses
promesses.
Du Cannibalisme dans le train se moque de la démocratie américaine, de la
multiplication des commissions pondant des rapports inutiles et absurdes.
Ressort qui se trouve également au début des Obsèques de Buck Fanshaw :
Lors de l’enquête sur les
causes du décès, il fut démontré que Buck Fansha, atteint de délire au cours
d’une fièvre typhoïde débilitante, avait pris de l’arsenic, s’était tiré une
balle dans le corps, s’était coupé la gorge, avait sauté par la fenêtre du
quatrième étage, et s’était cassé le cou. Après avoir délibéré selon les
règles, le jury, accablé et en larmes mais sans que son intelligence ait été
aveuglée par le chagrin, rendit un verdict de mort par « intervention
divine ». Qu’est-ce que le monde ferait sans jurys ?
Une journée à Niagara est l’excellent anti-guide touristique par
excellence. Le début :
À
Niagara, les endroits sont tous aussi bons les uns que les autres, pour la
simple raison que les poissons ne mordent nulle part, et il est donc inutile de
faire dix kilomètres à pied pour pêcher quand on peut être tout aussi
bredouille plus près de chez soi. Jusqu’ici, les avantages de cet état de fait
n’avaient jamais été clairement exposés au public.
Comment je devins directeur
d’un journal d’agriculture chante les
louanges des journalistes incompétents (qui écrivent que les navets poussent
sur les arbres par exemple ou que le guano est un bel oiseau).
Il y a aussi des histoires de bon
petit garçon vertueux à qui arrivent toutes les catastrophes et de gredins qui
deviennent le chouchou des dames patronnesses. Les notables des petites villes
en prennent souvent pour leur grade, mais sans méchanceté, avec malice.
Twain par Bradley, 1907, image Wikipedia. |
De nombreuses histoires sont des
hommages aux conteurs et à l’art de raconter avec des digressions, des détours,
des phrases qui n’en finissent pas, des tours propres à l’oralité, que le récit
soit issu d’une esclave noire ou d’un vieux fermier blanc qui s’endort en
parlant. Twain s’affranchit des règles du récit du grand roman à l’européenne
(qu’il maîtrise parfaitement) par cet usage nouveau du langage parlé. Le
langage savant est moqué car celui qui l’emploie ne cherche bien souvent qu’à
enfumer les autres, on peut lui opposer le bon sens et la malice populaires.
Ainsi débutent les Mémoires
d’une chienne :
Mon père était un
saint-bernard, ma mère une colley, quant à moi, je suis une presbytérienne. C’est
ce que ma mère m’a dit ; en ce qui me concerne, je n’entends rien à ces
subtiles distinctions.
C'est ainsi que Sherlock Holmes apparaît dans une nouvelle pour être abondamment moqué : Aucun indice lui échappe… C’est inné. Et ça n’aurait aucun sens pour personne d’autre. Alors que pour lui, c’est comme s’il lisait un livre. Et un livre écrit en gros caractères par-dessus le marché.
Les héros sont des humains, des
chiens, des chevaux, avec intervention d’une dinde, d’un bélier, d’une
grenouille, d’un chat, d’un éléphant. En effet Twain révèle une sensibilité
inattendue à l’égard des souffrances animales, critiquant la corrida et les
expériences menées sur les animaux au nom de la science, se moquant des
chasseurs.
Conclusion-moralité d’Une
fable : Vous pouvez trouver
dans un texte tout ce que vous y apportez, si vous vous placez entre le miroir
de votre imagination et lui. Vous ne voyez peut-être pas vos oreilles, mais
elles sont bien là.
Une enseigne pour la littérature…
demain je vous parle d’une de mes histoires préférées.
Traductions de : J.-F. Amsel, Renaud Bombard, Danièle Darneau, Patrick Dusoulier, Michel Epuy, François de Gaïl, Michèle Garène, Dominique Haas, Gabriel de Lautrec, Chloé Leleu, Delphine Louis-Dimitrov, Thierry Marignac, Pierre-François Moreau, Michel Philip, Andrew Poirier, Georges-Michel Sarotte.
D’après l’édition de Charles Neider, The Complete Short Stories of Mark Twain, 1957. Certains textes avaient été publiés en français en 1930 et ont été revus pour la présente édition. Rassemble des textes écrits entre 1865 et 1916.
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