La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



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jeudi 24 juillet 2025

Un jour je méditerai sous des flocons de neige.

 

Peter Matthiessen, Le Léopard des neiges, parution originale 1978, traduit de l'américain par Suzanne Nétillard, édité en France par Gallimard.

L'auteur part avec un ami naturaliste dans le Dolpo, une région reculée du Népal, dans le but d'observer les bharals pendant leur période de rut ainsi que le rare et mystérieux léopard des neiges. C'est le début de l'hiver, de la neige, 4 000 puis 5 000 mètres d'altitude, de la neige, peu de bois, mais pour Matthiessen c'est aussi un voyage dans la spiritualité bouddhiste.

Comme tout me paraît étrange. Comme tout est étrange. Une partie de moi observe cet homme allongé dans son sac de couchage au cœur des montagnes d'Asie; un autre « moi » pense à Alex ; un troisième est cet être fatigué qui essaie de dormir.

Rick Bass et Paolo Cognetti se réfèrent abondamment à ce livre, lu dans leur jeunesse, comme à un modèle de rapport à la nature et à la spiritualité. J'avoue avoir plus calé qu'eux sur le chemin. C'est que l'auteur n'est pas un compagnon de marche très apaisé ni très agréable. Ce voyage vise sans aucun doute à le faire sentir en paix avec son passé, notamment le décès de son épouse, mais son ton me paraît souvent négatif, notamment quand il s'agit des autres êtres humains et de sa vie. Surtout, ses propos à l'égard des Népalais me paraissent emprunts de tous les clichés colonialistes, lointainement hérités certes, mais qui nous collent désespérément à la peau. Ce qui ne l'empêche pas évidemment d'apprécier la compagnie des sherpas, le mode de vie, la culture ou les chants des habitants. Je ne peux pas m'empêcher de me sentir mal à l'aise, en tant qu'occidentale, devant cette attitude.

Je suis heureux de cheminer ainsi sous un soleil capricieux, dans ce monde de nuages et de neige, en contact permanent avec les éléments ; les impressions morbides de l'aube se sont évaporées. J'ai envie d'arriver au monastère de Cristal, de voir le léopard des neiges, mais si cela ne se réalise pas, tant pis !

Il reste heureusement les paysages grandioses, la lumière et les animaux de cette région si lointaine, à tous les sens du terme. Il y a la description de multiples stupa, monastères, sanctuaires, où les pierres gravées s'accumulent depuis des siècles, témoignages d'une piété ancienne.

Pour l'auteur, vaguement dépressif, il s'agit d'un voyage avec lui-même. Et peut-être d'une rencontre avec le Yeti. J'apprécie le récit de cette découverte d'un paysage résolument étranger, par son altitude, ses animaux, sa culture et son histoire, qui a tout pour désorienter le voyageur et le lecteur.

Pas de bouddhisme népalais dans l'ordinateur, mais de l'hindouisme. Peinture sur soie, Histoire de Banasura (détail), Népal 1795, musée Guimet

GS est passé de l'autre côté de bonne heure pour chercher de nouvelles empreintes : il essaie de ne pas se laisser détourner par le léopard de ses études des bharals mais les grands félins l'attirent et celui-ci est le moins connu de tous. C'est extraordinaire de constater à quel point tout le paysage se concentre sur cette bête, de l'éclat de lumière qui luit sur les cornes usées d'un bharal jusqu'au bruit clair d'un galet tombant sur le sol gelé.

Le thermomètre de GS marque -20° et j'ai eu beau enfiler tous les vêtements que je possède, je claque des dents toute la nuit. L'aube arrive enfin, mais à cette altitude il faut du temps pour transformer une potée de neige en eau chaude et il est plus de neuf heures lorsque, mes souliers étant dégelés, nous pouvons partir.

Je chemine péniblement mais à la nuit tombante Tukten, légèrement vêtu et en chaussures de basket, me rattrape. Son indifférence au froid et aux difficultés de la route n'est ni de l'insensibilité ni de l'ascétisme, mais, semble-t-il, l'acceptation tranquille de tout ce qui lui arrive : c'est là la source de ce calme intérieur qui donne tant de présence à un être d'apparence si quelconque.





mardi 22 juillet 2025

Qui a vu le mont Kailas du haut de la cime inviolée de la Montagne de Cristal ?

 

Paolo Cognetti, Sans jamais atteindre le sommet. Voyage dans l’Himalaya, parution originale 2018, traduit de l’italien par Anita Rochedy.

Cognetti est un marcheur, mais pas un alpiniste. Il est costaud, mais résiste mal à l’altitude. En quête de paysage et d’apaisement, il part dans un coin reculé du Népal, le Dolpo, à l’écart de Katmandou, des foules de l’Everest et du Tibet chinois. Il est avec des amis. Ils marchent, ils passent des cols, ils tournent autour des montagnes. Et c’est extrêmement bien.

Je savais qu’en montagne on marche seul même quand on marche avec quelqu’un, mais j’étais heureux de partager ma solitude avec ces compagnons de route.

Un récit de voyage comme on les aime, tout simple. Cognetti s’interroge : à quoi bon partir si loin pour arpenter les chemins ? Mais c’est de la montagne, et tout lui rappelle l’endroit où il vit, même si tout s’en distingue aussi. Il griffonne des petits dessins pour rendre compte du paysage. Il lit et relit Le Léopard des neiges de Petter Matthiessen. Il a 40 ans, il s’interroge et se dit qu’il ne devrait pas tant se questionner. Difficile de ne pas partager l’esprit de cette marche. Déjà dans Le Garçon sauvage, j’avais apprécié cette errance entre la nature, les animaux, les humains, les mots des autres et les inquiétudes intimes. Ces allers-retours me parlent profondément.


Il avait raison de vieux hippie, moi non plus je n’avais jamais rien vu de comparable à la vallée de la Suli. Je marchais seul, croisais de temps à autre un compagnon, m’oubliais dans la contemplation de l’eau. Le long de la rivière, les formes me fascinaient tellement qu’il m’arrivait souvent de m’asseoir pour les dessiner : des cèdres de l’Himalaya, des pins qui ressemblaient à une variété de cembro, des bouleaux aux feuilles jaunies. Un petit pont fait de troncs enfoncés dans les berges et suspendus dans le vide, les piquets de la balustrade travaillés par un menuisier habile.

Il n’empêche, comme c’était beau, comme cela nous était devenu naturel et nécessaire de nous remettre en chemin. Tourner le dos au monde connu et découvrir à chaque pas un pan de monde nouveau. Marcher était notre mission quotidienne, notre mesure du temps et de l’espace. C’était notre façon de penser, d’être ensemble, de traverser le jour, c’était le travail que nos corps faisaient maintenant sans nous.

Cognetti sur le blog :

Le Garçon sauvage. Carnet de montagne (qui est donc extrêmement bien)
Les huit montagnes