Daniel L. Everett, Le Monde ignoré des Indiens Pirahãs, traduit de l’anglais par Jean-Luc Fidel, Paris, Flammarion, 2010 (2008).
Un récit autobiographique. Daniel Everett est linguiste et a passé plusieurs années (une grande partie de sa vie en réalité) parmi les Indiens Pirahãs, au cœur de l’Amazonie brésilienne. Il y a vécu avec sa femme et ses enfants, ce livre raconte son expérience et vulgarise ses découvertes.
Il y a tout un aspect du récit, assez attendu, mais très intéressant sur les aventures d’un américain blanc au milieu de la forêt amazonienne : les maladies, les animaux (la pêche à l’anaconda), la forêt, les Indiens et les autres habitants de la région. Pour nous rappeler qu’il ne suffit pas d’être curieux et bienveillant, des univers radicalement étrangers existent bel et bien.
Mais la plus grande part du livre est constituée par le récit de sa découverte de la langue pirahã. Cela devient alors tout à fait passionnant et un peu ardu. Nous le suivons en train d’apprendre des mots et surtout d’essayer de comprendre les structures de la langue. Cette tribu ne dispose pas de terme pour désigner les couleurs, n’a aucun système pour compter, le même mot désigne le frère, la sœur ou un autre Pirahã de la même génération, ils n’ont pas de mythe de création du monde, etc. Everett détaille à chaque découverte les hypothèses que l’on peut faire quant à la culture et à la façon de pensée de ces Indiens en rapportant des anecdotes très faciles à appréhender et sans aucun jugement (c’est si rare…). Tous ces mots indispensables pour nous mais totalement inutiles pour les Pirahãs… Là où cela devient ardu, c’est quand il essaie d’expliquer les structures des phrases et de réfléchir aux théories générales de la linguistique (Chomsky), j’avoue avoir passé un peu vite ces pages !
Ce livre n’est certes pas de la grande littérature mais il ouvre une porte fascinante sur un autre bout du monde, constitué d’Indiens et de linguistes, tout un pan de notre planète que nous ne soupçonnons même pas.
Un extrait (p. 161-162) :
J’ai remarqué qu’ils n’avaient pas de mots pour désigner les couleurs simples ; tous étaient composés d’autres mots. Au début, j’ai admis l’analyse de Steve Sheldon : il existait des termes pour les couleurs en pirahã. La liste en contenait pour le noir, le blanc, le rouge (qui renvoyait aussi au jaune) et le vert (qui renvoyait aussi au bleu).
Cependant, ce n’étaient pas des mots simples. C’étaient des expressions. Une traduction plus précise a montré qu’ils signifient : « le sang est sale » pour le noir ; « on voit » ou « c’est transparent » pour le blanc ; « c’est du sang » pour le rouge ; « ce n’est pas encore mûr » pour le vert.
[…] Cela ne signifie pas que les Pirahãs ne peuvent percevoir les couleurs ni s’y référer. Ils les perçoivent autour d’eux comme n’importe qui d’autre. Mais ils ne codifient pas leurs expériences de la couleur grâce à des mots uniques servant indéfectiblement à généraliser ces expériences. Ils se servent d’expressions.
Pas de nombre, pas de comptage, pas de termes de couleur. Je n'y comprenais toujours rien, mais cette accumulation de données a commencé à me donner une meilleure idée de leur culture, en particulier quand je me suis mis à étudier plus de conversations et de longs récits.
Merci pour ce joli billet qui fait rêver. Ca me fait penser à la collection Terre Humaine de Jean Malaurie. J'ai entamé récemment un livre écrit par une anthropologue distinguée : "Gaston Lucas, serrurier". Elle y parle d'un vieil ouvrier dont la profession disparaissait avec lui (en 1972) et qui était ... son voisin de palier, découvert par hasard après des années de cohabitation muette!
RépondreSupprimerJe vois que vous êtes le 1er commentaire du 1er billet, un an après, c'est amusant.
RépondreSupprimerJe lis peu ce genre d'ouvrage, il faut être honnête mais c'était vraiment intéressant.