François Mauriac, Thérèse
Desqueyroux, Paris, Bernard Grasset, 1927.
Un roman lu pour la
première fois il y a des années (15 ans ?), j’en avais gardé le souvenir
d’un livre lu avec passion et d’une femme tragique (et comme d’habitude,
totalement oublié la fin, voire transformé la fin en une direction plus
sombre). Quand George l’a proposé en Lecture commune, j’ai joyeusement sauté
sur l’occasion de le relire. D’autant que je peux bien le dire, ce que je
préfère chez Mauriac, c’est sa voix ! Elle donne l’air intelligent à tout
ce qu’il dit (désolée).
J’ai donc rouvert Thérèse
Desqueyroux et je l’ai dévoré en 3 jours.
Et je reste frappée de la force et de la modernité des situations. Thérèse est
une jeune femme, issue d’une riche famille landaise, mariée dans une autre
puissante famille landaise. Cela en fait des pins. Au début du roman, on
comprend qu’elle sort d’un procès, d’une accusation grave, mais heureusement il
y a eu non-lieu. Ce n’est que petit à petit que l’on va comprendre que d’une
manière ou d’une autre Thérèse a voulu tuer son époux. Dans la voiture puis le
train qui la ramène dans cette maison, elle remonte le fil de ses
souvenirs pour trouver une explication à son acte, qu’elle semble à peine
reconnaître. Son enfance, son amitié avec Anne, les étés brûlants des Landes,
son mariage avec Bernard, l’insatisfaction charnelle, la rancœur, l’énervement,
la lassitude et puis un jour… sans qu’il y ait de vraie raison pour tout
déclencher, tout cela se sera fait lentement.
Bernard en a réchappé, il n’y
aura pas de condamnation, le scandale est étouffé, Thérèse retourne dans sa
famille et découvre le sort qui lui est réservé, auquel elle devra se
conformer. L’enfermement, la clôture. Avant la possible échappée pour ne plus
jamais affronter le « silence d’Argelouse ».
Thérèse demeurait debout devant la fenêtre ; elle voyait un peu de gravier blanc, sentait les chrysanthèmes qu’un grillage défend contre les troupeaux. Au-delà, une masse noire de chênes cachait les pins ; mais leur odeur résineuse emplissait la nuit ; pareils à l’armée ennemie, invisible mais toute proche, Thérèse savait qu’ils cernaient la maison. Ces gardiens, dont elle écoute la plainte sourde, la verraient languir au long des hivers, haleter durant les jours torrides ; ils seraient les témoins de cet étouffement lent.
Il est difficile d’expliquer
pourquoi ce roman est si réussi. Il y a la figure de Thérèse, toute
d’ambivalence, intelligente, pleine de volonté mais aussi de lassitude,
semblant ballotter entre les mains du destin. Un peu d’Emma Bovary, beaucoup de
sensualité et de cigarettes, de cruauté. Il y a la condition terrible faite aux
femmes, ventre des héritiers, qu’il faut soumettre comme l’on mate un chien. Et
ça n’a pas vraiment vieilli. Les faces à face entre les personnages sont courts, les dialogues brefs mais intenses, les mots sont choisis et signifiants. Il y a ce pays, les Landes, les étendues de pin,
les marécages, la chaleur insoutenable de l’hiver, le silence des champs, le
vacarme du vent…
La famille ! Thérèse laissa
éteindre sa cigarette ; l’œil fixe, elle regardait cette cage aux barreaux
innombrables et vivants, cette cage tapissée d’oreilles et d’yeux, où,
immobiles, accroupie, le menton aux genoux, les bras entourant ses jambes, elle
attendrait de mourir.
Une lecture commune avec George et Lili Galipette. Inutile de dire que s'il y a d'autres LC avec Mauriac je suis partante (veux relire Le Noeud de vipères).
René-Jacques, Sur un chemin, Landes, 1950, Paris, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine
Zadkine, François Mauriac, 1943, bronze, Bordeaux, musée des Beaux-Arts.
Images RMN.
Il me reste de ce roman une ambiance étrange de folie.
RépondreSupprimerc'est tout à fait la bonne expression !
RépondreSupprimerje suis confuse de t'avoir oublié, je rajoute ton lien ! un roman dans lequel on se plonge avec bonheur, même si l'atmosphère y est un peu lourde !
RépondreSupprimerJe connais mal Mauriac ! Ce roman fait partie de ceux que je dois lire depuis une éternité ;-)
RépondreSupprimerCe n'est pas grave George, va !
RépondreSupprimerMargotte : moi j'aime beaucoup Mauriac, on ne le lit pas assez je trouve !
Je l'ai à peu près au même âge que toi et je ne m'en rappelle plus du tout. Je pense qu'il faudrait que je le relise aussi. Pas mal de trucs ont dû m'échapper à l'époque.
RépondreSupprimerOui moi je ne me rappelais que peu de choses en fait et pourtant je l'avais aimé ! La mémoire décidément est quelque chose d'étrange....
RépondreSupprimerComme quoi les pins avaient bien des épines...
RépondreSupprimerC'est intéressant de voir que vous avez réussi à aborder l'oeuvre sous des angles quelque peu différents à une douzaine d'années d'intervalle.
Pour ma part, je pense que ce type de femme vivant oisives de leurs rentes sans chercher à exercer une profession pour y gagner son indépendance financière ne m'apparaît pas forcément comme un exemple. C'est dans ce sens que je dirais que ces "caractères" de Mauriac apparaissent comme "démodés" aujourd'hui.
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Les rentiers ont une indépendance financière, ce qui suscite une certaine fascination, même si on rejette cette absence de mérite ou d'efforts telle que nous la percevons. C'est toute une époque.
Supprimer