Bruno Schulz, Les Boutiques de
cannelle, traduit du polonais par Georges
Lisowski, Georges Sidre, Thérèse Douchy, Chistophe Jezewski et François Lallier,
1e éd. 1934, Paris, Denoël, 2004.
Il s’agit d’un étrange recueil de
nouvelles mais il pourrait aussi s’agir des passages dépareillés d’un même
roman.
Nous sommes dans une petite ville
non identifiée et le narrateur est un enfant-adolescent qui raconte les jours
chauds de l’été, les tempêtes de l’hiver, les bizarreries de la ville et plus
encore la folie du père. Ce personnage du père apparaît dans plusieurs
nouvelles, sombrant progressivement dans diverses folies. L’une où il a une
immense passion pour les oiseaux et leurs œufs et où lui-même ressemble de plus
en plus à un condor. Plusieurs où il incarne un des prophètes de la Thora,
dialoguant avec l’Éternel, isolé dans sa folie comme un homme de Dieu seul dans
une foule d’idolâtres. Une où il se transforme peu à peu en cafard et disparaît
dans les méandres d’une immense maison.
Schulz campe un univers sensuel
mais où les sens sont chargés d’ambiguïté, à la fois plus vrais, plus profonds
et plus inquiétants que la connaissance rationnelle. Le père du narrateur
perçoit les bruits des objets et prend des poses fixes face au chat de la
maison. La bonne Adèle incarne la vie du corps et la tyrannie de la propreté.
Difficile de ne pas songer à Isaac Bashevis Singer… Ce qui contribue à cette
atmosphère magique, c’est aussi l’indétermination du lieu et du temps :
une petite ville de province, où les commerces reçoivent des marchandises
venues de loin, où il y a des quartiers déterminés, une ville où roulent les
fiacres, où le temps se distend et se déploie comme une grande voie lactée.
Séraphine de Senlis, Les fruits, vers 1928, Grenoble, musée municipal |
De la pénombre du corridor on
pénétrait de plain-pied dans le bain du soleil du grand jour. Les passants
barbotant dans l’or fermaient à demi leurs paupières qui semblaient engluées de
miel, et leur babine supérieure retroussée découvrait les dents et les
gencives. Ils avaient tous cette grimace de chaleur au visage, comme si le
soleil leur avait imposé un masque de fraternité solaire, et tous ceux qui se
croisaient dans les rues, jeunes et vieux, femmes et enfants, se saluaient au
passage de ce masque barbare, insigne d’un culte bachique peinturluré à grands
traits d’or sur leurs visages.
La langue est précieuse et riche, un peu proustienne dans ses circonvolutions, fantastique dans le choix de ses images : c’est un univers vivant et animé, panthéiste. Les ballots de drap assemblés dans la boutique campent des paysages, des collines, un lac sur lequel naviguer et fuir dans un Orient lointain et rêvé. Les casseroles envahissent la ville dans une sarabande furieuse un soir de tempête…
Une nouvelle participation au Challenge littérature juive de Mazel qui a constitué une énorme bibliographie.
La citation est de saison, brrr....
RépondreSupprimerN'est-ce pas ? Il prend l'image traditionnelle du tapis au neige au sérieux et la déroule, tranquillement.
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