La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 29 septembre 2017

Une vapeur d’azur monta dans la chambre de Félicité.

Flaubert, Un cœur simple, 1877.

J’ai relu récemment cette longue nouvelle, narrant la vie de Félicité, une bonne, au cœur simple, dont un esprit fort et peu humain se moquerait certainement, mais qui suscite aussi beaucoup d’affection.
J’ai vraiment apprécié cette relecture, car chaque mot est choisi, chaque détail fait sens : le meubles, les motifs des tissus, les prénoms des enfants… C’est un panorama complet. Cela vaut la peine de lire lentement pour savourer la moindre trouvaille de l’auteur.
L’usage du discours indirect libre est brillant. L’auteur fait ainsi venir dans le fil du récit les pensées et les paroles de Félicité, de sa maîtresse, de leur entourage, les « on-dit » d’un village comme si elles venaient de l’auteur ou du lecteur, comme si ces jugements n’en étaient pas, comme s’il s’agissait de descriptions. Un grand art de l’écriture où ce qui semble simple et couler de source est en réalité le produit d’un travail accompli sur la langue.
C’est tout à la fois ironique et moqueur, touchant et émouvant. Du grand art.

Sisley, Gelée blanche. L'été de la Saint-Martin, 1874, Coll. privée.

Contre toute attente, Félicité me semble avoir un destin assez proche de Madame Bovary ou de Frédéric. Cette vie est une grande solitude, un attachement vain à des êtres qui ne le leur rendent pas, des illusions volontairement adoptées. À la fin, chaque personnage peut faire le bilan de sa pauvre existence et se raccrocher à un rêve, à une image – à un perroquet.
Il me semble aussi que les débuts dans la vie de Paul, le fils, ressemblent à ceux du fils de Jeanne dans Une vie de Maupassant : le fils de famille trop gâté qui boit et fait des dettes est un modèle bien répandu ! Mais ici Paul trouve sa voie et une femme qui le domine et le tient dans le droit chemin.
Je n’ai pas pu m’empêcher enfin de penser à Françoise, la bonne du narrateur de La Recherche, qui a elle aussi un neveu (qui fait la guerre il me semble).

Elle jeta sur la berge un tas de chemises, retroussa ses manches, prit son battoir ; et les coups forts qu’elle donnait s’entendaient dans les autres jardins à côté. Les prairies étaient vides, le vent agitait la rivière ; au fond, de grandes herbes s’y penchaient, comme des chevelures de cadavres flottant dans l’eau. Elle retenait sa douleur, jusqu’au soir fut très brave ; mais, dans sa chambre, elle s’y abandonna, à plat ventre sur son matelas, le visage dans l’oreiller, et les deux poings contre les tempes.

Mon premier billet sur Un coeur simple.

Flaubert sur le blog : 

Philippe Doumenc. - Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary
Biographie de Flaubert par Michel Winock




2 commentaires:

Dominique a dit…

c'est vrai, je n'avais jamais fait le rapprochement avec Françoise mais je suis d'accord une lecture que l'on peut faire et refaire

nathalie a dit…

Proust était un grand fan de Flaubert et en lisant la façon dont Félicité se lamente sur son neveu, ses inquiétudes, la façon dont il vient manger à l'office... Je verrai quand je relirai le Temps retrouvé !