Jack Kerouac, Sur la route, traduit de l’américain par Josée Kamoun, écrit en 1951, première publication 1957, Paris, Gallimard, 2010.
Je viens enfin de lire ce grand classique de la
littérature mondiale, profitant de la dernière édition*.
La route, la route, l’Amérique, une déclaration d’amour
à Neal Cassidy, et le rythme, le temps, le souffle. Le narrateur ne fait rien
que raconter comment il a traversé les États-Unis d’est en ouest puis d’ouest
en est puis de… et puis encore… et dans l’autre sens, et on repart. En stop, en
bus, de voiture en voiture, pied au plancher, au gré des rencontres. Et faire
la fête, l’alcool, la drogue, le sexe, les amis, la musique.
Ne jamais s’arrêter. J’ai gardé tout au long de ma
lecture cet essoufflement induit par une écriture qui égraine les villes, les
régions, les états, les bars, les prénoms et surnoms. Un immense rouleau
dépourvu de tout paragraphe, tapé d’un trait, ne pas interrompre le flux.
Je sentais à cinquante centimètres au-dessous de moi la route se déployer comme une bannière, s’envoler, siffler à des vitesses inouïes encore et toujours, pour traverser le continent qui gémissait. Quand je fermais les yeux, ce que je voyais, c’était la route, qui se déroulait à l’intérieur de moi. Quand je les rouvrais, j’apercevais en un éclair l’ombre des arbres qui vibrait sur le plancher de la voiture. Pas moyen de m’échapper.
Kerouac. Image Wiki. |
Un hymne à l’Amérique et à ses territoires, les
plaines à perte de vue où la route se déroule, le pneu avant gauche contre la
ligne blanche. La végétation, la ligne de l’horizon, le profil des montagnes,
l’allure du ciel et des étoiles, l’odeur des villes. Kerouac se saoule aussi de
noms propres : les noms de lieux, fleuves, cités, collines, tribus
indiennes et reprend possession de la littérature américaine : Hemingway
que l’on imite, London, Twain…
L’obscurité régnait partout, en cet instant où nous étions en train de vociférer, blottis au creux de la montagne, nous les Américains ivres-fous de cette terre puissante. Et plus loins, plus loin encore, derrière les sierras, de l’autre côté de Carson Sink, ce joyau scintillant, couleur de nuit, enchâssé dans sa baie, le vieux Frisco de mes rêves. Nous étions perchés sur le toit de l’Amérique, et ne savions que gueuler – pour atteindre, qui sait ? l’autre côté de la nuit, l’Est, au-delà des plaines, où un vieillard chenu était peut-être en route vers nous, porteur de la Parole, sur le point d’arriver pour nous faire taire.
William Burroughs silhouette qui hante le roman,
rarement présent, silhouette décharnée, déjà mythique. Et Neal Cassady, vrai héros, fou magique :
Tout à coup, j’ai eu une vision, j’ai vu Neal en Ange Effroyable de la Fièvre et des Frissons, il arrivait dans un battement d’aile, tel un nuage, à une vitesse sidérale, il me poursuivait comme l’inconnu voilé dans la plaine, il fondait sur moi. Je voyais sa face immense sur les plaines, la folie de son propos inscrite dans son ossature, ses yeux étincelants ; je voyais ses ailes ; je voyais son vieux tacot, chariot d’où jaillissaient des kyrielles de flammes chatoyantes ; il traçait sa propre route, il passait sur les maïs, il traversait les villes, il détruisait les ponts, il asséchait les fleuves. (…) Il se ruait vers l’Ouest en traversant une fois de plus le continent abominable qui gémissait sous lui ; il serait bientôt là.
Le rouleau original. Image Wiki. |
* Nouvelle traduction d’après la première version du
roman, tapée en trois semaines d’avril 1951, après des années de travail et
d’accumulation de matériaux. L’édition de 1957 est le fruit de réécritures et
de censures. Les divers introductions au texte expliquent cela très bien et
rouvrent l’éternelle question : qu’est-ce qu’un texte
« original » ?
L'avis plus argumenté de Delphine.
Et selon une méthode déjà éprouvée, un petit supplément demain dimanche.
Et selon une méthode déjà éprouvée, un petit supplément demain dimanche.
J'ai beaucoup lu Kerouac au début de l'âge adulte. Je devrais peut-être découvrir ce rouleau intégral!
RépondreSupprimerQuel billet superbe ! Moi je n'ai lu que la version naze, j'en garde pourtant un souvenir marquant mais...lointain, je relirais volontiers "l'original", Delphine m'avait déjà mis l'eau à la bouche !
RépondreSupprimerBonne fin de week-end...
P.S : J'ai vu que tu lisais Barrage contre le Pacifique de Duras, c'est ce livre qui m'a "dégoûté" d'elle... et pourtant je l'aimais ! A relire un jour aussi, pffff
RépondreSupprimerJe n'ai jamais lu l'ancienne version donc j'ai découvert comme ça et c'est très fort. Je le relirai.
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