La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 18 mars 2011

Newman se retourna pour vérifier que le document avait totalement disparu dans les flammes. Le feu n'avait rien laissé.


Henry James, L’Américain, traduit de l’américain par Claude Bonnafont, Paris, Liana Levi, 1994 (1e édition 1877).
   Un bon roman à l’ancienne, pourrait-on dire. Christopher Newman, authentique self-made-man américain, voyage en Europe où il découvre les arts et cherche une épouse. Ce sera Claire de Cintré, décide-t-il, une jeune veuve de l’aristocratie française, si elle veut bien de lui toutefois. Christopher n’est-il pas ami avec son frère, Valentin de Bellegarde ? Mais c’est à véritable choc des cultures auquel nous assistons et du côté américain comme du côté français, la stratégie est un art cruel.
    James est le lointain héritier de Balzac d’une certaine manière. La peinture des familles et des caractères, l’opposition frontale entre des caractères opposés, jusqu’au nom des personnages étroitement significatif. Mais on y trouve quelque chose d’autre : beaucoup plus de noirceur et de violence, les dialogues réussis et dynamiques, le regard acide de l’auteur et cet Américain (quelqu’un a-t-il déjà croisé un Américain dans Balzac ?), c’est-à-dire la possibilité pour un personnage de sortir de sa condition et de changer, d’être libre, face à lui-même. On y sent aussi l’étrange fascination / répulsion de James pour ce monde des Antiquaires, un peu ranci, mais mystérieux et inatteignable. Surtout, j’aime beaucoup l’ouverture :



Par un splendide jour de mai de l’an 1868, un gentleman se prélassait sur le grand divan circulaire qui occupait à l’époque le centre du Salon carré au musée du Louvre. Depuis, cette confortable ottomane a disparu, au grand regret des amoureux des beaux-arts faibles du jarret ; mais le gentleman en question avait sereinement pris possession de sa partie la plus souple ; tête rejetée en arrière et jambes étendues, il fixait la splendide Madone portée par un croissant de lune de Murillo et jouissait pleinement de sa situation. Il avait ôté son chapeau et posé près de lui un petit guide relié de rouge et des jumelles d’opéra. (…) Mais, ce jour précis, ses efforts avaient été d’un ordre inhabituel et il avait souvent accompli des exploits physiques qui l’avaient moins harassé que sa tranquille promenade à travers le Louvre. Il avait examiné tous les tableaux marqués d’un astérisque dans les redoutables pages en petits caractères de son Baedeker ; il avait forcé son attention, ses yeux étaient éblouis et il s’était assis, en proie à une migraine esthétique.

Giuseppe Castiglione, Le Salon Carré au musée du Louvre, deuxième moitié du XIXe siècle, musée du Louvre, sur le site de la RMN.

2 commentaires:

Dominique a dit…

Un des romans de James que je n'ai pas lu, il faut que je répare ça, j'ai lu récemment la nouvelle traduction des Ambassadeurs et c'est une réussite, le roman est superbe et très prenant et la traduction parfaite

nathalie a dit…

C'est le seul que j'ai lu, mais je me tournerais bien vers les Ambassadeurs (on devrait faire un échange !).