La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 10 décembre 2019

Elle avait des façons de faire passer le temps, mais elles ne suffisaient pas toujours.

Jon McGregor, Réservoir 13, traduit de l’anglais par Christine Laferrière, parution originale 2017, publié en France par Christian Bourgois.

Un curieux roman, entre réalisme et roman noir.
Dans un village d’Angleterre, une fille a disparu et tout est mis en œuvre pour la retrouver. En vain. Après les recherches, l’enquête, les conférences de presse, les appels à témoin, la vie reprend son cours. Son cours antérieur, mais cependant légèrement perturbé par cet événement, par ce mystère. Untel se rendra au pub ce soir, les renardeaux viennent de naître, les enfants rentrent de l’école plus tôt que d’ordinaire, une tuile tombe du toit, les hirondelles sont là. Et on continue à se poser des questions sur la fille. Pendant des années. Sans réponse.

On avait cherché la disparue. On l’avait cherchée absolument partout. On l’avait cherchée dans les orties qui poussaient autour du chêne mort dans la cour de Thompson. On avait soulevé des dalles et des couches de contreplaqué avant de s’éloigner derrière des portails. On l’avait cherchée chez les Hunter, à l’arrière des grandes aménagées, dans les abris de voiture, les bûchers et les ateliers, dans les espaces boisés, dans les serres et les jardins clos par un mur.

C’est un curieux roman. Au début de la lecture, il convient de prendre le rythme de ces phrases plates, détachées les unes des autres, où les événements s’enchaînent, en apparence sans rapport et sans intérêt. Chaque mois des 13 années qui suivent la disparition de la fille est raconté, à l’identique, mais jamais tout à fait pareil. Beaucoup de choses se répètent, forcément, mais on suit aussi les relations amoureuses de tel ou tel, la croissance des enfants devenus adolescents puis étudiants, la vieillesse et la mort d’un voisin… Des faits plus ou moins graves, plus ou moins quotidiens sont rapportés. Le drame d’un mulot surpris par une buse ou d’une brebis tombée dans le ravin, un homme arrêté par la police pour des crimes graves, ou juste un homme et une femme qui mettront 13 ans à reconnaître qu’ils sont importants l’un pour l’autre.
Une des étrangetés provient de l’absence totale de contexte et (croit-on) de point de vue. Peu d’analyse psychologique, alors on ne sait pas vraiment les raisons des agissements des habitants du village. Pas de contexte alors on comprend difficilement ce que sont ces réservoirs, ces galeries et même ces explosions qui surgissent tout à coup. Tout ceci contribue à peut-être compliquer la lecture, mais aussi à camper un climat déstabilisant. Il y a une certaine habileté à ne pas dire les choses. La disparition de la fille n’est pas oubliée, mais fait désormais partie de la vie du village. On en parle, surtout les adolescents qui n’ont pas tout dit à la police. Ses parents ne sont pas loin. Une nouvelle hypothèse apparaît. À la fin, le lecteur se dit que beaucoup de choses lui ont peut-être échappé.
C’est une immersion dans une communauté, qui sent un peu son atelier d’écriture, mais ici fort bien fait et surtout mis au service d’une intrigue. Après tout, même dans un village anglais ordinaire (avec son pub, ses pierres néolithiques, ses éleveurs de moutons), il y a des choses inexpliquées.

Tandis que le crépuscule s’épaississait au-dessus du terrier des blaireaux, au fond des bois, un blaireau mâle à l’oreille déchirée a appelé une femme en marchant autour des entrées jusqu’à ce qu’elle sorte dans un faible gémissement circulaire et qu’il la prenne. Les bois étaient chargés de la puanteur de l’ail sauvage et, le long de ses sentiers, les feuilles luisaient d’un éclat sombre. Les fils Jackson sont sortis dans les champs pour examiner les moutons.

Merci Catherine pour la lecture.


2 commentaires:

keisha a dit…

Je l'ai commencé, puis suis passée à autre chose, mais je sentais qu'il y avait quelque chose, là

nathalie a dit…

Le début n'est pas évident, il faut accepter le pari et je reconnais qu'il est tentant de laisser tomber, mais finalement je trouve que c'est une bonne idée et bien faite. Mais il me semble que le potentiel romanesque pourrait être davantage exploité pour un roman à suspense (peut-être un prochain titre !).