La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 17 juin 2024

Julia Behrend avait glissé dans la brèche entre la fiction et la réalité de la RDA.

 


Anna Funder, Stasiland, parution originale 2002, traduit de l’anglais par Mireille Vignol.

 

La narratrice et autrice de ce qui se présente comme un roman visite le musée de la Stasi à Leipzig en 1996. Et puis elle rencontre Miriam, qui lui raconte son histoire, ses années en prison, son histoire avec son mari, son mari dont elle recherche le corps. La narratrice travaille pour une chaîne de télévision qui ne s’intéresse pas du tout au vécu de la RDA et elle décide de faire passer une petite annonce pour rencontrer d’anciens employés et informateurs de la Stasi. Elle plonge dans un drôle de monde.

Un livre très instructif et même un peu vertigineux. La RDA est le pays qui a compté le plus grand nombre de personnes payées pour surveiller les citoyens, des écoles maternelles aux immeubles d’habitation, au point où certaines manifestations de 1989 semblent surtout composées de mouchards. Les chiffres donnés sont proprement hallucinants. Les histoires rapportées tant par les victimes que par les espions de l’intérieur sont totalement glaçantes.


En RDA, une personne sur 63 était agent ou indicateur de la Stasi. Si l’on compte les indicateurs occasionnels, certains estiment que la proportion peut atteindre une personne sur 6,5.


Le livre met également en valeur la façon dont l’Allemagne réunifiée se désintéresse de cette histoire, qui n’est tout simplement pas perçue comme une partie de son passé. Le mépris et l’ignorance recouvrent le linoléum marron.


Les officiers de la Stasi reçurent l’ordre de détruire les dossiers, en commençant par les plus compromettants – ceux qui nommaient des résidents de l’Ouest ayant espionné pour la Stasi et ceux des affaires de décès. Ils détruisirent des documents jusqu’à l’effondrement des broyeurs. Il y avait à l’Est une pénurie – parmi tant d’autres – de ces machines ; des agents clandestins furent donc envoyés à Berlin-Ouest pour en acheter d’autres. Dans le seul bâtiment 8, on a trouvé plus d’une centaine de ces engins déglingués d’avoir trop servi.


Je ne serai toutefois pas très enthousiaste sur ce livre dont j’ai du mal à comprendre le projet. S’agit-il d’un livre vulgarisant une recherche historique ? Dans ce cas, il n’est pas très structuré et semble léger. Les remerciements montrent que Funder a bénéficié de plusieurs bourses d’écriture. Pourquoi porte-t-il l’indication « roman » ? Il n’est pas précisé ce qui correspondrait à un vernis romanesque. Le livre laisse tout à la fois penser à une recherche suivie et structurée et à un trajet personnel un peu porté par le hasard des rencontres. Je suis sceptique. Je me demande pourquoi il a eu autant de succès. N’y a-t-il donc rien d’autre sur la RDA ?

Piranèse, Prisons imaginaires 1745-60, Fondation Cini
 

« Vous n’êtes pas au chômage, mademoiselle, a-t-elle aboyé.

-       Bien sûr que si, sinon qu’est-ce que je ferais ici ? lui a répondu Julia.

-       C’est l’agence pour l’emploi, ici pas le bureau du chômage. Vous n’êtes pas au chômage, vous êtes à la recherche d’un emploi. »

Julia ne s’est pas laissé impressionner.

« Je cherche du travail, dit-elle, parce que je suis au chômage. »

La femme s’est mise à hurler si fort que la foule a courbé les épaules.

« Je viens de vous expliquer que vous n’êtes pas au chômage ! Vous êtes à la recherche d’un emploi ! »

Elle a terminé d’un ton frôlant l’hystérie :

« Il n’y a PAS de chômage en République démocratique allemande ! »

 


La page anglophone Wikipedia indique « non fiction ». Pourquoi les éditions Héloïse d’Ormesson ont-elles ajouté cette mention de "roman" ?

 

C'est un livre avec de la musique et vous pouvez écouter Die Ketten werden knapper de Klaus Renft Combo.


Une lecture commune.

L’avis très positif de Et si on bouquinait un peu. Les billets de Keisha, d'Ingannmic, de Sacha, d'Une Comète, de Livrescapades, d'Alex Mot à mots, d'Electra et évidemment je suis la seule à râler.




 

18 commentaires:

Sandrine a dit…

Quelques bémols que je n'avais pas encore lus. C'est en effet étrange ce flou sur les genres : je croyais en lisant les billets des autres participantes à cette LC qu'il s'agissait d'une enquête.

nathalie a dit…

@Sandrine : je pense que c'est une enquête ou un livre issu d'une enquête. Est-ce que le choix de l'éditeur français est lié à la forme du livre, justement peu structuré, où les témoignages sont reformulés et non pas repris tel quel ? Mais un simple "récit" aurait suffi comme précaution.

keisha a dit…

Les éditeurs sont parfois frileux avec la non fiction et laissent "roman" histoire de ne pas faire fuir les lecteurs? ^_^ Pour ma part je préfère la non fiction.
Oui, drôle d'enquête, un peu au hasard, je me suis perdue dans les lieux en fait (et puis ces excès d'alcool, on s'en serait passé?)
Je vois que tu as été sensible au lino marron! ^_^
Glaçant quand même, kafkaien parfois.

nathalie a dit…

@Keisha : Le sujet n'est pas ma préférence, mais l'honnêteté de l'éditeur... Je crois qu'il a voulu éditer un grand succès mais en prenant des pincettes avec la forme.
La musique est bien aussi ! Je suis allée écouter.

Ingannmic, a dit…

Pour moi il était clair dès le départ que c'est une non-fiction, je ne me suis donc pas posée la question. Et c'est vrai qu'il y a un côté un peu déstructuré (notamment sur la chronologie de l'enquête) qui donne parfois l'impression qu'elle a assemblé les morceaux de plusieurs récits, mais cela ne m'a pas gênée pour la compréhension de l'ensemble.
Je crois en effet que le sujet de la RDA est plus ou moins tabou en Allemagne : on le voit dans ce récit d'ailleurs, et c'est un des points qui m'a entre autres intéressée, l'auteure vivant à Berlin à une époque où l'embarras domine, quant à ce qu'il convient de faire de ce récent passé...

Anonyme a dit…

Bonjour, je l’ai trouvé d’une force incroyable ce livre, il m’a fait mal au ventre et ouvert les yeux( parfois on aime mieux les garder fermer…) Le genre hybride ne m’a pas dérangée.( une Comète)

nathalie a dit…

@Ingannmic : C'est la façon dont elle met en scène ses rencontres comme si c'était le fait du hasard, alors qu'elle a eu des bourses d'études. Tu me diras que l'un n'empêche pas l'autre, mais elle fait comme si c'était des rencontres, des conversations. Je ne comprends pas l'intérêt de procéder comme ça.
Et oui le livre est très intéressant sinon.

@Comète : j'ai appris beaucoup de choses aussi !

Sacha a dit…

Je ne comprends absolument pas pourquoi ce livre a été étiqueté "roman", ce qu'il n'est pas du tout. Au mieux, ca crée de la confusion et de fausses attentes, au pire ca décrédibilise l'enquête qui est menée. Et quelle enquête !

nathalie a dit…

@Sacha : je n'attendais pas un roman c'est sûr. J'attendais une enquête. Là c'est plutôt le récit pas très bon d'une enquête qui est plutôt très intéressante.

Alex Mot-à-Mots a dit…

Je me pose les mêmes questions que toi, mais j'ai apprécié de découvrir des choses sur la vie pendant cette période.

Electra a dit…

dans la version anglaise, on précise bien que c'est une journaliste d'investigation et que c'est de la non fiction mais l'éditeur français ne doit pas savoir bien lire l'allemand, ni le français ..

mais parfois, c'est tellement rocambolesque ou ubuesque (comme la scène du chômage) qu'on peut penser à un roman. -

La lecture pour ma part a été très fluide, je ne me suis jamais égarée, la version anglaise est-elle donc meilleure ?

Pour le râlement, j'ai détesté certains romans adorés sur la blogosphère, ça fait bizarre mais si on est honnête alors pas de souci !

nathalie a dit…

@Alex : oui c'est intéressant.

@Electra : J'ai eu une lecture fluide, c'est pas le souci, c'est écrit très simplement, mais c'est le positionnement de l'autrice qui n'est pas clair. Le livre donne l'impression qu'elle va au petit bonheur la chance alors que ce n'est pas le cas, comme si le sujet lui était tombé dessus par hasard. Et donc ce n'est pas non plus la faute de l'éditeur. On voit bien que c'est de l'investigation, mais ça ne se présente pas comme de l'investigation - mais pourquoi, ce n'est pas une honte ?

je lis je blogue a dit…

Je comprends que tu râles un peu si tu t'attendais à lire un roman. D'ailleurs, c'est effectivement écrit "roman" sur la couverture et la fiche Babelio précise qu'il s'agit du "roman de la Stasi". J'imagine que c'est un coup marketing de l'éditeur, un moyen d'attirer plus de lecteurs.

nathalie a dit…

@JeLis : ce n'est ni l'un ni l'autre, c'est mal fichu surtout. Je ne m'attendais pas à un roman mais à une vraie enquête, or ce n'est pas ça non plus.

miriam a dit…

C'est une lecture commune? J'ai un peu zappé pendant les vacances

Athalie a dit…

Je retiens "très instructif" !

nathalie a dit…

@Miriam : la chance d'avoir des vacances... je préfèrerais.

@Athalie : aucun doute à ce sujet.

Sacha a dit…

C'est avec le Klaus Reft Combo dans les oreilles (merci pour le lien, j'aime beaucoup!) que j'écris ce nouveau commentaire :-D
J'ai enfin ajouté un lien vers ton billet, il m'a fallu quelques jours pour pouvoir me poser devant un ordinateur et m'en occuper. Modifier les billets, c'est bien trop compliqué sur le téléphone ! Encore merci pour ta participation.