Frédéric Cathala, Les mille mots du citoyen Morille Marmouset, 2006, chez Albin Michel.
Nous sommes en 1794. La Terreur bat son plein. Notre héros, Morille Marmouset (oui, parce que nous sommes aux prénoms révolutionnaires qui mettent en valeur les richesses de la nature, et donc Morille), occupe un emploi au Tribunal révolutionnaire – c’est un vague cousin de Fouquier-Tinville. Un peu simplet, il ne jure que par la langue française, qu’il veut révolutionner également, en la réduisant à mille mots. Alors toute ambiguïté et manipulation langagière disparaîtront et la raison triomphera. Las ! Le voici chargé d’une petite fille et d’une jeune femme, deux ci-devantes aristocrates, d’un ami soi-disant américain, et affublé d’amis sans-culottes peu scrupuleux.
La petite Aglaé trottinait en digérant tant bien que mal les connaissances nouvelles dispensées par Marmouset. Mille questions se pressaient dans son esprit.
« Nous ne sommes plus en 1794 ?
- Non, nous sommes en l’an II.
- Alors 1793 était l’an I !
- Non. Il n’y a pas eu d’an I. Le calendrier a été établi par décret en l’an II. »
Voilà un roman fort réjouissant. Il nous plonge au milieu du tumulte de la Terreur. Il me semble que Cathala rend très bien l’incertitude des temps, quand un presque rien peut devenir signe de vie ou de mort. Le pain est cher et les Parisiens ont faim. Les sans-culottes, qui sont payés pour mener des émeutes, représentent une vraie source de violence. Les rumeurs et les menaces vagues courent les rues, ainsi que les charrettes de condamnés à mort. Les anecdotes authentiques nourrissent la narration. Le grotesque et le tragique se nourrissent mutuellement. Les policiers en tenue noire, sinistres, côtoient les chapeaux à plume de l’époque – on oublie trop souvent ce détail des costumes. Mention spéciale pour l’uniforme des vélites dessiné par David qui s’est visiblement fait plaisir. La Révolution française est décidément propice à ce mélange des genres. Le grand guignol s’assoie à côté du sang, de la trahison et de la dictature.
En pleurant de soulagement, le vélite de l’École de Mars tendit le bras et jura en crachant sur la dalle avec toute la solennité des hommes de l’ère nouvelle. Seul Le Serment des Horaces du citoyen David peut subtilement donner une idée de la sobre majesté du moment.
Journet, Diogène cherchant l'homme, 1782, musée Fabre. |
Quant à notre héros, Marmouset. Peu conscient des réalités, doté d’un physique hideux, il n’est préoccupé que par la langue française. À l’heure de la grande rationalisation scientifique, il lui semble évident qu’il faut se contenter de conserver 1 000 mots, au sens bien clair, pour éviter toutes les incompréhensions. Nous jouirons alors d’un beau « néofrançais » (youhou, clin d’œil 1984 !). Il part en guerre contre les quiproquos, synonymes et les métaphores… ses amis sans-culotte lancent donc l’alarme contre un certain Quiproquo, sans doute un bandit Italien, qui est alors le plus grand ennemi de la nation – il y a des passages très amusants. Nouveaux prénoms, nouveaux jours, nouvelles heures, nouveaux noms de rue engendrent de perpétuelles incompréhensions. La Révolution est un âge d’or pour la rhétorique et les bons mots et la préoccupation de Marmouset ne paraît pas si délirante, quand on connaît les nouveaux prénoms du calendrier.
- Bien sûr, les quiproquos sont dangereux mais, si vous m'en croyiez, la plupart du temps les quiproquos n'existent qu'à cause de la traîtrise des synonymes, déclare Marmouset.
- Leur traîtrise ? frémit Pouffard. (...)
- Ne voyez-vous pas la difficulté d’établir des listes exactes dans le cas des synonymes : ils sont partout et on ne les voit même pas ! Ils sont si nombreux !
- Vraiment ! Voilà autre chose, à présent ! On en avait déjà bien assez à faire attention aux Quiproquos ! Et maintenant voilà les Synonymes !
Un roman très enlevé, avec plein de rebondissements, qui nous plonge dans le bazar que furent ces mois de Terreur, avec leur lot de rumeurs contradictoires, mais toujours inquiétantes, de miracles, de rebondissements, de folie furieuse, quand les rêves utopiques deviennent cauchemars.
Il y a de nombreux autres clins d’œil (à Poe par exemple et à la télé et aux dessins animés). J’ai beaucoup aimé l’utilisation du terme Sardanapale (les femmes ne pensent qu’à ça). Et j’ai très envie de relire Les onze.
Wikipedia m’indique que Cathala est linguiste. Tout s’explique. Le Synode du cadavre a l’air bien tentant.
Chaque nuit, depuis des mois, il y avait dans les rues de Paris bagarres et échauffourées entre les patrouilles des sections, la garde nationale, les agents des diverses polices, les fugitifs livrés à eux-mêmes, prêtres, nobles ou partisans de factions décimées, auxquels s’ajoutaient les habituels ivrognes ou noctambules qui cherchaient un peu de fraîcheur pour réparer les fatigues de l’insupportable canicule. Comme dans un chaudron crasseux maintenu en effervescence, tous ces groupes mijotaient ensemble. Et pour pimenter cet indéfinissable brouet il y avait la touche finale des dénonciations anonymes motivées par les inimitiés, les ressentiments, l’envie, les jalousies entre voisins et même entre parents.
L'avis de Sandrine.
Un roman passé trop inaperçu...
RépondreSupprimerHeureusement tu étais là ! Du coup j'ai noté un autre titre de lui, il y a de l'espoir.
SupprimerBonne idée, je note
RépondreSupprimerJ'espère que ça te plaira.
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