Imre Kertész, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, 1e éd. 1990, Arles, Actes Sud, 1995.
Le dernier volume de la trilogie constituée par Être sans destin et Le Refus. Un court texte (150 pages) comme une prière, une récitation, une litanie, une plongée dans une suite de pensées intérieures, qui s’adresse à toi, l’enfant auquel Kertész n’a jamais voulu donner naissance. Donc pas de narration constituée mais une suite de paragraphes commençant par « Non ! », répétant ce refus d’un enfant et de la vie habituelle.
Le narrateur revient sur sa rencontre avec sa femme, les discussions qu’il a avec elle et son divorce. Il comprend qu’il a choisi de vivre dans le provisoire permanent, refusant, ne pouvant entrer dans le jeu des autres, qui veulent un logement, une propriété, un descendant. Il ne peut jamais s’installer dans sa vie, survivant, toujours, dans un provisoire matériel et psychologique, qui est son chez lui. Ne pas avoir d’enfant, c’est reconnaître son inexistence.
… parce que je vécus encore longtemps au camp en tant qu’homme libre*, ce qui donna donc à ma vie en camp une saveur et un goût particuliers, la sensation de la vie retrouvée, inoubliable et douce, mais aussi prudente, car je vivais, certes, mais je vivais comme si les Allemands pouvaient revenir à chaque instant, c’est-à-dire que je ne vivais pas tout à fait. Oui, il faut croire que dans mon meublé, sans doute de façon inconsciente, et aussi cédant aux circonstances, aux contraintes de la pénurie de logements, je prolongeais cette sensation, la sensation inoubliable, douce et prudente de ma vie d’homme libre au camp, cette sensation antérieure et postérieure à toute prise de conscience, sur laquelle ne pèsent pas les contraintes et surtout pas le poids de la vie, à savoir que je vivais certes, mais je vivais comme si les Allemands pouvaient revenir à chaque instant… (quelques pages plus loin) Je crois que je suis né pour habiter à l’hôtel, mais comme le monde a changé, je n’ai pu habiter que dans des camps et des meublés…
* Plusieurs mois pendant lesquels les camps sont libérés par l'armée soviétique mais où les prisonniers ne repartent pas immédiatement chez eux.
Un livre étrange, dérangeant, où Kertész réfléchit sur le fait d'être juif et de transmettre sa judéité, sur son sentiment de culpabilité, présent dès l’internat et son enfance, achevé avec Auschwitz. L’écriture est enfin comprise, non plus seulement comme un besoin maniaque (comme dans Le Refus où elle reste inexpliquée), mais aussi comme un moyen de creuser sa tombe dans les nuages, parce qu’il y a beaucoup plus de place. Auschwitz n’est pas un événement relégué dans le passé, mais fait partie de son présent.
Un extrait du discours d'Imre Kertész lors de la remise du prix Nobel.
Challenge de Mazel |
une page par auteur... je vois que tu est bien partie pour remplir celle de Imre Kertész... bravo... une belle fidélité !
RépondreSupprimerhttp://mazel-annie.blogspot.com/2011/09/challenge-litterature-juive-imre.html
C'est un pur hasard mais oui j'étais partie pour relire mes 5 Kertész avant que tu ne lances le challenge. Donc je profite ! Si ça peut le faire connaître un peu...
RépondreSupprimerEh bien ça le fait connaître, ma curiosité est piquée, je le lirai peut-être, on a tant à lire !
RépondreSupprimerBon week-end :-) !
N'y a-t-il pas, au fond, un peu d'égoïsme aussi ? Je me pose toujours la question.
RépondreSupprimerGrillon : bien, mission accomplie !
RépondreSupprimerAlex : "égoïsme" je ne sais pas (est-ce généreux de faire des enfants ?????), mais un personnage qui ne sort pas de lui-même et de son histoire, qui semble buter dedans comme dans les murs d'une prison.
J'ai un peu de mal avec cet auteur, la forme de ses écrits me déroute
RépondreSupprimerpar contre je ne connaissais pas ce Kaddish de Ravel
Oui, c'est un très beau Kaddish, j'ai un peu cherché pour le trouver. Je voulais une version sobre...
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