La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 21 janvier 2012

Je communiquais avec le monde à travers la lecture, cet épiderme des strates de mon existence, comme à travers un vêtement de protection.


Imre Kertész, Le Drapeau anglais, volume comprenant 3 récits traduits du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, parus en Hongrie en 1991 et 1998, Arles, Actes Sud, 2005.

Mon cinquième et dernier Kertész !

Ce volume rassemble trois courts textes très intéressants :
Procès-verbal raconte un voyage avorté… et prend place à cette période de fin des régimes communistes mais alors que frontières, douaniers tatillons, bureaucratie stupide et arbitraire existent toujours. Kertész a connu tous les régimes absurdes, pas un ne semble meilleur que l’autre, quel que soit l’habillage.
Le Chercheur de traces est peut-être le texte le plus troublant. Nous sommes dans un pays inconnu, près d’une ville de culture où a vécu un grand philosophe, un pays où a eu lieu quelque chose d’atroce mais on ne sait pas bien quoi, où un lieu de massacre est devenu un lieu touristique… si cela vous rappelle quelque chose… Le narrateur, une ancienne victime, revient sur les lieux très longtemps après, essaye de voir les traces, les traces d’on ne sait pas très bien quoi, de la culpabilité, des morts, des faits, mais tout se dérobe, impossible de fixer son attention et de repérer quoi que soit.
Le Drapeau anglais raconte un minuscule détail de l’insurrection hongroise à Budapest en 1956. La mémoire est un processus complexe, il est difficile de tout se rappeler, plus encore de déterminer à quel instant commence un événement, de déterminer ce qui a pu l’amener. Mais il est encore plus difficile de mettre tout cela en discours bien longtemps après.

Budapest, André Kertész André, 1919
Paris, musée national d'Art moderne - image RMN

 La salle sentait encore la peinture fraîche, tout était agréablement illuminé, délimité par des barrières, fourré derrière des vitres, l’ordre transcendant, l’apparat scientifique et une délicate abstraction constituaient dans cet environnement sécurisant une exposition étrange voire honteuse : accessoires de romans d’épouvante, marché aux cauchemars, collection poussiéreuse ? Seul l’usage eût pu ramener ces objets à la vie, seule l’expérience, mettre à l’épreuve leur réalité, or là, il n’y avait d’autre vérité que la foule et la touffeur de la salle – mais celle-ci était-elle suffisamment étouffante et y avait-on entassé une foule assez compacte ?

Ces récits me paraissent former une très bonne clef de voûte à l’édifice romanesque bâti par Kertész. La presque impossibilité de dire le génocide mais l’impossibilité de ne pas sans cesse le dire, le jeu infini sur la langue et l’attention aux mots, la faible vie de l’individu sous des régimes politiques absurdes, autant de nœuds de son œuvre. L’Holocauste devenu accessoire de mauvais romans, une insurrection incarnée dans un drapeau agité au vent. Rien ne sert d’indiquer les noms de lieux, les époques, les noms des personnages (beaucoup de ses romans sont anonymes), c’est le récit et le mouvement de la langue qui comptent.

Mes billet sur la trilogie de Kertész : Être sans destinLe Refus et Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas et sur Liquidation. Une nouvelle participation au Challenge sur la littérature juive de Mazel.



4 commentaires:

  1. bravo Nathalie pour ta constance envers cet auteur.
    rajouté ton avis : http://challenges-mazel.blogspot.com/search/label/kert%C3%A9sz-imre

    je le rajoute également sur ma liste d'envie de lire... j'aime assez les nouvelles. Et surtout, les pavés commence légèrement à me prendre la tête...

    bonne journée
    bises

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  2. Oh merci, tu ajoutes les liens plus vite que ton ombre ! J'en ai fini dans ma relecture de Kertész, est-il nécessaire de préciser que je recommande vraiment cet auteur ? Deux titres pour commencer : Être sans destin qui est le chef d'oeuvre massif et difficile et ce volume, Le Drapeau anglais, avec des nouvelles, très intéressant.

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  3. un article de lui auj. DS LE MONDE DES LIVRES, un entretien: pas du tout positif sur l'esprit hongrois actuel, esprit de haine dit-il.

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  4. Je vais essayer de le lire dans la semaine oui. Sinon Mazel l'a retranscrit.

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