La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



dimanche 27 novembre 2011

Intermède


Aujourd’hui, je laisse le micro à Marc qui, par un hasard tout à fait exceptionnel, a lu pour vous avec attention :

Bernard Simiot, Paradis perdus, Paris, Albin Michel, 1990.

Il n'est pas très difficile de dézinguer un mauvais bouquin. Je confirme et  m'y essaye aussitôt, en ne résistant pas au plaisir d'en dévoiler toute l'intrigue, qui décidément vaut son pesant de cacahuètes et évitera à l'éventuel lecteur intéressé de perdre son temps, à moins qu'il n'ait envie de rigoler un bon coup.

Jacques Lareuille, écrivain de son état, promis à un bel avenir littéraire et mondain, se rend en mission au Maroc, à la demande de l'Ambassade de France, pour le compte de laquelle il doit donner une conférence sur Ferdinand de Lesseps. Il y retrouve un certain Lecornic (sic), un ancien ami et compagnon d'armes, à qui il confiera longuement le douloureux souvenir  qui le hante encore, celui d'une femme rencontrée ici même lors d'un premier voyage, et qu'il a tant aimée.

La femme s'appelle Jeanne Durant (re-sic). Elle était alors docteur en médecine, intégrée comme chercheur dans un laboratoire local pour y étudier la bilharziose, véritable fléau dans toute l'Afrique. C'est une maladie due à un petit trématode, le schistosoma,  vivant dans l'eau des oueds africains et qui parasite le sang en entrant je cite  "par la quéquette ou par l'anus, et dont on ne peut plus se débarrasser."

Jeanne Durant est une femme intelligente et déterminée, indépendante avec une sorte de dureté intérieure qui ne manque pas d'intriguer Jacques Lareuille, lequel, comme le premier dragueur venu, va désormais s'ingénier  à percer la carapace. Leur première rencontre a lieu au cours d'une soirée mondaine, genre, avec Ferrero Rocher, les réceptions de l'ambassadeur sont toujours un succès. Présentés l'un à l'autre, c'est à qui en mettra plein la vue à l'autre à coup de références littéraires et de généralités pseudo philosophiques se voulant  à la fois  brillantes et cultivées. 

Bon, je passe, tout en restant sur le mode de la confidence, tenant un verre de whisky à la main, dans l'envoûtante nuit marocaine pleine de senteurs, pendant que le fidèle Miloud (celui qui vient servir le whisky) obtient finalement de son maître Lecornic la permission d'aller se coucher, Lareuille poursuit son histoire. Retour à Paris donc, et je passe les détails, les deux protagonistes finissent par se retrouver, vont au restaurant et finissent assez vite au lit pour une de ces scènes de sexe dont la mauvaise littérature a le secret, et qui constituent autant d'étapes torrides et obligées. Voici un  exemple dans ce  genre ridicule et convenu:

Notre accouplement, il m'est impossible d'employer un autre mot, fut aussi rapide que brutal. Jeanne poussa un tel cri que je mis ma main sur sa bouche de peur de troubler le sommeil du quartier paisible où j'habitais. N'en finissant pas, son râle entretenait mon premier feu. Venue du ventre plus que de la gorge, j'écoutais sa plainte, soudain plus douce, presque tendre. Partageant son plaisir, j'en demeurai le maître. Je dirigeais la manoeuvre. Courbé sur son visage que la tempête saccageait, je vis apparaître une pureté enfantine sur ses joues, et au fond de ses larges yeux ouverts  le sourire bleu d'une petite fille…

etc, etc

Lareuille comprend que ça va être pour lui beaucoup plus qu'une coucherie sans lendemain. Au début c'est le super pied. Malgré son apparente froideur, Jeanne Lareuille fait preuve d'un solide tempérament et s'abandonne sans retenue dans les bras du futur Goncourt, qui n'en revient pas. Pourtant quelque chose cloche. Jeanne Durant a des absences, pas vraiment disponible comme en rêverait Lareuille, devenu sacrément accro. Alors quoi (à nouveau je passe les détails), un problème, un amant ? Mais quel est donc ce lourd secret qui la rend parfois si dure et distante ? Un amant ? Mais bon sang mais c'est bien sûr. La plus noire jalousie s'insinue dans l'esprit de l'écrivain. Il la suit, l'espionne, lit ses lettres. Jeanne Durant une nouvelle fois disparaît de la circulation. C'est de toute façon toujours avant ou après une nuit torride. Un soir à la Coupole, il aperçoit sa maîtresse en compagnie d'un homme plus âgé et portant beau. Grand, bien découplé, sans doute la cinquantaine, un visage d'empereur romain avant que la graisse du pouvoir l'eût alourdi, le front dominateur aux tempes grises…

S'ensuit lors d'un nouveau retour de sa maîtresse à la maison, une violente dispute, où la malheureuse en prend plein la tête. Mais non tu ne comprends pas je vais tout te dire, ce n'était pas mon amant, mais c'était le père Valentain (sic), venu pour quelque temps au sein de notre équipe de recherche. Comprenant que son rival soit un curé, même en tout bien tout honneur, Lareuille est un peu paumé. C'est un peu comme si Dieu lui avait piqué Jeanne la froide, Jeanne la matérialiste endurcie. Ah oui j'oubliais, Lareuille est vaguement catho tendance molle, ce que bien sûr finira par lui reprocher la nana.

Re-disparition, pour finir par apprendre que Jeanne Durant est partie avec le Père Valentain faire une retraite en vue de sa première communion. La cérémonie a finalement lieu et Lareuille, briefé je ne sais plus comment, assiste à la chose derrière un pilier d'Église. Scène assez gratinée au demeurant. Je passe encore parce que ça va devenir lassant, un beau jour, Jeanne Durant disparaît de la circulation pour de bon. Parti à sa recherche, Lareuiile finit par apprendre qu'elle est entrée dans les ordres, à l'extrême colère d'un vieil oncle radical socialiste et bouffeur de curé.

Petit détail, cherchant à retrouver le père Valentain, qui, finalement il faut bien le dire, lui a piqué sa meuf, il téléphone au couvent belge, censé héberger le suborneur. Ah, mais c'est qu'il n'y a pas de père Valentain ! Nous n'avons jamais entendu parler de cette personne...

Retour sur la terrasse et fin des confidences à Lecornic. Mais quelles confidences au fait ? Ont-elle véritablement eu lieu? S'ensuit un épisode où Lareuille revit tous ces événements sur un mode fantasmatique, en la présence invisible à ses côtés d'une Jeanne Durant fantomatique. Il revient comme dans un rêve au couvent de San Damiano, près d'Assise, où Jeanne Durant avait eu sa première titillation mystique à la simple vue des nonnes dans le jardin du couvent. (Ah oui j'ai oublié de préciser qu'il y avait eu un voyage crac-crac en Toscane. C'est là entre deux orgasmes que Jeanne Durant découvre Dieu).

On arrive à la fin, ouf…
Dernier épisode, et celui-là non plus n'est pas piqué des hannetons :

Lareuille est devenu un écrivain en vue, bientôt le Goncourt et tout, lorsqu’un beau jour à l'aéroport, il  croise un homme portant beau, qu'il reconnaît aussitôt. Et là, accrochez-vous au pinceau:

- Je suis venu vous chercher, Jacques, dit  le père Valentain, posant une main impérieuse sur l'épaule du romancier.
- Je vous attendais, répondit Jacques Lareuille.

Taddzzzaaaa !...

Voili, voilà. J'ai oublié un détail qui m'intéresse toujours au plus au point, que soit au cinéma ou dans la littérature, ce sont les références musicales. En effet Jeanne Durant et Lareuille prennent l'habitude de baiser en musique. Voici, dans leur ordre d’apparition, les oeuvres enrôlées en fond sonore des parties de jambes en l'air.

Sonate en la de César Franck d'abord envisagée, mais vite évincée au profit de la valse de la  Symphonie fantastique de Berlioz.
À un autre moment de crise, c'est Bach qui est convoqué mais dans le genre aphrodisiaque, et en remplacement finalement du concerto pour deux violons, le prélude de Tristan de Wagner connaît un certain succès:

La musique nous inondait, nous ne savions pas si elle jaillissait directement du tourne-disque, du passé de notre amour ou du présent de nos discordes. Entraîné par le chromatisme impérieux des violons j'ai pris Jeanne dans mes bras et l'ai portée sur mon lit.

Une question me taraude in fine, comment parvient-on à écrire des conneries pareilles ?

Photographies de Sam Lévin. Cécile Aubry, Michel Auclair, Henri-Georges Clouzot sur le tournage de Marion, 1948. Paris, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine. Images RMN.



2 commentaires:

ysa a dit…

Enchantée de cette critique qui me réveille d'un week-end de convalescence. Je reprends les armes et j'ai bien rigolé .
Question subsidiaire mais n'y voyez pas de mauvaise intention : mais qui peut lire des connerires (sic) pareilles (sauf pour les dézinguer )?

ysabel

nathalie a dit…

Tant mieux si cela te fait rire. Marc est un poil pervers dans sa volonté d' "achever" de pareils livres, nous sommes d'accord, mais il est au courant !